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San-Antonio

San-Antonio renvoie la balle

À mon ami Marcel Quéré,

en toute amitié lyonnaise.

S.-A.

Est-il besoin de vous seriner encore que mes histoires sont purement imaginaires (je suce des allumettes pour me donner des idées) et fictives ?

Est-il besoin de répéter que les crêpes qui voudraient se reconnaître dans ces pages ne seraient que de pauvres complexés ?

Oui, sans doute ! Alors, voilà qui est fait.

S.-A.

Première partie

À CHACUN SON PENALTY…

CHAPITRE PREMIER

Quand les poulets vont à Colombes…

Il est un peu plus de treize heures quarante-trois minutes et un peu moins de treize heures quarante-quatre lorsque je sonne, avec ce doigté que toutes les jolies femmes me reconnaissent, à la porte du fin lettré et de l’exquis diseur qu’est Bérurier.

On ne répond pas immédiatement à cette sollicitation, car une sorte d’espèce de corrida se déroule à l’intérieur de l’appartement. Je n’ai aucune difficulté, mes trompes d’Eustache fonctionnant admirablement, à reconnaître le timbre oblitéré de mon valeureux camarade ainsi que celui à zéro franc vingt-cinq de Berthe, son aimable épouse, plus connue dans le monde du gras-double et de la coiffure sous les initiales de B.B.

Le ménage bavarde à haute voix, pour la plus grande joie des voisins.

Madame traite son Monsieur de « saloperie vivante », ce qui est, mon Dieu, une image assez rigoureuse pour qualifier Béru. Et Monsieur assure à sa bonne dame qu’elle a été veau pendant son enfance, ce qui revient à dire, les années ayant passé, qu’elle est vache désormais.

Pour ne pas demeurer en reste, et soucieuse comme toutes les femmes, d’avoir le dernier mot, Berthe Béru rétorque que son mari est le flic le plus cocu de France et de la Communauté ; la seconde partie de cette affirmation puisant son origine dans les relations que l’épouse aurait entretenues avec un Malgache nommé Bono.

Béru dont les méninges font tilt trouverait certainement une réplique à la Roussin (quand on est de la rousse on est doué) mais je profite du bref laps de temps qu’il met à évacuer son gaz carbonique pour placer un second coup de sonnette plus modulé que le premier.

— On a sonné ! déclare alors la voix altière de mon valeureux équipier.

C’est un fin limier auquel rien n’échappe.

— Va ouvrir ! ordonne-t-il à celle qui contribue à lui valoir le titre envié de roi des cornards.

Berthe Bérurier a été élevée au pensionnat des Oiseaux, ça se sent illico.

— Mes fesses ! répond-elle, non sans noblesse.

— Va ouvrir, j’sus t’en caleçon ! proclame ce monument de sex-appeal débranché.

— Et alors ? riposte B.B. à qui l’argument n’apparaît pas majeur !

— Et alors, comme il a pas de bouton…

— Dans la maison d’un mort on laisse la fenêtre ouverte, grince la perfide. D’ailleurs, ça doit être San-Antonio qui est à la porte.

— Justement, fais-le pas z’attendre.

— Ça lui fera les pieds…

— Je t’en prie, c’est mon chef !

— Il me court, ton chef, avec ses airs supérieurs et sa façon de s’offrir la figure du monde !

— Si c’est de la tienne qu’il se fout, on le comprend ! brame Béru. T’as une bouille qu’on a envie de lui donner un lavement !

Une gifle ponctue la désobligeante affirmation.

Suit alors, avec une régularité parfaite, une partie de tennis-épithètes qui leur vaudrait leur qualification pour le championnat du monde des charretiers.

Béru compare maintenant sa femme à un poisson qu’on doit saler pour en assurer la conversation.

Elle le garantit plus malodorant qu’un certain engrais naturel sorti des étables.

