— Filez vos mains à plat contre le pavillon de la voiture, camarade !
Il est sidéré de me voir. Ce type qu’il pensait clamsé et qui surgit soudain à son côté par une belle nuit ensoleillée le déroute, si je puis dire.
— Vite ! gueulé-je, sinon je vous tue à la seconde.
Le faux Kipeët obéit. Il est froid, très attentif ; un peu pincé de partout, si tu vois ce que j’entends par là. Peur ? Pas exactement. C’est un zig surentraîné qu’on a éduqué pour qu’il ignore cette réaction foireuse. Il obéit seulement parce qu’il ne peut agir autrement. L’instant lui est défavorable. Il ne peut rien tenter ; alors son cerveau lui conseille de se soumettre provisoirement. Et ainsi donc, Grippeminaud le bon apôtre applique sa dartre et sa sinistre contre le plastique gaufré tapissant le toit de sa guinde.
Son regard n’est même pas hostile. Il reste spectateur de l’aventure.
Martinet et Béru se pointent (Bic). Le gusman sourit au Rouquin.
— O.K., lui dit-il, vous venez de me donner une grande leçon de modestie, mon vieux, je ne me croyais pas si naïf.
— Béru, murmuré-je, ouvre la porte à ce monsieur, il va descendre.
Le Volumineux obtempère, mais il apporte une variante à mon ordre, à savoir qu’il biche le copain par sa cravate, l’arrache de son siège et lui pétrifie la devanture d’un coup de boule taurin dans les croqueuses. L’homme chauve ne sourit pas, ce qui nous aurait permis un délicat jeu de mots, et s’écroule dans la boue. Béru, cent fois sur le métier tu le verras remettre son ouvrage, c’est pourquoi, non content d’avoir foudroyé le gars chauve aux-yeux-couleur-d’eau-de-vie-après-qu’on-a-bouffé-les-cerises-du-bocal (je me redemande où je vais chercher ça !), il lui assure un surcroît de félicité en sautant à pieds joints sur son estomac. Il se produit alors un « flaoufff » de voile hissée que le vent engouffre[20] brutalement.
Je m’accroupis près de l’estomaqué pour le fouiller. Très intéressante provende : un pistolet extra-plat à balles syntocarburées, un minuscule magnétophone de fouille, un stylo-seringue, une chevalière-Borgia, au chaton empli de cyanure, un appareil fouinazard à biocraduque incorporé, une writmaster filoutée, un tube de convergerie moussante, un hypoglabouille de protection à capuchon, de l’argent finnois, américain, suédois et de poche, un mouchoir, un paquet de cigarettes bulgares, trente deniers, un jeu d’échecs, une prise de position, sept ans de malheur, le carré de l’Hippopotamus, une vue imprenable, une force motrice, un toupet monstre, le petit dernier des Mohicans, une gueule de raie, une raie au milieu, un milieu biologique, une logique imparable et une pochette d’allumettes suédoises !
Drôlement équipé, le frère, t’avoueras, comme dit Béru.
Nous lui ligotons les pinceaux, puis les mains derrière le dos et, en attendant qu’il daigne reprendre ses esprits, je me mets à explorer sa voiture.
Alors là…
Alors là, mon petit garnement, on s’aperçoit qu’il s’agit d’un véritable centre opérationnel. Tudieu, la belle carriole ! D’apparence, elle est anodine et cossue. Mais pour peur que tu te mettes à la trifouillarder un brin, tu découvres des choses puissamment astucieuses. Que, par exemple, la banquette arrière bascule, démasquant : un poste émetteur, un télex, un laboratoire photo, un autre d’analyse logique, un troisième d’analyse médicale, une panoplie d’armes électroniques, un vivarium portable comportant : scorpions, serpents minutes, araignées du Brésil sous plaques infrarouges à thermo-vulveur estompé. Tu passes par-derrière, t’ouvres la malle. Et tu déboules chez James Bonde : deux tubes lance-torpilles, un rayon laser, un autre d’articles de pêche, un projecteur foutrical, mitigé ultra-sons et lumière noire. Tout ça… Plus des trucs incomprenables. Jamais vus. Dangereux. Efficaces. A manipuler avec un soin extrême. Que sinon t’as les claouis dans le pin géant. Madoué ! Ce fourbi ! Achtung ! Dangerous ; si pas artificier s’abstenir. Maman, au secours ! Non content de ça, tout pareillement aux trois orfèvres, je soulève le capot. Part et d’autre du moteur, des tubes lance-fusées, tu juges ? Et puis, entre les phares, un giclamètre pétrousquin. Tu branches et ça désintègre cent yards en avant. Non, mais tu mords un peu le danger qu’on a échappé si nous avions tenté la sortie héroïque, tout à l’heure, le Gravos et moi ? Ce salaud appuyait sur un bouton et on virait purée de pois chiches !
