Nous jurons, nous, tes gars
De servir et de suivre tes pas
Maréchal, nous voilà !
Tu nous as redonné l’espérance
La Patrie renaîtra !
Maréchal, Maréchal, nous voilà !
Ils soutiennent le Maréchal et, comme lui, Laval les inquiète et les révulse.
« La France possède deux grands hommes, Philippe Pétain et Charles Maurras, écrit René Benjamin, qui est membre de l’Action française. L’un est la force de la pensée, l’autre est la force de l’action… Pétain au pouvoir couronne la pensée de Maurras. »
Le samedi 27 juillet, René Benjamin assiste à l’hôtel du Parc à la rencontre des deux « grands hommes ».
« Dès qu’il vit Maurras, Pétain se leva. Maurras s’élança, mit sa main dans celle du Maréchal et se releva, radieux. Et les yeux de ces deux hommes croisèrent leurs feux. Ce furent deux éclairs ; je crois les voir encore : la lumière du respect ; la flamme de l’admiration… Maurras eut envie de s’écrier “Sauveur, ô sauveur magnifique !” »
Cette démesure dans la célébration de la rencontre entre ces deux figures emblématiques des hommes qui gouvernent à Vichy exprime la sorte d’ivresse qui les saisit devant cette « divine surprise » que leur offre la défaite.
Ils ont enfin pu jeter à bas cet édifice républicain que l’Action française, les milieux fascisants de la Cagoule subissaient depuis des décennies.
Et ils peuvent aussi reprendre le fil de l’histoire nationale tranché par cette Révolution française qui a brisé la millénaire monarchie. La France, comme l’écrit Claudel, est « la fille de Saint Louis ».
Or l’occasion – la divine surprise de 1940 – permet d’effacer l’héritage révolutionnaire et républicain.
La Révolution nationale, c’est l’antithèse de la Révolution de 89. Et c’est aussi la revanche des antidreyfusards, vaincus il y a quarante ans.
Une nouvelle législation rétablit le délit d’opinion et le délit d’appartenance à une communauté.
C’en est fini des droits de l’homme.
Les garanties juridiques sont annulées : un simple décret ministériel peut relever de ses fonctions tout fonctionnaire. L’accès aux emplois publics est interdit à toute personne née d’un père étranger.
Toutes les naturalisations intervenues depuis 1927 sont révisées. Toute personne ayant quitté le territoire métropolitain entre le 10 mai et le 30 juin 1940 est déchue de la nationalité française. Voilà pour de Gaulle !
Les associations secrètes sont interdites : la franc-maçonnerie est visée. Tout fonctionnaire doit s’engager à ne pas appartenir aux organisations interdites.
Les Juifs étrangers peuvent être internés.
En quelques semaines, à compter du 20 juillet, la France est emprisonnée par une trame serrée de lois d’exception, et chacun comprend qu’il n’y a là qu’un début.
L’État français s’affirme bien comme le contraire de la République.
Désormais, il existe des catégories de Français qui, a priori, sont exclues de la protection des lois.
Et une nouvelle loi est en préparation, en cet été 1940 : le ministre de l’Intérieur pourra prononcer la démission d’office des conseillers généraux d’arrondissement et des conseillers municipaux.
Toute assemblée politique est soumise aux décisions gouvernementales : la République est bien morte.
Le samedi 27 juillet, deux voitures noires, des tractions avant Citroën, s’arrêtent dans le camp de réfugiés du Vernet dans l’Ariège. Une commission de contrôle allemande a obtenu des autorités française la liste des Allemands qui sont retenus au Vernet depuis le début de la guerre.
Le général François qui commande la région s’étonne – et s’indigne – auprès de Vichy qu’on livre des francophiles – il y a trois agents du 2e Bureau français de renseignements – à la Gestapo.
Vichy répond qu’il faut remettre les prisonniers en application de l’article 19 des clauses de l’armistice.
Le général François désobéit et fait évader les détenus allemands.
Il sauve, par cet acte et malgré Vichy, une parcelle de l’honneur de la France.
Mais Laval, en éclaireur de pointe, et derrière lui Pétain et son gouvernement sont convaincus qu’il faut céder au vainqueur allemand, parce que le destin de la France est d’être à ses côtés, en préservant certes la plus grande part de souveraineté. Et Laval croit pouvoir réussir à convaincre les Allemands de l’intérêt qu’il y aurait pour le Reich à choisir la France comme un partenaire respecté.
Il l’a dit à Paris à ses interlocuteurs allemands et d’abord à Abetz.
« L’Allemagne, a-t-il expliqué de sa voix grasseyante, peut faire subir de grands dommages à la France, mais il lui est impossible de l’anéantir. Chaque abus se retournera un jour contre l’Allemagne elle-même car toutes les œuvres humaines ne sont que passagères. »
Rentré à Vichy, dès le lundi 22 juillet, il rend compte de ses entretiens avec Abetz :
« Pendant deux heures, écrit Baudouin, Laval nous fait un récit fumeux, détaillé et désordonné de ses négociations à Paris. Il ne paraît pas avoir négocié mais conversé en désordre avec Abetz en s’engageant très loin…
« Il a promis une collaboration très large aux Allemands sans préciser ce qu’il entendait par ce mot. »
En fait, il a confié aux Allemands que des poursuites avaient été décidées contre les responsables de la guerre : Daladier, Gamelin, Reynaud, Mandel, Blum. L’affaire serait renvoyée devant un tribunal en formation – correspondant à peu près à « notre cour de justice populaire », souligne un diplomate allemand. Les sept juges seraient nommés par le gouvernement.
Et tous les Juifs connus seront invités à quitter Vichy avec interdiction de s’installer dans l’Allier ou le Puy-de-Dôme.
Ces preuves de servilité données, cette suite de capitulations, en vue de promouvoir la collaboration, en ce mois de juillet, ne produisent aucun résultat.
Au contraire.
Le mercredi 24 juillet, des douaniers allemands sont placés sur les crêtes des Vosges, à l’ancienne frontière de 1914. L’Alsace est annexée de fait et le lundi 29 juillet l’usage de la langue allemande y est seul autorisé.
Déjà, les Alsaciens et Lorrains d’origine française ont été expulsés !
La ligne de démarcation est, le lundi 22 juillet, fermée.
Il s’agit pour les Allemands de montrer qu’ils peuvent serrer ce garrot jusqu’à l’asphyxie de l’économie des deux zones.
« Elle peut entraîner, commente le responsable allemand Hemmen, la mort de la France, si la France et l’Allemagne ne se mettent pas d’accord pour collaborer. »
Et pour bien marquer que c’est Berlin qui décide en maître, et que la France doit s’incliner, le général Streccius, commandant de l’administration militaire en France, expulse de Paris le ministre des Finances, Yves Bouthillier, qui s’était installé rue de Rivoli pour affirmer la volonté du gouvernement de Pétain de gagner la capitale.
On ne force pas la main aux nazis.
Le lundi 22 juillet, ils prennent le contrôle des banques. Le lendemain, ils décident d’exercer un droit de regard sur la justice. Les magistrats doivent soumettre certains procès aux occupants.