Au XIXe siècle, forfeit traverse une nouvelle fois la Manche… mais à cheval ! C’est dans l’univers des courses hippiques que le mot réapparaît en français, retrouvant sa forme écrite d’origine. Il désigne alors l’indemnité que doit payer le propriétaire pour retirer d’une course un cheval déjà engagé. Ce sens s’est étendu à tous les sports, et c’est dans ce contexte qu’apparaît l’expression déclarer forfait, bientôt employée au figuré.
Les échanges entre l’anglais et le français ont toujours été nombreux. Avec ce va-et-vient, forfait s’est éloigné du sens qu’il avait au Moyen Âge, au point de devenir un autre mot : l’abandon d’un compétiteur n’a rien d’un crime affreux.
« Cela ajoutait à ma conviction, s’il en était besoin. Avant d’être écrasé, liquidé, à terre, vidé de son sang, on ne déclare pas forfait.
Ce n’est pas foudre de guerre
Le seul foudre masculin que l’on connaisse aujourd’hui est un tonneau de grande taille. Ce qui n’explique pas ce foudre de guerre : il y a peu de rapport entre la guerre et les barriques.
Contre toute attente, c’est de la foudre qui se produit par temps d’orage qu’il est question dans cette expression. Dans la rhétorique classique, il était d’usage d’employer ce mot au masculin : fulgur, l’étymon latin, est neutre, et sa forme plurielle fulgura (qui nous conduit à fulgurant) a été prise pour un féminin.
La force, la violence et la soudaineté ont toujours été associées à la foudre : n’est-elle pas, avec l’égide*, l’un des attributs de Zeus, le plus puissant des dieux de l’Olympe ? Le stoïcien Cléanthe, dans son Hymne à Zeus, évoque « l’auxiliaire que tu tiens en tes mains invincibles, Le foudre à double dard, fait de feu ». Cette arme divine est à l’origine de l’expression foudre de guerre, qui désigne dès le XVIIe siècle un grand capitaine, un guerrier redoutable, capable de susciter la terreur, de frapper fort et vite. Un foudre d’éloquence désignait un adversaire habile de sa langue comme le foudre de guerre l’est de son épée.
Est-ce l’évolution de l’art de la guerre qui explique celle de l’expression ? L’image du guerrier puissant s’est effacée devant celle du général de génie, de l’habile stratège : l’idée d’intelligence s’est substituée à celle de force. L’expression est progressivement sortie du domaine militaire. Elle ne s’emploie plus qu’à la forme négative et par plaisanterie, pour évoquer les individus peu agiles d’esprit et inefficaces. Mais on doit se garder de les cataloguer trop vite : on a déjà vu des imbéciles touchés par un éclair de génie.
« Lui, l’air con, même veule, je dirais : j’ai tout de suite vu que c’était pas un foudre de guerre. »
Faire un four
La Grange, comédien et comptable de la troupe de Molière, écrivait régulièrement dans son cahier de comptes que la représentation avait fait un four, nous rappelant ainsi que la gloire de l’illustre Théâtre n’est pas née en un jour. Mais il n’expliquait pas le rapport entre la comédie et la cuisson.
La formule est apparue au XVIIe siècle, d’abord sous la forme faire four. Dans son Dictionnaire, Furetière affirme que « En termes de comédiens, on dit faire un four pour dire qu’il est venu si peu de gens pour voir la représentation d’une pièce, qu’on a été obligé de les renvoyer sans la jouer ».
Deux explications ont été avancées, basées sur une même constatation : le mot four était déjà une métaphore répandue pour exprimer l’obscurité d’un lieu. L’expression est peut-être née d’un jeu de mots basé sur un sens disparu du verbe éclairer : il signifiait « payer ». Une pièce de théâtre qui ne faisait pas recette n’était pas « éclairée ». Et avec le sens habituel du verbe, si la scène et la salle ne sont pas éclairées, les voilà sombres comme un four éteint. L’autre explication est plus simple. Faute de spectateurs en nombre suffisant, la représentation n’étant pas rentable, on l’annulait. On faisait ainsi l’économie des lumières, ce qui plongeait le théâtre et le spectacle dans l’obscurité.
C’est toujours à propos de productions artistiques que l’on emploie le mot four pour exprimer un échec. Mais que les saltimbanques victimes de ces infortunes se rassurent : comme Molière et sa troupe, il faut souvent essuyer bien des revers avant de faire un carton*.
« Échaudé par une précédente maîtresse qui, en exigeant le rôle titre d’une de ses pièces, en avait fait un four, il professait maintenant que, pour un auteur dramatique, il n’était pas de pire péril que de coucher avec les actrices. »
Passer sous les fourches caudines
On pouvait lire récemment que « le budget de l’Union européenne devait passer sous les fourches caudines des États ». Cette perspective présageait des contraintes, des épreuves qui mettaient en cause ce budget, mais auxquelles il faudrait se soumettre. C’est une manière d’indiquer qu’il va falloir se plier, contre son gré, à des conditions drastiques.
D’où sortent ces fourches menaçantes ? Qui les brandit ? Il n’est pas question ici d’instrument agricole fourchu, mais d’un épisode de l’histoire romaine. Au IVe siècle avant notre ère, la conquête de l’Italie par les Romains se heurte à des résistances. Il leur faut trois guerres pour venir à bout des Samnites, peuple sabellien d’Italie centrale. La deuxième se termina en 321 par une défaite romaine mémorable, près de Capoue, non loin de Naples. Les Fourches caudines tirent leur nom du site de la bataille : montagneux, il comporte un défilé, formé de deux étroites gorges se rapprochant en forme de fourche, et le qualificatif rappelle le nom du lieu, Caudium.
Les Romains, s’étant laissé enfermer dans ce défilé, furent forcés de se rendre malgré leur nombre, leur technique militaire éprouvée et la présence de deux consuls à leur tête. Magnanime, le général samnite accepta de laisser partir les vaincus non sans les avoir dépouillés de leur équipement et contraints à passer sous le joug. Chacun, des plus hauts dignitaires aux simples soldats, dut subir cette humiliation publique et les Samnites, s’ils n’ont pas pris Rome, ont ce jour-là pris « la bravoure et la fierté des Romains » rapporte Tite-Live, qui ajoute que c’est « un titre de guerre beaucoup plus important ».