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– Tanneguy!…

– Ce n’est rien… soyez tranquille… j’aurai du calme, mais il y a du sang des Tanneguy dans mes veines, et nous verrons bien.

– Que comptez-vous faire?

– Vous allez le savoir, et en peu de mots, comme il convient… Marguerite va retourner avec votre domestique, la vieille Jeanne, à ma ferme de Lanmeur… Moi, pendant ce temps, j’irai régler mes affaires avec l’intendant des Kerhor, et demain je quitterai le pays…

– Partir!

– Demain, monsieur l’abbé…

– Vous reviendrez sur cette résolution.

– Je ne partirai pas sans vous serrer la main, monsieur l’abbé, mais je partirai…

En parlant ainsi, Tanneguy fit un geste d’adieu à l’abbé Kersaint, et franchit résolument le seuil de la porte.

Cependant, on entendait toujours derrière les arbres du verger les éclats joyeux de la voix de Marguerite.

III

En sortant de Saint-Jean-du-Doigt, deux chemins conduisent au château de Kerhor, habitation d’été de la mère d’Octave: l’un a été établi à grands frais pour les voitures; l’autre s’est trouvé tout naturellement tracé par les piétons.

En quittant le presbytère, Tanneguy se mit à gravir le petit sentier rocailleux qui suit les sinuosités capricieuses de la côte jusqu’au château.

Il était profondément agité.

Son bâton s’appuyait, avec un bruit sec, sur les pointes vives du roc, et sa main en serrait rudement de temps à autre la poignée. À mesure que l’on s’éloigne de Saint-Jean-du-Doigt, l’aspect du sol devient monotone, âpre et nu; la végétation luxuriante de l’intérieur des terres disparaît; on n’aperçoit plus çà et là, que quelques pousses souffreteuses qui essayent de végéter sur les flancs inféconds du roc, ou encore quelques prairies arides, où l’herbe a été flétrie et brûlée par les vents d’orage.

Bien que les rayons d’un soleil éclatant éclairassent ce tableau, tout cela était d’une tristesse morne et désespérée, et Tanneguy en reçut une impression fâcheuse qui ajouta encore à ses cruelles préoccupations.

Tout à coup, il s’arrêta.

À quelques pas devant lui, et sur la pointe extrême d’un rocher qui dominait à pic toute la grève, venait de se dresser une misérable cabane recouverte de chaume.

Sur le seuil de cette cabane, un homme assis nonchalamment, accommodait philosophiquement les guenilles dont il était vêtu.

Cet homme, Tanneguy le reconnut de suite.

C’était celui que, dans le pays, on appelait Éric le mendiant.

Au cri sauvage que le vieux Breton poussa à cette vue, le mendiant releva la tête et pâlit.

Par une sorte de divination magnétique, il avait pressenti quelque catastrophe, et conçut un moment la pensée de se soustraire à cette visite indiscrète… Mais il était déjà trop tard.

Quand il voulut fuir, il se trouva en face du vieux Breton qui avançait.

Il fallait faire contre mauvaise fortune bon cœur, et Éric, qui ne manquait pas d’adresse, alla résolument au-devant du danger.

– Bonjour, monsieur Tanneguy, dit-il en se découvrant avec humilité devant le vieux descendant du connétable; le pauvre Éric ne vous a point oublié ce matin dans ses prières, ni vous ni votre charmante fille, et s’il plaît à Dieu de les exaucer, les bénédictions du ciel descendront sur votre demeure.

– Je vous remercie, Éric, répondit Tanneguy en se contenant de son mieux, les prières des pauvres sont agréables à Dieu, et je ne doute pas qu’il n’exauce les vôtres, si elles sont sincères.

– En pouvez-vous douter? fit Éric avec componction.

– J’en ai douté quelquefois, repartit Tanneguy, dont les sourcils se froncèrent malgré lui.

– Cependant…

– Cependant, j’ai à vous parler, maître Éric.

– À moi?

– À vous-même.

– J’allais sortir.

– Vous sortirez plus tard.

– Le matin, c’est le meilleur moment de la journée.

– Eh bien! je vous en tiendrai compte, objecta brusquement Tanneguy en lui jetant une pièce de monnaie que le mendiant se hâta de ramasser; mais j’ai à vous parler, et il faut que je vous parle!

Le mendiant fit disparaître dans sa poche la pièce de monnaie qu’on venait de lui jeter, et montra sa cabane à Tanneguy, comme pour l’inviter à y entrer.

La cabane dont il s’agit avait été construite par le mendiant lui-même, avec quelques poutres que la mer avait jetées sur la côte un jour d’orage, et de la terre qu’il avait ramassée sur la route; les pluies et les vents des nuits d’hiver l’avaient considérablement détériorée, et le toit, qui se composait de mauvaise paille et de branches d’arbres desséchées, commençait déjà à s’effondrer. Mais cette habitation, quelque chétive qu’elle fût, suffisait à Éric, qui, d’ailleurs, n’y demeurait pas d’une manière régulière et continue; dans les mauvais jours, il s’estimait encore heureux de trouver là un abri, qu’il n’était pas toujours certain de rencontrer ailleurs.

Une ou deux bottes de paille jetées dans un coin lui servaient de lit, et la cabane n’avait pas d’autre ornement, si ce n’est un mauvais escabeau boiteux, que le mendiant devait à la charité des domestiques du château de Kerhor.

Quand Tanneguy fut entré, Éric s’allongea sur sa botte de paille, son peu-bas à gauche et sa besace à droite. Il avait fait ses réflexions: il avait deviné tout de suite ce dont il s’agissait, et il était décidé à affronter jusqu’au bout la colère du vieux Breton; il n’ignorait pas que Tanneguy était violent, emporté, et qu’il ne s’arrêterait peut-être pas devant les conséquences extrêmes de son emportement; mais le mendiant se sentait fort, et, au surplus, il n’était pas fâché, que le hasard lui offrit l’occasion d’avoir une explication décisive avec le père de Marguerite.

Il n’éprouva donc aucune émotion en voyant entrer ce dernier, et un sourire presque ironique vint même effleurer ses lèvres, lorsqu’il s’aperçut que Tanneguy parcourait silencieusement la cabane, sans savoir probablement de quelle façon entamer l’entretien.

Éric eut pitié de lui; il alla au-devant de ses désirs et commença:

– Vous avez désiré me parler, monsieur Tanneguy, dit-il, me voilà tout prêt à vous écouter, et à vous rendre tous les services qu’un pauvre mendiant comme moi peut rendre. Je connais bien du monde au pays et ailleurs, sans me vanter, et si c’est pour avoir des renseignements sur quelque bonne terre à acheter, je suis votre homme.

– Ce n’est pas de cela qu’il s’agit.

– Et de quoi donc? demanda le mendiant avec une naïveté feinte.

– Il s’agit de vous, et de vous seul, poursuivit Tanneguy, dont les joues se colorèrent vivement, et qui frappa le sol de son énorme peu-bas.

Éric le regardait stupidement, et comme s’il eût vainement cherché à comprendre le sens de ses paroles.

– De moi? répondit-il avec un étonnement admirablement joué; moi, monsieur Tanneguy, je suis un pauvre mendiant, qui doit son existence à la charité des habitants de la côte. Je serais trop heureux de pouvoir vous être utile à quelque chose…, et je le répète, pour cela je suis votre homme.