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Puis Arnoldson fit quelques pas dans la pièce et consulta le cadran de sa montre.

– C’est l’heure! dit-il tout haut.

«L’heure de quoi? se demandait Victor. Il me semble bien que le maître est devenu fou.»

Sa curiosité étant de plus en plus excitée, Victor ne perdait pas un geste d’Arnoldson.

Il le vit qui tirait un cigare de son étui; il en croquait et en crachait le bout d’un mouvement féroce de la mâchoire.

Enfin, il craqua une allumette.

Victor continuait à monologuer en aparté:

«L’heure de quoi? C’est sans doute l’heure pour lui de fumer un cigare. Pourquoi, alors, ne l’allume-t-il pas?»

En effet, l’Homme de la nuit n’approchait pas le cigare de ses lèvres et tenait assez éloignée de lui l’allumette que la flamme consumait.

Mais Victor, ayant alors considéré la physionomie d’Arnoldson, en fut épouvanté à un point qu’on ne saurait dire. Jamais il n’avait vu une face humaine exprimer tant de joie mauvaise.

C’est que l’Homme, fixant cette petite flamme vacillante, se disait:

«De par ma volonté, cette lueur, si faible qu’on la croirait sur le point de mourir, va grandir, grandir… Cette lueur va devenir une flamme immense; elle va courir, tout à l’heure, le long de ces toiles, le long de ce vélum… Elle va dévorer tout ce bâtiment. Et avec ce bâtiment, elle va détruire ceux qu’il abrite… Elle va faire, cette petite lueur, elle va faire de tout cela un rien, un peu de cendre, une pincée de poussière.»

Et l’Homme de la nuit, lentement, soigneusement, avec un soin extrême, alluma son cigare.

L’allumette s’était éteinte, mais l’extrémité du cigare était incandescente.

Victor disait tout bas:

– Il doit avoir d’excellents cigares!

Puis il ajouta presque aussitôt:

– Mais pourquoi le jette-t-il?

Arnoldson avait, en effet, jeté son cigare dans la boîte qui se trouvait placée sous le cinématographe.

Victor n’était pas au bout de sa stupéfaction.

Et il ne put retenir un cri de surprise quand il vit Arnoldson disparaître à travers la cloison qui donnait sur le terrain vague, derrière le Bazar des fiancées.

L’Homme de la nuit avait fui par une issue que lui, Victor, n’avait pas soupçonnée.

Il n’eut point le temps de raisonner longuement sur cette fuite inattendue.

De la boîte où le cigare d’Arnoldson était tombé, un haut jet de flammes crépitantes s’élança soudain, montant vers le cinématographe.

En une seconde, la petite pièce tout entière ne fut plus qu’un brasier.

Victor n’avait eu que le temps de se jeter dans le Bazar, en criant: «Au feu!»

XV L’ULTIME FORFAIT

Il y avait bien là quinze cents personnes. Les femmes étaient en immense majorité, toutes parées, joyeuses, caquetantes et souriantes, en pleine fête mondaine. Le cri poussé par Victor fut entendu de tous. Un frisson mortel parcourut l’assemblée. Subitement, le sourire disparut de tous les visages pour faire place à une angoisse terrible.

– Au feu!

Ce cri était tellement inattendu que l’on n’y croyait pas.

Victor apparut, affolé, agitant les bras avec des gestes de dément et criant encore: «Au feu! au feu!»

Et puis la flamme!

La flamme surgit à l’une des extrémités du bazar, gigantesque tout de suite.

Alors, un cri effroyable, sorti de quinze cents poitrines, hurla la terreur de mourir, et l’abominable, l’horrible commença…

L’incendie, avec la rapidité de l’éclair, s’était communiqué à l’immense vélum couvrant tout le hall, et, avant même qu’elles eussent tenté de fuir, les quinze cents personnes qui se trouvaient là avaient au-dessus de leur tête une voûte de feu.

Et ce fut l’inévitable, l’effroyable panique qu’aucune puissance humaine ne saurait arrêter.

Chacun essayait de se sauver, et férocement. C’était la bataille sans merci pour sa vie, bataille qu’on ne pouvait gagner qu’avec la mort des autres. Frapper les autres! les distancer! passer sur eux! prendre leur place et avancer encore, toujours, vers les issues, où l’on se presse cinq cents et où dix peuvent passer! rejeter les autres dans le brasier pour en sortir!…

Le flot humain se précipite vers la grande porte centrale, qui est fermée et qui ne s’ouvre qu’à l’intérieur. Mais la foule, qui pèse sur les battants de cette porte, empêche de les mouvoir. Des femmes essayent de sauter par les hautes fenêtres et retombent dans le brasier.

C’est une poussée désordonnée, un écrasement furibond qui produit aux portes un encombrement, un engorgement barrant l’exode effréné des malheureux.

Puis, par endroits, la toiture s’effondre, recouvrant les victimes de débris incandescents, écrasant les uns et consumant et asphyxiant les autres.

Le feu achève de carboniser les cadavres amoncelés sous les décombres.

Deux cents personnes gagnent l’espace libre compris entre le Bazar et les murailles des immeubles voisins. Elles sont là entassées, poussant des appels au secours et prisonnières entre les flammes, que le vent rabat sur elles, et le mur infranchissable.

Pold, entraînant sa sœur Lily, qu’il portait presque, essayait vainement de se frayer un passage dans la foule hurlante.

Deux fois déjà ils avaient été renversés, et Lily eût été affreusement piétinée sans l’héroïsme de son frère, qui avait gardé les coups pour lui tout seul et qui avait fait à sa sœur un bouclier de son corps.

Le flot avait passé, et Pold, reprenant son fardeau meurtri, les membres horriblement brûlés par les flammèches qui tombaient du toit, Pold avait tenté un effort suprême.

Dans les bras de Pold, Lily avait encore la force d’appeler sa mère.

Où était Adrienne?

Dès les premiers moments, un remous terrible, auquel elle avait vainement essayé de résister, l’avait entraînée, portée vers le fond du Bazar, vers cette large porte qui ouvrait sur le terrain vague enclos de hautes murailles.

Et elle s’était trouvée là presque à l’aise, malgré les flammes menaçantes qui venaient, à quelques pas, lécher les murs.

Mais, de ce côté, l’incendie diminua tout de suite d’intensité, ayant achevé presque entièrement son œuvre.

Adrienne vit que sa fille, que son fils n’étaient point à ses côtés.