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Et il montra de loin le couple Martinet, qui était arrêté devant le tourniquet du cinématographe. Il alla le rejoindre. Martinet, qui paraissait fort agité, lui dit aussitôt:

– Tu ne sais pas qui j’ai trouvé ici? Tu ne sais pas qui est préposé à la recette du cinématographe, au tourniquet?

– Mais non. Qu’est-ce que tu veux que ça me fasse?

– Eh bien, moi, cela me fait quelque chose, je t’assure.

Mme Martinet prit la parole. Elle semblait aussi émue que son mari.

– Victor! dit-elle. C’est Victor…

– Qui ça, Victor?

– Mais notre ex-employé! Celui qui a disparu de chez nous le lendemain de la catastrophe… celui qui y a certainement pris part et qui était un des hommes, un des espions d’Arnoldson: nous en avons eu des preuves depuis…

– Ah! fit Martinet, je voudrais bien le voir, lui parler… En voilà un avec lequel nous avons un vieux compte à régler! Il m’a reconnu. Il a pénétré dans la chambre du cinématographe aussitôt qu’il m’a vu.

– Eh bien, entrons-y, mon ami! fit Pold.

– Dans une demi-heure. Les séances ne commencent pas avant une demi-heure… Ah! le gredin!

– Écoute, fit avec sagesse Mme Martinet. Il est inutile de causer de l’esclandre ici. Nous n’irons point aux séances… Vous feriez bien mieux de l’attendre à la sortie.

– Excellent conseil, fit Pold, tout pensif. Allons, viens, Martinet. Nous reparlerons de cela tout à l’heure… Allons visiter le Bazar.

Et il entraîna Martinet et sa femme. Martinet hochait la tête.

– Si ce bougre-là est ici, fit-il, l’Homme de la nuit n’est peut-être pas bien loin…

Ils se frayèrent difficilement un chemin dans la foule élégante, qui augmentait sans cesse.

XIV LE CINÉMATOGRAPHE

Les séances de cinématographie devaient avoir lieu dans un coin de l’immense construction.

Cette pièce avait été mise à la disposition d’un ingénieur mécanicien, qui l’avait cédée à un confrère inconnu.

Dès le matin, on avait apporté la lampe qui devait servir aux projections. Un employé, que nul ne connaissait, l’avait installée sans aucun secours.

Il avait également installé, d’une façon définitive, tout l’appareil cinématographique, lequel renfermait une grande quantité de bandes pelliculaires, bandes en celluloïd, matière essentiellement inflammable.

Puis il avait disposé au pied de l’appareil quatre grandes boîtes cadenassées dont on ne soupçonnait pas l’usage.

Au centre de cette pièce, au moment où nous y pénétrons, il n’y avait qu’un seul personnage.

C’était l’homme aux lunettes noires, l’homme au macfarlane, l’Homme de la nuit.

Il était là, les bras croisés et tout seul… tout seul en face de sa pensée.

Cette pensée devait être horrible. Jamais le masque d’Arnoldson n’avait exprimé autant de froide atrocité.

Il songeait à l’ultime forfait.

Et la haine de cet homme pour le genre humain avait atteint un degré si prodigieux que ce crime lui apparaissait presque, à cette heure, comme légitime!

Il allait prendre enfin sa revanche contre la vie et contre les hommes. Avoir eu tant de milliards et n’avoir pu obtenir l’amour!

… Et, cependant, il y avait cru, du temps de sa jeunesse…

Ah! quand il se rappelait les heures délicieuses où Mary l’écoutait, le soir, lui dire qu’elle était aimée!… Heures de mensonge suivies de la minute terrible de la trahison.

Mais comme il allait se venger! Formidablement! Elle était là, elle, sa Mary… Elle était à quelques pas de lui, avec ses enfants, les enfants d’un autre… Et elle allait périr de sa main, elle, avec ses enfants. Elles étaient toutes là, les fiancées de France, les plus belles, les plus riches, les plus pures! Comme il allait les faucher!

Un abominable sourire errait sur sa face de damné.

Soudain, un homme vint le tirer de l’extase où le plongeait son rêve de destruction. Il jeta sur cet homme un regard haineux.

– Que veux-tu, Victor? Pourquoi viens-tu? N’avais-tu point la consigne de rester au tourniquet et d’empêcher, avant l’heure fixée, toute personne de pénétrer ici? Retourne à ton poste!

Mais Victor se tenait tremblant devant lui:

– Maître, maître… je viens d’apercevoir les Martinet… Ils m’ont vu… Ils m’ont reconnu…

– Eh! trembleur! que veux-tu que me fassent les Martinet?… Retourne à ton poste, te dis-je!

– Maître… M. Martinet avait l’air fort excité contre moi…

– Ne l’as-tu point mérité, drôle?

Et l’Homme de la nuit devint si menaçant que Victor reprit le chemin par lequel il était venu. Mais il ne sortit point complètement de la petite salle du cinématographe. Il resta dissimulé entre deux pans d’étoffe qui faisaient une sorte de couloir par lequel on arrivait dans la salle.

Il ne tenait, en effet, nullement à se retrouver en tête à tête avec Martinet.

Mais, comme il n’avait rien à faire de mieux dans son couloir, il observa sans être vu l’Homme de la nuit, qui lui paraissait, ce jour-là, d’allures extrêmement bizarres.

Le spectacle auquel assista Victor l’intéressa vivement.

L’Homme alla au cinématographe et fit descendre sur l’appareil un long pan d’étoffe qui tombait du toit. Ce toit n’était autre chose qu’une sorte de vaste vélum enduit de colle et de goudron.

Puis Arnoldson se rapprocha des boîtes que Victor avait apportées dans la matinée et dont il ignorait le contenu. Arnoldson en ouvrit les cadenas avec une clef qu’il portait sur lui. Il souleva le couvercle de l’une d’elles et en considéra longuement l’intérieur.

D’où il était, Victor ne pouvait voir ce qu’elle renfermait, mais il eût bien voulu donner quelque chose pour le savoir.

À constater l’intérêt que l’Homme de la nuit portait à ces boîtes, Victor jugeait que ce qu’il y avait dedans ne pouvait être banal.

Et puis, pourquoi ces boîtes? Que faisaient-elles là? Dans quel but l’Homme de la nuit les lui avait-il fait apporter?

Autant de questions qui, pour Victor, restaient sans réponse.

Les trois autres couvercles furent ainsi soulevés. L’Homme de la nuit disposa les quatre boîtes à la suite les unes des autres, de telle sorte que la première allait toucher la paroi de toile qui séparait le cabinet cinématographique du grand hall et que la dernière se trouvait immédiatement placée sous l’appareil.