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– Un mot encore, implora-t-il.

– Nous n’avons plus rien à nous dire, mon ami.

– Mary, Mary, écoutez-moi…

– Je ne veux plus vous écouter. Charley, vous voyez ce que je souffre… Ne parlons plus jamais de ces choses…

Elle dit plus bas:

– Et puis ne soyons pas imprudents.

– Je vous l’ai juré, Mary, il ne sait rien et il ne saura jamais rien de notre amour…

– Je vous dis que vous avez été imprudent. Hier, quand vos lèvres ont remué… Je crois qu’il a vu vos lèvres, Charley.

– Non, cela ne se peut. Vous pouvez bien me pardonner… Vous ne les verrez plus longtemps, mes lèvres…

Il ajouta, plus sombre:

– Votre pouvoir n’ira point jusqu’à me faire supporter une existence qui m’est odieuse.

– Mon pouvoir ira jusque-là…

– Combien vous êtes cruelle! si vous saviez ma lassitude de vivre!… Hier, voyez-vous, quand il m’a parlé si mystérieusement de ce pli que je trouverais à Denver, de ce pli qui contenait, s’il mourait, lui, le secret de ma fortune… J’avais envie de lui rire insolemment à la figure, à sa face immonde de millionnaire… à la face de votre époux, Mary!

– Encore une fois, mon ami, ayez pitié…

– Écoutez, Mary. Je vous ai demandé une seconde encore, une seconde… C’est que j’ai une chose à vous dire… Oh! une chose très grave… Vous m’entendrez bien une seconde.

– Je sais toutes les choses graves que vous avez à me dire, Charley, et vous me les avez dites déjà…

Charley se laissa tomber sur un fauteuil. Il y eut un silence.

– C’est vrai, dit-il.

– Vous voyez bien, fit-elle, qu’il faut que tout ceci se termine… Laissez-moi passer…

Mais elle s’arrêta d’elle-même. Un gémissement la fit se retourner.

– Alors, je vous quitterai à Denver, disait Charley d’une voix rauque. Vous partirez, et je ne vous verrai plus… Et vous épouserez cet homme! Vous, la femme de Jonathan Smith! Vous ne savez pas ce que c’est que Jonathan Smith! si vous saviez!

– Vous m’avez dit qui il était, et je l’épouserai, Charley. Voilà trois mois que ces querelles me poursuivent, à toute heure du jour. Je suis effroyablement lasse…

– C’est un misérable! C’est un monstre!

– C’est mon bienfaiteur!

– Votre bienfaiteur, lui! C’est votre créancier! Et il réclame le paiement de votre dette…

– Je la paierai…

Charley se tordait les mains:

– Malheureux que je suis!… Et dire qu’avec cette passion que je croyais toute-puissante, je suis incapable de vous inspirer la haine de cet homme! Vous, pour qui il s’est montré bon, tendre et généreux, vous ne savez pas, vous ne saurez jamais ce qu’il fut pour les autres, vous ne vous doutez pas de son égoïsme et de sa cruauté!

– Vous m’avez dit toutes ces choses, Charley.

– Vous ne vous en souvenez plus.

– Je veux les oublier.

– Il en est que je ne vous ai pas dites.

– Taisez-vous.

– Je parlerai, Mary, et cependant, j’ai donné ma parole d’honneur de me taire.

– À qui?

– À Jonathan. Mais je parlerai tout de même.

– Vous agissez mal, Charley.

– Je le sais, mais ça m’est égal de ne point tenir ma parole, voyez-vous; est-ce que vous avez tenu la vôtre?

– Oh! Charley, est-ce que vous ignorez que je ne suis point maîtresse de ma destinée?

– Ignorez-vous que je ne suis point maître de mon amour? Je parlerai; je veux que vous sachiez tout. Jonathan Smith a un fils, miss Mary.

Ils se turent un instant.

– Vous divaguez, Charley; si Jonathan avait un fils, il me l’eût avoué.

– C’est à moi que cet aveu fut fait.

– Voilà qui est étrange.

– Oh! vous comprendrez… Il y a dix ans, Jonathan connut une jolie fille. Elle était honnête, appartenant à une famille pauvre. Il l’enleva à sa famille; la jolie fille lui donna un enfant, et depuis, elle est morte.

– Elle mourut de quoi?

– De désespoir et de privations.

– Il l’avait abandonnée?

– Oui.

Ces révélations semblaient produire un grand effet sur la jeune fille.

– Voilà l’homme, continua Charley.

– Qu’est devenu l’enfant?

– Ce qu’il a pu durant huit années.

– Jonathan ne s’occupait point de son enfant?

– Il m’a dit que, s’il lui avait fallu s’occuper de tous les enfants que le hasard lui avait donnés, il n’aurait pas eu le temps de s’occuper de ses affaires.

– Oh!…

– C’était peut-être une parole de fanfaronnade. Je ne puis affirmer que ce que j’ai vu.

– Qu’avez-vous vu?

– Il y a deux ans, Jonathan me dit: «Charley, vous allez partir pour La Nouvelle-Orléans.» Et il m’avouait cette lamentable histoire d’amour dont je vous parlais tout à l’heure, il m’avouait sa paternité et l’ignorance dans laquelle il se trouvait de ce qu’était devenu son fils. J’avais mission de le rechercher et de veiller à ce que désormais il ne manquât de rien. La tâche était difficile, car la mère avait disparu et, depuis plusieurs années, nul n’avait entendu parler d’elle. Après six mois de recherches, je trouvai la piste de la malheureuse. Je suivis cette piste. Au bout, je trouvai la mère morte et l’enfant à l’agonie. L’enfant manquait de tout et succombait de misère. Je pus le sauver et, suivant les indications de Jonathan, je le plaçai dans un family house de La Nouvelle-Orléans, où il se trouve encore. Le petit a huit ans.

– Comment s’appelle-t-il?

– On l’appelle William.

– Sir Jonathan continue à s’occuper de son fils?

– Tous les mois, Mary, pour faire parvenir à la pension le prix de l’entretien de William. Mais cette pitié tardive vous fera-t-elle oublier la conduite criminelle de Jonathan pendant les huit premières années?

– Je veux oublier tout ce qu’il y avait de mauvais dans cet homme et ne plus voir que ce que j’y découvre de bon.

– Prenez garde! prenez garde! tout cela n’est que passager! Tout cela est factice! Il se lassera de vous, Mary, et il brisera le jouet que vous fûtes en ses mains. La nature perverse et grossière de cet homme réapparaîtra avant qu’il soit longtemps. Cette transformation, ces remords qui l’ont fait rechercher son fils, tout cela vous est dû! Tout cela est arrivé parce qu’il vous aimait. Quand il ne vous aimera plus, nous reverrons le véritable roi de l’huile!

– Aussi faut-il qu’il m’aime toujours, fit Mary, et vous voyez bien qu’il faut que je l’épouse…

Charley gémit encore:

– Souvenez-vous des vœux que nous échangeâmes, Mary, le soir de cette promenade dans le parc; sir Jonathan faillit nous surprendre, mais vous n’aviez point perdu votre sang-froid, car vous disiez que Jonathan voulait votre bonheur et qu’il ne s’opposerait point à notre mariage. Et comme vous saviez votre influence immense sur cet homme, vous m’avez dit: «Ne parlez point de notre mariage à quiconque. C’est moi-même qui demanderai votre main, Charley, à mon ami, et mon ami ne me la refusera pas.» J’étais heureux.