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Les US et coutumes
« À Rome, fais comme les Romains. » C’est au respect des usages locaux que cet adage invite : en voyage, se plier aux règles de l’endroit où l’on se trouve est préférable. Inciter à observer les us et coutumes d’un pays revient à dire qu’il faut en respecter les habitudes installées, les traditions. Si le terme coutume s’est maintenu dans d’autres emplois, ce n’est pas le cas de cet us qu’il ne faut surtout pas prononcer à l’anglaise, car il ne signifie pas « nous ».
Le français a tendance à étoffer les mots courts en leur adjoignant le suffixe — âge. Courage était synonyme de cœur jusqu’à l’époque de Louis XIV. Vis, qui survit aujourd’hui dans vis-à-vis, est quant à lui devenu visage. Ore, « vent », se maintient secrètement dans orage. C’est sans doute le même phénomène qui a affecté les us, synonyme archaïque de sa version actuelle, les usages.
« C’est la manière ordinaire d’agir qui a passé en force de loi » : c’est ainsi que Furetière définit us. Il signale un autre mot de sens proche, usance, disparu lui aussi, qui s’employait en contexte similaire : « Les juges doivent avoir égard à l’usance des lieux. » Us comme usance et usage appartiennent à une grande famille d’origine latine réunissant user, utile, outil, usurper…
Us, apparu au milieu du XIIe siècle, se voit rapidement accompagné du synonyme coutume et relégué au rang de « vieux mot ». C’est là un procédé attesté : coupler deux substantifs de sens proche pour renforcer celui qui est tombé en désuétude. Le même phénomène est à l’œuvre dans la tournure au fur* et à mesure, dans aujourd’hui, où hui veut dire « ce jour », et de manière évidente, dans ne bouger ni pied ni patte.
Les us et coutumes pourrait aussi bien se dire les us, les usages ou les coutumes, sans que la signification en soit affectée, mais on manquerait aux us et coutumes du français en amputant cette expression !
« Le consul […] nous dit que nous étions des fous, qu’il fallait respecter les us et coutumes des pays où l’on voyage. »
V
N’avoir pas un sou vaillant
« Les Français sont naturellement vaillants », selon Furetière, qui écrit aussi : « Cette fille a épousé un Gascon qui n’a pas un sou vaillant ». Est-il possible que les Français soient plus vaillants que l’argent des Gascons ? Cela ne concerne que le contenu de leurs bourses ; qui n’a pas un sou vaillant, autrement dit celui qui est « sans un », fauché, démuni, peut se montrer valeureux.
Vaillant est l’ancien participe présent du verbe valoir, ainsi que nous le rappelle le dictionnaire d’Émile Littré : « Vaillant est un participe archaïque de valoir. Aussi au XVIIIe siècle, on hésitait entre avoir vaillant et avoir valant ; la province disait valant ; Paris disait vaillant. C’est Paris qui l’a emporté. »
Le mot possédait plusieurs significations : comme adjectif, il renvoya d’abord à l’idée de valeur, de ce qui vaut beaucoup. Il s’est ensuite employé pour « valant, ayant la valeur de », d’où notre expression qui signifie littéralement « ne pas avoir un sou qui ait de la valeur ».
Vaillant s’appliqua ensuite a une personne qui a du courage. Au Moyen Âge, on prénommait les petits garçons Vaillant, et prince Vaillant est toujours admiré. D’un soldat valeureux, on disait au XVIIe siècle, « il est vaillant comme l’épée qu’il porte ». Avec le temps, le mot est devenu littéraire ; on lui préfère aujourd’hui les adjectifs courageux ou brave. De nos jours, vaillant s’emploie en effet plutôt pour qualifier une personne qui a de l’ardeur au travail, ou une personne malade ou âgée qui est cependant capable d’agir. Mais on continuait à employer l’adjectif pour la valeur financière, au point que le vaillant, nom masculin, désigna à la fin du Moyen Âge l’ensemble des biens que l’on possède, le capital.
« Un sou est un sou », disent les Français, mais certains sous, de mauvais aloi*, valent moins que d’autres. La bonne monnaie a de la valeur, alors que, comme l’a dit La Rochefoucauld dans ses Maximes, « ce n’est pas toujours par valeur alors que les hommes sont vaillants ».
« Cet homme eut assez de courage pour prendre notre tuilerie à bail sans avoir un denier vaillant. »
Jouer son va-tout
Lorsque l’on se trouve dans une situation difficile, qu’on se sent acculé, il peut arriver que l’on doive payer d’audace et faire appel à des moyens ultimes, tenter sa dernière chance. Cela peut s’appeler jouer son va-tout.
Des moyens aussi radicaux évoquent le joueur invétéré qui, pour se refaire, doit recourir à des solutions extrêmes. Le terme va-tout apparaît ainsi sous la plume de Madame de Sévigné, qui appartenait à une société dans laquelle le jeu, et en particulier les jeux de cartes, occupaient une place importante. C’est bien à l’univers des cartes que cette expression figurée doit son origine : au sens propre, elle veut dire « tout miser en une seule fois ». On risque gros dans l’espoir de ramasser autant, de sortir d’une mauvaise passe.
Jouer ou risquer le tout pour le tout ou encore jouer sa dernière carte sont des expressions synonymes également empruntées au même domaine. Ainsi, dans jouer le tout pour le tout, le second tout de la formule désigne au départ la troisième partie, la « belle », où le joueur jusqu’alors malchanceux décide de risquer dans un dernier coup tout ce qu’il a perdu.