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C'est l'avis de tous, aussi bien des gens sur la place que de ceux (|ui garnissent toutes les fenêtres des maisons. C'est notamment l'avis de maître llongemaille, apparu sur son huis avec la mine d'un homme qui se r(;-veille à peine.

Une corde, une bonne corde? Tout de suite, maître Rongemaille va vous trouver cela. Vous avez bien raison ! Inutile de déranger le bourreau pour cegredin qui a assassiné le messager du gouverneur.

Jehan des Torgnoles, assis à terre, maintenu autant par sa faiblesse que par des poings vigoureux, regarde et entend sans comprendre tout à fait. Hélas, l'horrible rêve continue. IjCS gens qui l'entourent sont-ils des routiers anglais? Est-ce du populaire de Compiègne? Il ne sait au juste. Est-il en ville ou bien encore dans les halliers de la forêt? Il ne reconnaît vraiment que le pauvre Bonvarlet étendu sur le pavé, figure tragique. Et aussi, au premier ramg des gens qui l'en-

A demi assommé.

tourentetle plus acharné aie maltraiter, l'usurier Rongemaille au rictus féroce.

"Quoi? on l'accuse d'avoir assassiné Bonvarlet?C'est un cauchemar causé par la fièvre et qui va se dissiper tout à l'heure ! Mais des mains lui passent une corde au cou, on le pousse, on le soulève, on le hisse. La corde est jetée à la première balustrade du portail. Il n'y a plus qu'à tirer et justice sera faite de l'assassin de Bonvarlet.

Cette fois Jehan se débat, il se secoue violemment pour se réveiller et pousse des cris de fureur. Moi? assassin de mon maître Jacques Bonvarlet ! Moi qui courais depuis deux jours et deux nuits pour le sauver ! Moi qui ai failli tomber sous les coups des routiers qui le poursuivaient!... Je veux voir le gouverneur ! Prévenez-le ! Il y a dans Compiègne des

La corde impitoyable'se tend.

traîtres qui doivent livrer la ville... A moi, messiredeFlavj! Il y a des traîtres... Tenez dans cette maison que je guettais cette nuit...

La main de Rongemaille tire sur la corde. Mais .lehan, hagard, les yeux hors de la tête, a retrouvé toute sa force, il se dégage à demi, étend le bras vers le portail.

— Vierge de pierre, saints et saintes du portail, s'écrie-t-il, je vous appelle en témoignage. Vous avez vu ce meurtre horrible, vous avez vu l'assassin! Est-ce moi. Vierge de pierre? Parlez, je vous adjure! Dites que je ne suis pas coupable de ce crime ! Dragons, serpents, basilics sculptés dans la pierre, parlez !

Hélas, sous la fureur de la foule, la corde impitoyable se tend, Jehan va périr.

— L'assassin, crie Jehan à demi étranglé, le traître qui veut livrer la ville aux Anglais, il est dans cette maison, je vous dis... Mais non, il est ici, je le vois le traître, l'homme-des Anglais... c'est...

Un cri de femme lui répond dans la foule. Une jeune fille qui accourait en larmes et venait de s'écrouler sur le corps du pauvre Bonvarlet, a levé la tête et reconnu Jehan porté au-dessus des têtes furieuses.

Elle voit la corde et devine avec horreur l'accusation qui pèse sur le malheureux, l'affreux péril où il se trouve.

— Lâchez-le, ce n'est pas lui! Il est innocent! Oh ! Jehan, peut-on t'accuser de m'avoir tué mon père, non, non, c'est impossible, ce n'est pas lui, lâchez-le au nom du ciel, au nom de mon père, il est innocent je le jure !

— Merci, Guillemette, murmura Jehan, vous me croyez, vous!...

— Et moi donc! cria d'une voix indignée la servante

Martinotte qui avait suivi Guillemette et sanglotait à genoux de l'autre côté du cadavre, je le jure bien aussi, qu'il est innocent, le pauvre agneau. Làchez-le tout de suite, tas de monstres, ou je vais vous arracher les yeux à tous!. .

— Et pourquoi l'aurais-je tué? s'écria Jehan profitant de l'hésitation de la foule, pourquoi?

— Pour voler l'or qu'il rapportait à la garnison, hurla Rongemaille les yeux hors de la tète, et s'efforçant de tirer sur la corde, à la potence, le gueux!