Le Gros révèle à tous les échos et aux voisins attentifs que ses beaux-parents étaient des pourceaux.

La Grosse trépigne que ceux de son époux étaient stupides jusqu’à se montrer scatophages.

Le Mahousse voudrait placer un smash percutant, mais elle le devance avec des révélations consécutives à l’absence de boutons de son calcif. Elle fait un radio-reportage express du spectacle, reportage d’où il appert que le Gros ressemblerait plutôt à un bœuf qu’à un taureau.

Je prends le parti de m’asseoir dans l’escalier pour savourer la fin de la retransmission. Du reste, je ne suis pas seul : l’ex-gendarme du dessus est accoudé à la rampe, au tournant de l’escalier (sa modeste retraite ne lui permettant pas de s’offrir des places meilleures que les virages) ; la femme du bistrot, une rousse à moustaches noires, a pris des orchestres et, juchée sur une poubelle renversée, écoute l’altercation. Enfin, le voisin de palier, un grand sourdingue, se grouille de déballer son matériel auditif. Il déroule des fils, branche sa batterie, se cloque une fiche dans les portugaises et hisse son antenne en moins de temps qu’il n’en faut aux garçons de piste du cirque Amar pour monter la cage des fauves.

Maintenant ça sévit dans le Béru’s office !

Y a de la soucoupe volante dans l’air, avec escorte de gaufrier et bruits de fond repiqués dans la bande sonore de Coulez le Bismarck.

On se croirait dans un film japonais mis en scène par Kapa-Djé-Ni-Mé On-San-Fou avec comme chef opérateur Ki-Rat’-Ja-Mé-Cé-Fo-To.

La maison tremble comme si deux rames de métro venaient de se télescoper. On entend des rugissements, des glapissements, des barrissements, des vrombissements, des ânonnements, des mugissements, des miaulements, des aboiements, des serments, des atermoiements. C’est le branle-bas de combat, et même le branle-haut !

Le gendarme va se faire un sandwich afin de pouvoir tenir jusqu’à la fin du match. C’est une habitude, chez lui, le sandwich, qu’il a ramenée d’un séjour aux îles du même nom.

Le sourd met son potentiomètre sur le petit développement.

Il a son tympan en ciment armé qui commence à flancher ! D’habitude, il n’apprend qu’il y a eu le feu à sa maison que dans les journaux du lendemain, mais cette fois-ci, le cataclysme lui est audible.

La bistrote d’en bas vient de défoncer le fond de sa poubelle, ce qui la rend plus petite de soixante centimètres, mais elle ne s’en est seulement pas rendu compte.

Votre San-Antonio préféré examine le cadran de son horloge portable, s’avise que le temps passe, chose qu’il avait toujours plus ou moins subodorée et, soucieux de ne pas rater le match de Colombes (la fameuse rencontre France-Eczéma de football, celle qui devait faire couler tant d’encre) décide d’interrompre les hostilités béruriennes. Je commence par distribuer au sourd trois coups de sonnette aussi vibrants qu’une Marseillaise de plein air, non pas avec l’espoir que, cette fois-ci, les Gravos y répondent, mais par simple politesse, ensuite de quoi j’extrais mon sésame de ma fouille et je délourde le pont-levis. Ma seule crainte est qu’au cours du séisme (de Panama) les billets n’aient été détériorés, car, manque de bol, c’est l’Ignoble qui les a.

Je pénètre dans la porcherie de l’inspecteur Bérurier. Et, marchant au radar, je gagne la cuisine. Un spectacle dantesque s’offre alors à mes yeux surmenés.

La grosse Berthe, en combinaison noire, bas noirs, œil noir, est assise sur des tessons de verres et d’assiettes comme le ferait sûrement, à titre de propagande, la femme du fakir Tara Sétamou S’tache. Elle halète comme un congrès de nourrices. Un peigne en matière plastique véritable, entièrement sculpté à la machine, pend au bout de ses mèches de cheveux.