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L’expression, apparue à la fin du XVIIe siècle avec son sens figuré, rappelle cet affront. À cette époque, l’histoire romaine était une référence évidente. Aujourd’hui, les fourches de Caudium sont un mystère. Si l’expression n’a rien à voir avec une fourche, arme potentielle associée aux jacqueries ou au diable, la douleur qu’elle évoque est tout aussi cuisante.

Le mot de Petit Robert

fourche

[ fuʀʃ ] nom féminin

ÉTYM. XIVe ; fin XIe forches (plur.) « gibet » ♦ latin furca […]

II. 3. (forc XIIIe) Endroit où un chemin se divise en plusieurs directions. […]

À la bonne franquette

sans façon, sans cérémonie

Plutôt sympathique, ce diminutif. Mais on ne s’en sert pas. Ce pourrait être une « bonne petite franchise », car franquette n’est autre que la version normande et picarde de franchette, la « petite franche ».

Même en pays de Caux ou chez les Ch’tis, le mot franquette n’eut aucun succès, à notre connaissance, du moins. Mais voici qu’au XVIIe siècle, on se mit à dire, pour exprimer la franchise d’un propos, à la franquette. Apparemment, Normands et Picards appréciaient mieux que d’autres une parole franche et directe (peut-être pour remédier au proverbial « p’têt ben qu’oui, p’têt ben qu’non »), sans quoi on eût dit en terre françoise à la franchette. Mais il est vrai que l’adjectif franc continue de s’écrire avec un c, par fidélité au latin médiéval francus, qui vient des Germaniques appelés les Francs, « les hommes libres », d’où les affranchis, qui n’étaient pas devenus les truands du film de Martin Scorsese.

Nous pourrions encore dire à la franquette dans ce sens de « bien franchement, sans hésitation ni détour », puisqu’on peut l’entendre quand des comédiens jouent la pièce de Molière Le Médecin malgré lui : « confessez à la franquette que vous êtes médecin ». Et l’on continuera à parler, à s’exprimer, à dire avec franchise et simplicité, c’est-à-dire « à la bonne franquette ».

Il faut croire que la simplicité et l’absence de chichis l’emportèrent sur la sincérité, car, peu à peu, l’expression s’appliqua non plus aux paroles, mais au comportement. On s’invita désormais à manger à la bonne franquette, et ce fut « sans cérémonie ».

À titre d’exemple

« Les invités finissaient de s’installer en désordre, qui sur des fauteuils de décor, qui sur des chaises de fortune ou sur des caisses, à la bonne franquette. »

Anne-Marie Garat, Dans la main du diable, 2006.

Ronger son frein

contenir difficilement sa colère, son impatience, son dépit

Quel rapport entre le dispositif qui permet à un véhicule de ralentir et de s’arrêter et le fait d’user ou de détruire avec les dents ? Aucun, et nul automobiliste n’est capable de mettre à mal ainsi les freins de sa voiture, même avec l’aide de son dentiste.

Ronger est l’affaire d’une famille animale appelée pour cela les rongeurs. Ils n’ont en général pas de relation privilégiée avec les freins. Mais les mots aussi sont des rongeurs, de sens. Ronger vient du latin rumigare, qui se disait de l’action des ruminants lorsqu’ils écrasent l’herbe avec leurs dents. Frein (frenum) ne concernait pas les vaches mais les chevaux. Il servait à les tenir immobiles ou bien, trottant ou galopant, à les retenir… Ce frein antique des chevaux pouvait être un mors, et ce mot est en rapport avec mordre : on dit d’ailleurs prendre le mors aux dents pour s’emballer.

Passer entre les dents du cheval la pièce de métal appelée frein fait partie du harnachement. L’association du frein avec la bride est restée sensible dans la langue : freiner est en rapport avec brider. Mais ce frein hippique, à la différence de tous les freins techniques qui font pression sur les roues de nos véhicules, agit sur la bouche du noble animal. Impatient de galoper, mais retenu par son cavalier, le cheval ne peut s’en prendre qu’au frein qui lui scie les commissures. La seule réaction qui lui est permise, faute de pédale de frein, est de mâchonner son frein à lui, jusqu’à l’user, ce qui s’appelle ronger.

L’image est devenue incohérente, depuis que les véhicules terrestres, dont on dit d’ailleurs qu’ils représentent un certain nombre de ces montures mythiques appelées chevaux fiscaux, sont munis de dispositifs techniques de ralentissement et d’arrêt nommés obstinément des freins. La bizarrerie de nos expressions est souvent le témoin de l’entêtement de notre langage, qui refuse le changement, quitte à manifester une certaine impatience : la langue veut bouger. On peut dire qu’elle aussi ronge ses freins.

À titre d’exemple

« Au lieu de la perdrix et du lapereau que j’avais fait mettre à la broche, on m’apporta un petit pain bis avec une cruche d’eau, et on me laissa ronger mon frein dans mon cachot. »

Alain René Lesage, Histoire de Gil Blas de Santillane, 1715–1735.

Et tout le saint-frusquin

et tout le reste

Comme et tout le tralala, et tout le saint-frusquin fait partie de ces formules expressives qui peuvent remplacer et cætera, « et tout le reste », à la fin d’une énumération. Mais si l’on se doute que la première vient d’une onomatopée, on aimerait bien savoir quel est ce frusquin qui dans la seconde peut évoquer tant de choses.

Le mot a désigné aussi bien une pièce de vêtement qu’une pièce de monnaie. Dans l’argot de l’époque de Louis XIV, un frusquin était un habit. C’est de ce mot que vient frusques, encore bien connu pour parler péjorativement des vêtements. Si quelqu’un avait perdu tout son frusquin, c’est qu’il avait égaré tout ce qu’il possédait d’effets personnels et d’argent.

C’est peut-être grâce à l’adjectif saint que ce nom s’est maintenu jusqu’à nous : par ce pied de nez lexical, de petites choses sans importance accèdent au rang d’objets sacrés. Et ce saint est sans doute apparu sous l’influence de saint crépin, qui désignait l’ensemble des outils des cordonniers. Crépin étant le patron de leur corporation. On disait porter tout son saint-crépin pour « transporter tout ce que l’on possède », à la manière des cordonniers se déplaçant de ville en ville avec leur matériel. Par analogie, saint-frusquin a désigné les économies et l’on pouvait boire ou manger tout son saint-frusquin, c’est-à-dire dilapider tout son bien.