Au même instant, une détonation retentit. C'étai t une bombarde anglaise, de l'autre côté de l'Oise, qui tirait sur la ville. Quelque chose passa dans l'air avec un sitllement strident, il y eut un fracas de pierres tombant sur le pavé, au milieu des cris d'épouvante de la foule.

Le boulet venait de fracasser une gargouille de Saint-Corneille, juste celle dont la tête était à la ressemblance de l'usurier Rongemaille, et avec elle la balustrade où l'on avait passé la corde pour pendre .Tehan des Torgnoles.

Jehan à demi suspendu tomba à terre, lâché par ceux qui le tenaient. Les plus furieux s'écartèrent vivement sous les fragments de pierres qui pleuvaient.

— Lâchcz-le, il est inuoccut

Jehan poussa un cri de ti^iomphe.

— Je vais vous le montrer, le traître, l'assassin ! Vous voyez bien que je suis innocent, que je n'ai pas commis le crime, vous voyez bien, la bombarde anglaise elle-même a proclamé mon innocence, et elle a montré le coupable... A moi, braves gens, à moi, accourez, le traître, je vous le livre, le voici!

Et, traînant la corde toujours attachée à son cou, bousculant bourgeois et soldats, Jehan sauta à la gorge de Ronge-maille terrifié.

— L'assassin, c'est lui! Croyez-moi, braves gens ! c'est lui! lui!... J'y suis maintenant, je comprends tout!... l'homme entré devant moi par le rempart c'était maître Bonvarlet, c'estlui que j'ai suivi jusqu'ici et que j'attendais sous le portail... Celui qui l'a assassiné, c'est Rongemaille... Le traître qui est dans Compiègne et dont j'ai entendu le chef des routiers parler, le traître qui doit livrer la ville aux Anglais, c'est Ronge-maille!... Voyez comme il tremble! Assassin, tu avoues! A moi! à nous! tenez-le! mais tenez-le donc!

Rongemaille et Jehan avaient roulé à terre, hagards tous les deux, Rongemaille de terreur, Jehan hors de lui par la fureur et par la douleur que lui causait son épaule. De plus la corde qu'on lui avait passée au cou le serrait toujours, il se

Le boulet fracassait la gargouille.

trouvait à demi étrangié, et Roiigemaille cherchait à lui enfoncer sa dague dans lo. poitrine, la dague qui avait tué Bonvarlet. Enfin, d'un effort violent, Rongemaille se dégagea et bondit en arrière, renversant quelques bourgeois. Sa porte derrière lui était ouverte, il se jeta dans sa maison et on l'entendit tout de suite qui barricadait l'huis aux montants solides.

L'assassin, c'est lui !

Personne ne doutait plus maintenant; les plus acharnés contre Jehan tout à l'heure se montraient les plus indignés et les plus enragés contre Rongemaille.

— Le brigand! le traître! Il ne faut pas le manquer, lui!... — Jl a bien une tête d'assassin! Où avions-nous les yeux tout à l'heure? — Pauvre Jehan, qu'allions-nous faire? — Oh, moi, j'ai toujours prédit que le Rongemaille finirait mal!... Hardi! Enfonçons la porte! Portons-le à messire de Flavy !...

Cependant la foule, avecJehanen tête, se jetait sur laporte de Rongemaille pour l'enfoacer. Elle eût résis-lié longtemps si (les compagnons forgerons ne s'en fussent mêlés avec des haches et des leviers. Aussitôt enfoncée, les assaillants se précipitèrent. Le logis n'était pas grand, on eut bien vite parcouru les chambres du rez-de-chaussée et de l'étag-e. Personne. Rong-emaille avait disparu. Dans une chambre on aperçutquelques pièces d'or par terre sur un parquet fraîchement lavé. On grimpa au grenier, le grenier était vide. Comment Rongemaille pouvait-il avoir disparu? Dans quelle cachette s'était-il jeté? On sondait les murs, on regardait dans le puits, on explorait la cave, profonde comme elles sont dans toutes les vieilles cités et qui pouvait communiquer avec les caves voisines ou même les souterrains de l'abbaye. Rien. Personnel IjO misérable Rongemaille semblait s'être littéralement évaporé.