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PREFACE

La rapide et merveilleuse carrière de Jeanne d'Arc est un rayon de soleil au milieu des plus terribles malheurs de la France ; la catastrophe du siège de Compiègne, en 1^30, la termina comme par un coup de foudre.

Chef d'armée à dix huit ans, la bergère de Domrémy, conduisant à la victoire de rudes soldats, des chevaliers et des princes, accourait avec trois ou quatre cents hommes au secours de Compiègne assiégé par les Anglais et défendu par Guillaume de Flavy. Le jour même de son arrivée, sa troupe, à peine reposée, attaqua vigoureusement le camp des assiégeants, mais ceux-ci battus d'abord, survinrent en grandes masses et refoulèrent la sortie jusqu'au gros rempart établi à la tête du pont de Compiègne:

Alors, soit par sàîie d'ùh'e pàiiiqiKè'ii'es assiégés, craignant de voir les Anglais pénétrer dans'M pl,à]ce pêSe-mêle avec les derniers combattants de la sortie, soit par trahiéon',-dU moment où Jeanne, qui combattait à l'extrême arrière-garkbiyàUûili/'-éMrer en ville, le pont-levis se releva, la laissant se débattre"a grands coups d'épée parmi la foule des Fassaillants. Précipitée à bas de son cheval, elle fui faite prisonnière ainsi que son frère Pierre iVArc et Xaintrailles, et son long martyre commença qui devait finir au bûcher de Rouen.

Depuis celte époque, le souvenir du drame plane sur les rives de rOise, où le vieux pont de Compiègne vit passer Jeanne marchant à V ennemi pour la dernière fois, et le soupçon delà trahison pèse sur le gouverneur de Compiègne, Guillaume de Flavy.

Et pourtant ce gouverneur, après la prise de Jeanne cVArc repoussa toutes les tentatives de corruption cl continua à lutter courageusement sur ses remparts; il défendit pendant six mois contre toutes les attaques la ville confiée à sa garde. Jusqu'au Jour oii une nouvelle troupe de secours étant survenue, il put avec son concours, en Jetant la garnison et les gens de Compiègne sur les bastilles ennemies, emporter tous les retrancliemenls et forcer les Anglais ci lever le siège.

Un frère de Flavy péril pendant le siège et lui-même ne se ménagea pas. Si le pont se releva devant Jeanne, ce ne fut cerlainementpas sur un ordre de Flavy, personne ne l'en accusa alors; il est permis de penser que le crime fut le fait de quelque traître introduit parmi les défenseurs de la porte, et nous pouvons, sur le grand drame historique, aux détails demeurés inconnus, supposer ou_ imaginer telles circonstances et telles explications.

Le vieux ponl n'existe plus, on le connaît cependant par quelques plans et par un dessin datant du règne de Louis XIII, alors que ses défenses extérieures se dressaient encore à peu près intactes ci l'endroit où Jeanne fut prise.

Sur le marché.

ssis à califourchon sur une planche,' en haut d'un échafaudage dressé devant le nouveau grand portail, tout clair et tout frais, de l'église Saint-Corneille, le brave Jehan de Compiègne, ymagicr de son état, c'est-à-dire sculpteur, tailleur d'images en pierre, travaillait avec une animation extraordinaire à grands coups de ciseau, tout en parlant et grommelant très haut comme s'il avait de la peine à s'entendre réfléchir, à travers le bruit du marché qui se tenait en bas.

— Ah! ah! mauvais chien, double pendard, triple larron!... Pan! attrape ce coup sur ton nez de voleur! Tiens!... C'est tout à fait bien ressemblant maintenant, ton museau de détrousseur de braves gens!... Pan! attrape encore! ça me soulagera peut-être, je suis de mauvaise humeur aujourd'hui.

C'était sur une longue gargouille, destinée à rejeter l'eau loin de la balustrade du portail, que Jehan s'escrimait; elle venait d'être tout récemment posée et le sculpteur lui donnait quelques dernières retouches d'un ciseau un peu rude. Cette gargouille, sur un corps d'animal étrange, vampire ou dragon pustuleux et griffu, avait une tête humaine au vaste gosier tordu par la plus horrible et la plus méchante des grimaces. Elle n'était pas seule, tout le long des bâtiments d'autres tendaient la tête : guivres à gueules menaçantes, diables cornus, êtres fantastiques moitié hommes, moitié bêtes, contorsionnés, hurlants ou ricanants, taillés dans la pierre par un ciseau énergique et violemment caricatural.

