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Un sabre émoulu est redoutable car sa lame vient d’être aiguisée sur une meule. L’emploi figuré est ancien : Rabelais employait déjà fraîchement émoulu et on parla plus tard d’un gentilhomme frais émoulu, c’est-à-dire récemment anobli. L’adjectif émoulu a laissé place à aiguisé et affûté, et il perdure dans la langue courante uniquement grâce à l’expression imagée.

Les étudiants fraîchement émoulus des grandes écoles ou de l’université n’ont donc pas été formés pour devenir de bonnes pâtes, mais pour avoir l’esprit affûté, ce qui leur permet de trancher quand il faut prendre une décision et faire les coupes qui s’imposent.

Le mot de Stéphane De Groodt

Rien de tel dans la cuisine que de préparer un plat à base de poivre frais et moulu.

Être gêné aux entournures

être mal à l’aise, se sentir gauche ; être incommodé dans son activité

Gênés aux entournures, nous voilà mal à l’aise, gauches, embarrassés. Que sont donc ces entournures qui incommodent au point d’engendrer une gêne ?

Aucun manuel d’anatomie n’indique une partie du corps ainsi nommée, pas plus qu’il n’existe de posture portant ce nom. La gêne occasionnée aux entournures est plutôt due aux vêtements que l’on porte. C’est donc chez un tailleur ou une couturière qu’il faut chercher la clé de cette expression familière. Eux savent que l’entournure est l’échancrure du vêtement dans la partie qui touche à l’épaule. Entournure, « ce qui entoure », est dérivé de l’ancien verbe entourner « mettre autour ». C’est la partie qui fait le tour du bras, l’espace où la manche est ajustée ou qui est laissée libre pour permettre le passage du bras. C’est la même chose qu’emmanchure.

L’entournure est l’endroit exact où, quand les hommes portaient un gilet, il était possible de glisser ses pouces pour montrer combien on était à l’aise. Trop étroites, les entournures risquent d’entraver les mouvements, de réduire la liberté d’action. Trop grandes, elles flottent ou permettent aux avocats, dont les robes ont de grandes entournures, de faire des effets de manches spectaculaires. Partie délicate du costume, qu’un tailleur malhabile peut ruiner ainsi que le remarque Furetière : « Cet habit serait bien, sans l’entournure des manches qui va mal ».

Au XIXe siècle, être à l’aise aux entournures signifiait l’aisance matérielle. À l’inverse, celui qui est gêné aux entournures est un peu juste financièrement. Que la métaphore porte sur la difficulté à mouvoir ses bras ou à finir le mois, la situation est tout aussi embarrassante.

Le mot de Petit Robert

entournure

[ ɑ̃tuʀnyʀ ] nom féminin

ÉTYM. 1538 ♦ de l’ancien français entourner, de en- et torn → 2. tour

COUT. Partie du vêtement qui fait le tour du bras, là où s’ajuste la manche. […]

À l’envi

à qui mieux mieux ; en rivalisant, en cherchant à l’emporter sur l’autre

On pourrait croire que cet envi est une faute d’orthographe. On interprète souvent à l’envi comme synonyme de « autant qu’on a en envie ». Et beaucoup écrivent à l’envi avec un e final fautif. Car si ces deux mots sont homonymes, ils n’ont aucun lien de parenté.

Le nom envie, de sens proche de désir, vient du latin invidia. C’est un mot de la famille du verbe voir (qui envie veut aller y voir). Envi, en revanche, appartient à la famille de vouloir. Il est dérivé d’un autre envier, verbe d’ancien français « convier, inviter à ». Cet envier était issu du latin invitare. On s’en débarrassa en reprenant la forme latine, pour en faire inviter.

Avec cette idée d’invitation, envier a signifié « inciter », « pousser », « provoquer (au jeu) » : on invite quelqu’un à relever un défi. Au XVIIe siècle encore, c’est un terme de jeu : « enchérir sur quelqu’un, mettre sur une carte une plus grosse somme qu’on n’y avait mise d’abord » écrit le Dictionnaire de Furetière.

Au Moyen Âge, l’envi sans e est donc un défi, une provocation au jeu, et jouer à l’envi de voulait dire « jouer sur le défi de l’adversaire ». C’est pourquoi à l’envi a d’abord signifié « en enchérissant » avant de prendre le sens de « sans retenue » puis de « à qui mieux mieux ».

Aujourd’hui, envi ne s’emploie plus que dans cette expression trompeuse, car son homonymie avec envie en fait l’un de ces nombreux pièges du français que les auteurs de dictées exploitent à l’envi.

À titre d’exemple

« Les femmes, coiffées de plumes et les cheveux lustrés comme des ailes d’oiseau, imitant toutes, à l’envi, l’impératrice Eugénie dans leur allure et leur toilette. »

Anatole France, La Vie en fleur, 1923.

Prendre la poudre d’escampette

s’enfuir, déguerpir

Il existe donc une jolie manière de dire que l’on prend la fuite : prendre la poudre d’escampette. On a dit aussi prendre l’escampette. Cette expression contient un terme apparu à la fin du XVIIe siècle et qui n’a survécu que dans ce contexte.

Escampette, qui signifiait « fuite », est le diminutif de escampe, venant du verbe escamper « s’enfuir, s’esquiver », en usage dans le sud de la France. Escamper a pour origine le latin campus, qui a donné au français champ et camp. Quitter le champ, cela évoque une autre formule poétique, prendre la clé des champs. Le contexte militaire du camp, n’est pas à écarter : décamper, c’est « lever le camp » et par un curieux paradoxe, ficher, foutre le camp.

L’emploi de poudre fait également l’objet d’une hésitation entre la sphère militaire et l’univers champêtre. Pour certains, il s’agit de la poudre qui explose sur le champ de bataille et fait détaler les soldats. Pour ceux qui n’ont pas oublié le sens premier, c’est la poussière du chemin que l’on soulève en courant : c’est le cas de la poudre* aux yeux.

Il est inutile de trancher entre ces deux interprétations. Après tout, le poète qui court après la liberté ne manque pas de faire appel aux métaphores guerrières pour évoquer l’amour. Et il est bien difficile de savoir si Verlaine avait en tête l’une ou l’autre de ces hypothèses lorsqu’il écrivit, dans ses Chansons pour elle : « Voulant te fuir (fuir ses amours ! Mais un poète est si bête) J’ai pris, l’un de ces derniers jours, La poudre d’escampette. »