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Octave avait tout écouté sans répondre.

Toutes ces insultes il les avait dévorées sans mot dire; c’était le père de Marguerite qui parlait, et il faisait sans hésiter le sacrifice de sa vanité à son amour.

Mais quand le vieux Tanneguy eut cessé de parler, il releva la tête et fit quelques pas vers lui:

– Monsieur, lui dit-il d’une voix ferme, les apparences accusent aujourd’hui la sincérité de mon amour, et ce n’est ici ni le lieu ni le moment de me disculper!… Pour Marguerite, pour moi, pour vous-même, je me tairai… Je n’ai qu’un mot à dire cependant, et ce mot renfermera toute l’explication de ma conduite: j’aime Marguerite, et je jure Dieu qu’elle sera ma femme.

Puis, se tournant alors vers la jeune femme qui se tenait plus morte que vive adossée à la fenêtre ouverte:

– Adieu, lui dit-il, mais cette fois la voix pleine de larmes et le cœur brisé, adieu, Marguerite. Oh! ne m’oubliez pas trop vite, et un jour vous saurez combien je vous aimais!

Et, sans attendre de réponse, il franchit le seuil de la porte, sans même oser regarder en arrière.

Cependant Marguerite était tombée à genoux, la tête dans ses mains.

Elle sanglotait.

Le lendemain, la ferme fut vendue à la hâte, et le père Tanneguy et sa fille quittèrent précipitamment le pays, sans que l’on pût dire quelle direction ils avaient prise.

V

Deux années s’étaient écoulées depuis les événements que nous avons racontés aux chapitres précédents. Si le lecteur veut bien nous suivre, nous allons le mener vers une partie de la Bretagne, en l’assurant d’avance qu’il n’aura rien perdu au change.

La Bretagne est assez riche pour fournir un cadre heureux à tout ce que la vie habituelle peut offrir de scènes saisissantes et dramatiques.

Il faisait nuit déjà depuis quelques heures; on était au mois de septembre; des nuages noirs et lourds couraient dans le ciel; le vent soufflait âpre et froid sur la côte.

Deux cavaliers venaient de sortir de Brest, et se laissant aller au pas tranquille de leur monture, ils avaient pris le chemin qui mène au Conquet, en côtoyant la rade.

L’un pouvait avoir vingt-huit ans, l’autre en avait à peine vingt-deux.

Le plus âgé était un grand gaillard aux allures vives et décidées, qui portait hardiment son chapeau de feutre sur l’oreille, et dont le visage rayonnait de gaieté et de bonne humeur.

Le plus jeune, au contraire, était petit, quoique bien pris dans sa taille; une extrême pâleur était répandue sur ses joues, et une certaine teinte de mélancolie attristait ses traits.

Ils cheminaient l’un à côté de l’autre sans échanger la moindre parole.

Du reste la route était déserte, quelques gouttes de pluie commençaient à tomber, et l’on entendait du sentier ce bruit tourmenté qui s’élève des flots que le flux et le reflux agitent incessamment.

La situation prêtait peu à la conversation.

L’aspect de la rade était sans charmes, et avec le vent et la pluie, cinq lieues à faire n’étaient certainement pas chose bien attrayante.

Toutefois, le plus âgé des deux voyageurs sembla penser autrement, car après quelques minutes de silence il se tourna brusquement vers son compagnon, et arrêta son cheval en poussant un éclat de rire qu’aucun écho ne lui renvoya.

– Ah çà! mon cher Octave, dit-il avec un accent de brusquerie de bon aloi, je ne vous trouve guère charmant cejourd’hui; et si j’avais prévu le cas où vous deviendriez aussi monotone, je me serais bien gardé de quitter notre chère capitale pour vous suivre dans ce pays qui, s’il ne manque pas de pittoresque, manque essentiellement de lune et de soleil.

– Vous aimez donc, bien le soleil? repartit ironiquement son compagnon.

– Vrai Dieu, mon ami, s’écria le plus âgé d’un certain ton enthousiaste qui avait sa séduction, j’ai vécu dix ans de mes plus belles années dans un affreux taudis de l’une des plus horribles rues de Paris; l’escalier était étroit et sombre, la chambre ornée de ses quatre murs; je montais cent vingt-huit marches pour y atteindre, et jamais, durant les dix années de labeur opiniâtre et de luttes incessantes, je n’ai eu une heure de lassitude ou une seconde de découragement.

– Et pourquoi cela? objecta Octave.

– Ah dame! poursuivit son compagnon, c’est que ma chambre, ou ma mansarde si vous l’aimez mieux, avait deux grandes fenêtres ouvrant sur le ciel et recevait de première main les plus purs et les plus riants rayons du soleil. Le matin, à midi, le soir, du soleil! c’est-à-dire, mon cher ami, de la gaieté, de la confiance en Dieu, de l’indépendance, de l’amour, ces mille sentiments bénis qui font de la vie un éternel enchantement…

– Vous n’avez pas l’air médecin, Horace, objecta Octave.

– Pourquoi donc?

– À votre enthousiasme!…

– Ah çà! mon bon, moi j’avoue mon faible; j’aime la vie; je n’ai jamais, comme vous, nourri d’affreuses et froides pensées de suicide. Le hasard m’a ramassé un jour dans les rues de Paris, où je peignais des enseignes; j’avais quatorze ans, je ne connaissais ni mon père ni ma mère, mais j’étais intelligent, Dieu merci, et je portais dans mon cœur cette fleur d’éternelle jeunesse que rien au monde n’a pu encore flétrir… Ah! Octave, je voudrais bien vous donner quelquefois un peu de ma gaieté et de mon insouciance.

– Votre existence n’a pas été secouée par les mêmes douleurs, répondit Octave avec un sourire triste.

– La mort de votre mère!…

– Oui; et plus que cela peut-être, la perte d’un amour dont j’avais fait mon seul rêve.

– Vous m’avez compté cela… mais enfin on se console.

– Le croyez-vous?

– Je n’en sais rien… mais on se distrait, on travaille, on voyage…

– Et que faisons-nous donc?

– Pardieu! vous avez raison… nous voyageons, nous allons pour le moment… où diable m’avez-vous dit que nous allions?

– Au Conquet.

– Non, à l’abbaye de Saint-Matthieu, un monastère antique, planté audacieusement sur un promontoire battu par les flots, suspendu comme un vaisseau de pierre entre le ciel et l’eau… Ce doit être superbe!

– Et cependant vous maugréez.

– Aussi, avouez que je n’ai pas tout à fait tort; voilà bientôt huit jours que nous arpentons la Bretagne, un délicieux pays, ma foi, tantôt à pied, tantôt à cheval; et depuis huit jours nous n’avons pas couru le moindre danger et rencontré le moindre voleur.

– Vous vous croyez toujours en Italie?

– Le fait est qu’en Italie nous aurions eu le temps d’être dévalisés vingt fois.

– Grand merci.

– Bah! l’imprévu, cher ami, n’est-ce pas la vie? Je donnerais, moi, la moitié de mon existence pour ignorer ce que je ferai durant l’autre moitié.

Tout en devisant ainsi, les deux amis avaient laissé bien loin derrière eux la ville de Brest et les petites habitations qui s’échelonnent le long de la côte.

À mesure qu’ils avançaient, le chemin devenait plus difficile, plus montueux; les chevaux avaient bien de la peine à suivre le sentier, que les pluies récentes avaient détrempé. D’ailleurs la route avait cessé de côtoyer la rade, et maintenant ils s’enfonçaient à chaque pas davantage dans les terres.