— Tu t’y r’connais dans tout ce cheni’ ? s’inquiète le Mastar.
— Plus ou moins. M’est avis que ces gonziers sont à la solde d’une grande puissance, comme on dit dans les journaux, pour se permettre un tel équipement. Cette chignole vaut plusieurs milliards d’anciens francs.
— Elle a même pas des vitres pare-balles ! objecte le Mammouth en montrant le pare-brise éclaté.
— Parce que ce n’est pas un char d’assaut, mais un P.C.
Assis en biais, sur la banquette avant, je procède à un examen méticuleux du fourbi découvert sur le faux Kipeët. D’après ses papiers, il se nommerait Boris Orangyz et serait bulgare. Moi je veux bien, qu’est-ce que ça peut me foutre ? Des Bulgares, il en faut, non ? Sinon la Bulgarie servirait pas à grand-chose, et qui l’habiterait en dehors des Russes ? Hum ? Bon.
Une chose, parmi toutes les autres, retient mon attention. Et je vais te la dire car j’ai avec ta pomme toutes les faiblesses ; même que ça finira par me jouer des tours, je pressens, cette trop grande confiance. Ce qui m’intrigue, ce n’est pas son stimulateur de flatulence, pas plus que son décontribueur de suavité, non, ce qui me turlupine le turlupin, c’est son porte-clé. Et ce porte-clé se trouve au tableau de bord de la voiture, t’entends, l’aminche ? Puisque la clé de contact du véhicule est engagée. Il est bizarroïde, ce porte-clé. J’vais t’expliquer. Ce qui surprend, c’est sa taille. C’est pas de l’article de poche. Plutôt le genre de machin-chose auquel on fixe la clé d’une chambre d’hôtel pour dissuader le client de l’enfouiller. Il s’agit d’une plaque d’environ dix centimètres de long sur quatre de large. Cette plaque est en matière plastique d’un blanc un peu laiteux, encadré d’acier. Et de la voir pendouiller près du volant me paraît incongru. Je lui soupçonne une utilité plus importante. Elle n’est porte-clé que pour s’assurer une espèce d’incognito. C’est le coup de la lettre volée. On ne prête pas attention à ce qui est placé en évidence. Cette plaque flanquée de clés est devenue un porte-clés. Point à la ligne.
Et Messire Antonio, dit Œil-de-lynx, dit Langue-de-velours, dit Brosse-toujours, dit Super-flic, dit le Vermot-fougueux, dit Longue-commak, dit Casse-plumard, dit Diabolic’man, dit Queue-d’airain, dit Cœur-en-fête, dit Crac-zyboum, dit la Minette enchantée, dit l’Homme-à-la-main-de-partout, Messire San-A., lui, il renifle quelque chose parce qu’il n’a pas un loukoum à la place du cervelet.
Et que fait-il, le très somptueux Santonio chéri ? Il dégage cette plaque de son trousseau, la tourne, retourne, palpe, sent, regarde, goûte. Il est aux tu sais quoi ? Aguets. Il sent le mystère. Il le voit. Il veut le percer. Ah ! le génial garçon. Mais d’où lui vient donc ce quelque chose qui fait de lui autre chose ? Il est né d’un homme et d’une femme, cependant ! Il mange, dort, boit, copule, défèque, transpire comme tout mammifère. Alors ? Hein, alors ?
20
Accepte ma phraséologie sans barguigner, car si tu barguignes avec moi, tu vas au-devant de mon derrière.