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XI.

Et doucement, il appuya sa bouche pleine de feu sur ses lèvres tremblantes. Il répondait à ses prières par des paroles pleines de séduction et son regard, plongeant jusqu’au fond de ses yeux, l’enflammait. Dans l’obscurité de la nuit, il étincelait devant elle, inévitable comme la lame d’un poignard!… Hélas! L’esprit du mal triompha. Le poison mortel de ses baisers a pénétré en un instant dans son sein et un cri terrible de souffrance a troublé le silence de la nuit!…

Dans ce cri il y avait de tout, de l’amour, de la douleur, un reproche avec une dernière prière, un adieu sans espoir, un adieu en pleine jeunesse!…

….

XII.

Pendant ce temps, le veilleur de nuit exécutait seul et lentement autour des grands murs, sa ronde ordinaire. Il allait de tous côtés, agitant sa crécelle de fer [32]; mais en arrivant à hauteur de la cellule de la jeune novice, il assourdit la cadence de son pas et l’âme troublée, s’arrêta, la main sur son instrument. Au milieu du silence environnant, il crut entendre deux bouches échangeant des baisers, puis un cri étouffé, suivi d’un faible gémissement. Un doute impie traversa le cœur du vieillard. Mais un moment s’écoula et tout redevint calme. On n’entendit plus que le souffle de la brise, apportant de loin le murmure des feuilles et le ruisseau de la montagne qui bruissait tristement sur ses rives sombres. Le vieillard dans sa peur se hâta de lire son livre de prières, afin d’éloigner de sa pensée pécheresse les tentations de l’esprit du mal; il se signait rapidement de ses doigts tremblants; puis silencieux, agité par une vision, il se mit à précipiter son pas et continua sa ronde habituelle!…

XIII.

Couchée dans son cercueil, elle ressemble à une gracieuse péri qui vient de s’endormir. Son visage pâle et sombre est plus pur que le linceul qui l’enveloppe. Ses paupières se sont abaissées pour toujours. Mais ô ciel! Ne dirait-on pas que sous elles ce merveilleux regard sommeille seulement et semble attendre un baiser ou le retour du jour! Non; inutilement les rayons lumineux se glissent entre elles comme un fil d’or; en vain sa famille, pleine d’une muette douleur, vient couvrir sa bouche de baisers; non! la mort a mis sur elle son empreinte éternelle et rien n’est assez puissant pour l’arracher de ses bras. Et toute cette nature dans laquelle naguère la vie ardente et pleine d’énergie parlait si distinctement aux sens, n’est plus maintenant qu’une vaine poussière. Un sourire étrange à peine éclos sur ses lèvres s’y était arrêté; l’expression douloureuse de ce sourire était sombre comme la tombe elle-même. Que signifiait-il? se raillait-il de la destinée, ou accusait-il un doute insurmontable? Exprimait-il un froid dédain de la vie ou une colère audacieuse contrôle ciel? Comment le savoir? Sa signification est à jamais perdue pour le monde. Mais il attire involontairement les yeux, comme le dessin d’une inscription antique, où peut-être, sous des caractères bizarres, se cache l’histoire des temps passés. Maxime de grande sagesse indéchiffrable! Trace oubliée de pensées profondes!…

Longtemps l’ange de la destruction respecta la dépouille de la pauvre victime et ses traits conservèrent cette beauté que garde un marbre sans expression, privé d’animation et de sentiment, mystérieux comme la mort même. Jamais aux jours les plus gais, la parure de fête de Tamara ne fut aussi variée en couleurs, ne fut aussi riche. Les fleurs du vallon chéri qui la vit naître, selon l’antique coutume, exhalaient sur elle leurs parfums et serrées dans sa froide main, semblaient avec elle dire adieu à ce monde…

XIV.

Ses parents, ses voisins se sont déjà réunis pour le triste voyage. Le vieux Gudal arrache ses cheveux gris, frappe sa poitrine en silence et pour la dernière fois monte sur son coursier à la blanche crinière, et le cortège se met en route!… Le voyage doit durer trois jours et trois nuits. C’est auprès des ossements de ses aïeux qu’on a creusé pour elle un lieu de repos…

Un des ancêtres de Gudal qui avait passé sa vie à piller les voyageurs et les villages, se trouvant enchaîné par la maladie, fit vœu dans un moment de repentir, de bâtir une église en expiation de ses péchés passés, sur le haut des rochers granitiques, où l’on n’entend que le sifflement du chasse-neige et où on ne voit voler que les vautours. Bientôt un temple solitaire s’éleva au milieu des neiges du Kazbek et les ossements de ce méchant homme trouvèrent là un asile où reposer. Le roc ami des nuages se transforma en cimetière; comme si en rapprochant sa tombe des cieux elle devait être moins froide et comme si plus loin des hommes son dernier sommeil devait être moins troublé… Mesure inutile; les morts ne doivent plus ressentir ni la joie ni la tristesse des jours passés.

XV.

Dans les espaces azurés, un des anges de Dieu volait en agitant ses ailes d’or; et dans ses bras il emportait de la terre une âme pécheresse. Avec de douces paroles d’espérance il dissipait ses doutes, et de ses larmes il effaçait en elle les traces de l’opprobre et de la douleur. Les harmonies célestes, quoique de loin, arrivaient déjà vers aux. Tout à coup au milieu de l’espace libre, l’esprit des enfers surgit du fond de l’abîme. Il tourbillonnait avec fracas et brillait comme le sillon de l’éclair, puis avec une impudente fierté il répétait: «elle est à moi;» la pauvre âme de Tamara se serra contre la poitrine de son gardien et se mit à prier pour calmer sa frayeur. En ce moment son avenir allait se décider! Il reparaissait devant elle. Mais grand Dieu! Qui l’aurait reconnu? Quels regards méchants il fixait sur elle! Comme on sentait qu’il était plein du poison mortel d’une colère inextinguible! son visage immobile exhalait un froid sépulcral.

– «Disparais, esprit de doute et de ténèbres; répondit le messager des cieux: tu as assez longtemps triomphé; mais l’heure du jugement est venue, et que la sentence divine soit bénie! Les jours de la tentation sont passés; en quittant son enveloppe terrestre et périssable elle a secoué à jamais les chaînes du mal. Sache-le! Depuis longtemps nous l’attendions! Son âme était de celles dont la vie se compose d’un court instant de souffrances intolérables et de délices qu’on ne peut comprendre. Le Créateur les a tissées avec les cordes vivantes d’un meilleur monde; elles ne sont point créées pour la terre et la terre n’est pas faite pour elles; elle a expié ses doutes par d’atroces douleurs; elle a souffert et aimé et le paradis lui est ouvert pour cet amour!

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[32] Instrument en fer qu'agitent autour du couvent les veilleurs de nuit pour constater leur passage.