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Tout chevalier le savait, il est rare de ne rencontrer aucune résistance. Qui attaque un adversaire est susceptible d’être frappé en retour, et d’être féru, « blessé », de manière plus ou moins métaphorique. Ainsi, être féru de quelque chose a voulu dire dans la bouche d’un médecin « être frappé d’un mal, atteint de quelque pathologie ». Mais la blessure, conformément à la tradition qui associe l’amour au modèle de la guerre, peut être celle d’un cœur qui saigne et Furetière précise qu’un cœur féru est blessé par l’amour. Cette passion excède même le domaine des sentiments : être féru d’une idée ou d’un écrivain, c’est s’en enticher.

Ce verbe férir aujourd’hui recroquevillé dans une seule expression a donc voyagé du champ de bataille à des sphères abstraites. Il a même traversé les frontières : c’est de l’ancien verbe s’entreferir, « échanger des coups », qu’est issu l’anglais to interfere, qui, dans un mouvement inverse, a suscité interférer. L’évolution de la langue suit parfois une ligne sinueuse, faite de chocs et d’interférences, en général sans coup férir.

Le mot de Stéphane De Groodt

Cette expression est à la source d’une moquerie, celle de rire aux dépens de celui qui a eu la malchance de naître sans cou.

Être sous la férule de quelqu’un

être dans l’obligation d’obéir à quelqu’un

Si on apprécie d’être placé sous l’égide* ou la houlette* de quelqu’un, on aime beaucoup moins être sous la férule d’un tiers — dont on n’est pas vraiment féru, en vérité. On serait tenté de reconnaître en férule le fer de la main qui commande, même dans son gant de velours. Mais, en dépit des apparences, la férule n’a aucun rapport avec le fer.

Comme le latin ferula, férule désigne une plante qui pousse sur les coteaux arides du bassin méditerranéen. Cette plante possède des tiges épaisses et creuses, qui deviennent très dures en séchant. De ces tiges, les Romains firent des ferulæ, aussi bien des attelles pour contenir les membres fracturés que des baguettes dont se servaient les pédagogues pour punir leurs élèves.

C’est ainsi qu’en français, à partir du XIVe siècle, on nomma férule la petite palette et la règle de bois ou de cuir avec lesquelles les maîtres frappaient la main de l’écolier récalcitrant. Au XVIIe siècle, férule a signifié plus généralement « autorité ». C’est ainsi que l’expression être sous la férule de quelqu’un évoque une domination brutale.

Il a fallu attendre la fin du XIXe siècle pour que le sens de férule perde sa valeur concrète tandis que les brimades réservées aux cancres ont peu à peu disparu. Mais si le bonnet d’âne ou le piquet ne sont plus de mise et si les élèves ne se font plus tirer les oreilles, certains enseignants n’en continuent pas moins de mener leur classe à la baguette !

Le mot du Petit Robert

férule

[ feʀyl ] nom féminin

ÉTYM. 1372 ♦ latin ferula

1. Plante herbacée (ombellifères) aux racines énormes, dont une espèce fournit assa fœtida. […]

Ne pas faire long feu

ne pas durer longtemps

Curiosité : une histoire d’amour qui n’a pas fait long feu et une histoire d’amour qui a fait long feu, cela revient au même. Du moins pour les amants. Ceci n’est pas une réflexion oiseuse sur la vanité des sentiments, c’est une réalité lexicale de notre langue pleine de surprises. En effet, ne pas faire long feu n’est pas la forme négative de faire long feu. La première idylle s’est rapidement terminée, ce n’était qu’un feu de paille, tandis que l’autre s’est soldée par un échec.

L’origine de faire long feu ne fait aucun doute. Parmi ses nombreux sens, feu désigne notamment une décharge de matière fulminante, comme dans faire feu ou coup de feu. Du temps du bâton à feu, une arme à feu appelée aujourd’hui carabine, il pouvait arriver que l’amorce d’une cartouche brûle trop lentement, de sorte que l’explosion ne se produisait pas et que le coup manquait son but. Alfred de Vigny raconte ainsi dans Cinq-Mars qu’un « pistolet avait fait long feu ». La métaphore du coup manqué est passée dans la langue courante. On dit alors qu’un projet a fait long feu quand il a été abandonné ou qu’une farce a fait long feu quand elle ne prend plus.

Cependant, l’expression négative ne pas faire long feu, « ne pas durer », a une origine incertaine. Il pourrait s’agir d’une confusion sur le sens de feu : l’origine de faire long feu étant oubliée ou mal comprise, la métaphore porterait sur la brièveté de la flamme. Alors, l’expression serait trompeuse : elle voudrait dire « durer longtemps ». Selon d’autres théories, ne pas faire long feu serait issu d’une image différente, celle du foyer allumé dans un âtre trop peu fourni pour brûler longtemps.

Les érudits auront beau faire feu de tout bois, ils ne connaîtront sans doute jamais l’origine de cette incongruité. Mais on s’amusera toujours du fait que l’on puisse faire long feu tout en ne faisant pas long feu !

À titre d’exemple

« Toto Sépulture ne fit pas long feu ; au deuxième round Jacques l’étendit à terre d’un direct à la mâchoire de derrière les fagots. »

Raymond Queneau, Loin de Rueil, 1944.

Conter fleurette à une femme

courtiser une femme

Jolie fleur, que la fleurette. Elle est surtout fleur de rhétorique puisque conter fleurette, c’est d’abord faire usage de langage amoureux et galant. Rousseau évoque ainsi dans ses Confessions un certain M. Simon qui était « grand conteur de fleurettes » : non pas jardinier ou botaniste mais amoureux bavard.

D’où vient cette « fleurette » ? Son suffixe en fait une « petite fleur », simplement. On trouve dès le XIIe siècle une florette de même sens, encore proche du latin flos, floris, qui devint par métaphore une galanterie, un propos tendre et amoureux, d’autant plus apprécié qu’il s’accompagne d’un beau bouquet.