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Vichy est nu.

En cette fin de juillet 1940, le gouvernement Pétain en plein désarroi s’interroge. Les Allemands l’étouffent. Faut-il attendre de mourir ?

« Il ne faut rien faire tant que je n’aurai pas reçu la réponse d’Abetz et que je ne l’aurai pas revu », répète Pierre Laval.

Pétain veut agir, voir Hitler afin de « trouver entre soldats et dans l’honneur » un accord que personne n’estime Laval capable d’obtenir.

Le Maréchal décide, si les Allemands venaient à Vichy, de confier à l’amiral Darlan le soin d’ordonner à la marine de guerre de gagner l’Afrique du Nord.

« Je ne veux pas de papier, dit-il à Darlan qui deviendrait son successeur. Je ne veux pas de papier, mais vous devez considérer mon ordre comme définitif. Je ne reviendrai pas sur cette décision. D’autre part, il doit bien être entendu qu’elle restera entre nous. »

Les mardi 30 et mercredi 31 juillet, les événements se précipitent.

Le 30 juillet, un croiseur de la Royal Navy débarque des troupes à Douala, au Cameroun.

Le lendemain 31, Londres assimile la France et l’Afrique du Nord au territoire du Reich et les place sous blocus, interdisant toute communication entre la métropole et les possessions d’outre-mer.

C’est asphyxier les colonies et condamner la France à la disette.

L’amiral Darlan veut faire escorter les convois par des navires de guerre, au risque de déclencher un conflit avec la Grande-Bretagne.

Les autres ministres refusent, mais Darlan l’anglophobe vaut-il mieux que Laval pour résister aux tentations et mirages de la collaboration ?

D’autant plus que des territoires français d’outre-mer se rallient au général de Gaulle. Les Nouvelles-Hébrides le lundi 22 juillet, la Côte d’Ivoire le jeudi 25.

Et pour que persiste la volonté de continuer la guerre aux côtés des Anglais, de refuser l’armistice, de Gaulle annonce que, pour la première fois, des aviateurs français des Forces françaises libres ont participé à un raid de bombardement de l’Allemagne.

Pour Vichy, de Gaulle c’est, comme Churchill – ou pis encore –, l’ennemi irréductible qu’il faut abattre.

Mais aux côtés des hommes de Vichy qui l’accablent de leurs accusations de trahison, et des juges militaires qui préparent son procès, L’Humanité dans l’un de ses numéros clandestins jette sa pierre au Général.

On peut lire :

« Pas pour l’Angleterre.

« Le général de Gaulle et autres agents de la finance anglaise voudraient faire battre les Français pour la City et ils s’efforcent d’entraîner les peuples coloniaux dans la guerre.

« Les Français répondent le mot de Cambronne à ces messieurs.

« Quant aux peuples coloniaux, ils pourraient bien profiter des difficultés que connaissent leurs oppresseurs pour se libérer.

« Vive l’indépendance des peuples coloniaux. »

Ces attaques contre de Gaulle indiquent qu’il devient un acteur à part entière de la guerre.

La France Libre ne compte que quelques milliers d’hommes, mais de Gaulle parle au nom de la France, et il conquiert en Afrique, dans le Pacifique, une assise territoriale.

Sa personnalité s’impose.

Il visite des camps de Volontaires, harangue les jeunes engagés, veille à en rencontrer quelques-uns en tête à tête.

Daniel Cordier est l’un de ceux-là.

« Dans une extase identique à celle des Apôtres, écoutant la parole du Christ, je reçois celle du Général », écrit-il.

Un camarade de Cordier, François Jacob[6], écoute dans ce même camp d’Aldershot le Général et le décrit :

« Il avait la majesté d’une cathédrale gothique. La solidité d’un pilier gothique… Sa voix même, profonde, hachée, semblait ricocher sous des voûtes comme un chœur au fond d’une nef gothique. Il parla. Il fulmina. Il tonna contre le gouvernement Pétain. Il dit les raisons d’espérer. Il prophétisa. »

De Gaulle devient ainsi pour ces Français Libres « l’incarnation sacrée du patriotisme ». Leur combat pour nombre d’entre eux relève d’une mystique.

Daniel Cordier note le dimanche 4 août dans son carnet :

« J’engage toutes mes forces et toute ma vie à ce seul but : refaire une France libre et chrétienne.

« Je promets à Dieu de réaliser dans ma vie un christianisme intégral et de rétablir l’ordre chrétien en France.

« Seigneur, donnez-moi la force de combattre, la Victoire est à vous seul. »

De Gaulle est en communion avec ces Volontaires.

Mais il sait qu’il lui faut vivre dans la solitude du combattant, que Churchill qui l’accueille aux Chequers, la résidence de campagne du Premier Ministre, est un homme chaleureux, mais un Anglais implacable. Il l’a montré au début du mois à Mers el-Kébir.

Il a besoin de la France Libre.

Il vient d’attribuer à ces Free French un immeuble entier de sept étages, au 4, Carlton Gardens, sur l’emplacement de l’hôtel particulier de Palmerston, dans les beaux quartiers, entre le Mall et le Pall Mall, près des clubs illustres du quartier Saint James. Le loyer fixé est de 850 livres par mois.

C’est le geste d’un allié. Mais le consul général du Canada est resté en poste à Vichy, aux côtés du maréchal Pétain. Car Churchill veut conserver un œil et une voix à Vichy.

La guerre ne fait que commencer. Qui peut dire si, à un moment donné, Pétain ne sera pas pour l’Angleterre un partenaire plus docile que ce de Gaulle, connétable de la France ?

Tels sont les hommes qui font l’Histoire !

Le samedi 3 août 1940, de Gaulle n’est pas surpris d’apprendre que le tribunal militaire permanent de la 1re région, siégeant à Clermont-Ferrand, l’a condamné à mort.

Il connaît les trois généraux qui ont prononcé la sentence. Et La Laurencie, La Porte du Theil, Frère sont des patriotes. Mais ils sont aux ordres de Pétain et de Weygand. Dès lors :

« Le colonel d’infanterie breveté d’état-major, en retraite, Charles de Gaulle, est condamné par contumace à la peine de mort, à la dégradation militaire et à la confiscation de ses biens, meubles et immeubles.

« Pour les motifs : trahison, atteinte à la sûreté extérieure de l’État, désertion à l’étranger en temps de guerre, sur un territoire en état de guerre et de siège… »

Paris-soir, devenu un quotidien « allemand », titre sur toute sa première page : « Le général de Gaulle condamné à mort par un nouveau tribunal militaire. »

De Gaulle est le premier condamné à mort du gouvernement de Vichy.

« Les vieillards qui se soignent à Vichy, dit de Gaulle, emploient leur temps et leur passion à faire condamner ceux qui sont coupables de continuer à combattre pour la France… »

Il murmure :

« Maintenant, la France est à reconquérir. »

Puis d’une voix haute, il ajoute :

« Il n’y a pas de France sans épée. Je suis un soldat français, à qui, pour l’instant, incombe le grand devoir de parler seul au nom de la France. »

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En ce début du mois d’août de l’an 1940, de Gaulle parle et on l’entend.

Il dit, revenant sur sa condamnation :

« On reconnaîtra bientôt qui trahit et qui sert la France. »

Chaque jour, la BBC retransmet l’émission de la France Libre, animée par Maurice Schumann, à la voix chaleureuse. « Honneur et Patrie : les Français parlent aux Français » L’indicatif, les sons sourds d’un gong, suivis par les mots « Ici Londres », des millions de Français les attendent, collant leur oreille au poste de TSF, de crainte d’être repérés, dénoncés.