— Eh bien, et moi? grommelait Jehan, je parle des autres! Est-ce que je vaux mieux, tout de même? Bon garçon, certainement, personne n'a jamais dit le contraire, même ceux avec qui j'ai eu des discussions un peu vives, puisque si je leur avais, par hasard, donné un peu plus que leur compte en coups de poing, je mettais sur leurs bleus un emplâtre d'amitié repentante, avec le baume de quelques jolis flacons!... Et ceux qui oseraient dire que je ne suis pas le plus gentil des garçons, je leur rentrerais vivement leur mauvaise opinion dans la gorge à coups de pied... Mais j'ai le droit de le dire, moi, et de proclamer, et je le proclame, ici tout haut, devant tous ces imbéciles qui m'entendent.

oui! devant vous tous, les gens d'en bas! que je ne vaux pas mieux que ce brigand de Rongemaiile l'usurier! Non, je ne vaux pas mieux... dans un autre genre, c'est vrai, mais pas mieux! pas mieux! non pas mieux! Et celui qui dirait le contraire, je... Hélas! je suis faible! je suis très faible! j'ai

Repos au soleiL

toujours été trop faible, et c'est ce qui m'a perdu... Faible contre le pécbé, contre mon petit penchant pour la bonne chère et la paresse, pour le repos au soleil sous les arbres, le repos accompagné de menues distractions : jambonneries, saucisses et petits vins de Touraine expéditifs! Oui, voilà comme j'étais et comme je suis, c'est-à-dire comme je ne peux plus être, puisque en raison de ces faiblesses coupables, honteuses, abominables... et délicieuses, j'ai mangé tout mon bien jusqu'à la dernière bribe!... Mais à partir d'aujourd'hui, je le jure, me voilà bien corrigé, décidé à rentrer dans la bonne voie, la voie du travail, du pain sec et de l'eau claire!... C'est juré! D'ailleurs je ne pourrais plus faire autrement, puisque de mon tout petit avoir il me reste... Combien me reste-t-il? Oh, inutile de tàter ma bourse plate, il me reste juste un tout petit écu. Aussi me voici repen-

L usurier Rouaremaillc.

tant, bien repentant, — quoique toujours affligé du même appétit, hélas!

Jehan laissa pendre ses bras et prit sur sa planche une attitude contristée.

— Mais qu'est-ce que je dis? Mangé tout mon bien, moi? Tout? Ah! Plût au ciel! Mais ce n'est pas vrai, je n'en ai croqué que la moitié, le quart, peut-être, et c'est ceRongemaille, l'usurier, qui m'a dévoré les trois autres quarts, le gredin!

Jehan, d'un violent coup de ciseau, accentua la grimace de sa gargouille, fendit la gueule un peu plus, puis il se mit à creuser des plis et des rides pour faire saillir les pommettes et ajouter, s'il était possible, à l'expression hypocrite et méchante du museau de la bête.

— Tiens! fit-il en regardant au-dessous de lui, vers une étroite maison serrée entre deux contreforts sur le flanc g-auche de l'église, le voilà sur sa porte, le vilain Ronge-maille, usurier de malheur, araignée des pauvres bonnes

— Fais des gargoirilles, fais des monstres grimaçants I

gens à court d'argent sonnant... Oui! tu guettes quelque imbécile comme moi, à eatortiller et à duper, quelque pauvre diable de débiteur sur lequel tu exerceras tes crocs... Je suis curieux de voir la grimace que tu vas faire quand tu te reconnaîtras dans celle-ci, car tu te reconnaîtras, mon ami, elle te ressemble assez bien maintenant, ma mau-vaise bête de gargouille, c'est toi, c'est bien toi, tout à fait toi... L'abbé de Saint-Corneille me l'a dit en me faisant des reproches — un peu bien mérités, je le reconnais; —il m'a dit maintes fois : « Non, Jehan, mon cher enfant, non tu n'es pas digne de sculpter la Vierge du portail, pas même le tout dernier petit saint du paradis^ tu mènes une vie trop peu exemplaire pour cela... Fais des gargouilles, des monstres grimaçants, tu ne mérites pas autre chose. »