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Encourageant. Malko suivit le regard de Fred Hall posé sur la grande carte de l’Afghanistan derrière son bureau. Le Lowgar était une petite tache rose, au sud-ouest de Kabul. Le regard de l’Américain revint se poser sur lui, humide, sans que Malko sache si c’était la buée ou l’émotion.

— C’est la première fois, dit-il, que les autres s’attaquent à des gens travaillant directement pour moi. Pourtant, c’étaient des étrangers, des Britanniques. On a agi avec une brutalité… choquante. L’un d’eux a été décapité, ajouta-t-il d’une voix altérée.

— Que s’est-il passé au juste ? interrogea Malko.

Autant savoir à quoi s’en tenir.

Le chef de station de la CIA plongea les mains dans un tiroir et tendit un paquet de photos à Malko. La tête coupée posée sur une table avait une allure macabrement surréaliste, mais le corps égorgé sur le palier ressemblait à toutes les photos de police…

— La police pakistanaise a trouvé la tête à la gare routière, commenta Hall. Les deux jeunes hippies travaillaient bien. L’un était infiltré à Kabul et faisait la liaison avec l’intérieur. C’est sa tête qui est là. L’autre a été massacré dans le bazar.

— Qu’en pensent les Pakistanais ?

— Pas grand-chose, avoua Fred Hall, entre deux éternuements. Ils ont entendu dire qu’un commando du Khad est arrivé à Peshawar la semaine dernière pour exécuter plusieurs personnes. Ce serait eux qui auraient fait le coup…

Malko éternua à son tour. Avant de mourir en Afghanistan, il allait attraper une pneumonie.

— On ne sait pas où ils se trouvent ?

Fred Hall soupira.

— Il y a deux millions sept cent mille réfugiés afghans au Pakistan dont cinq cent mille rien qu’à Peshawar. Rien ne distingue un résistant d’un sympathisant du régime de Kabul. Même les résistants ne s’y retrouvent pas… Il y a tellement de factions, de trahisons, de ralliements, de reniements. Nous sommes en Orient ici. Tout est possible, et rien n’est simple. Il faut vous méfier de tout le monde.

— Même de ceux à qui vous m’envoyez ? Cette Yasmin et Sayed Gui ?

— Eux, non, mais l’entourage de Sayed, je n’en mettrai pas ma main au feu. Tous ces types ont des cousins, des copains, des frères parfois, de l’autre côté. Certaines grandes familles se sont volontairement scindées en deux clans, pour ne pas mettre tous les œufs dans le même panier. Ajoutez les haines tribales ou familiales… Une chatte n’y retrouverait pas ses petits.

« Seulement, cette Résistance, aussi disparate et désunie soit-elle, représente un sacré problème pour les Soviétiques. C’est même actuellement la seule vraie monnaie d’échange que nous ayons avec eux : aussi faut-il tout faire pour l’aider.

Malko frissonna. Penser que dehors, il faisait cinquante-cinq degrés ! Fred Hall se mit à ranger des papiers, l’air soucieux, puis leva ses gros yeux sur Malko.

— Je sais que je vous demande un sale boulot, mais je me suis adressé en catastrophe à Washington. Nous avions envoyé Bruce Kearland là-bas parce qu’il parle pachtou et dan. Sinon, on n’envoie jamais d’Américains. Vous vous rendez compte si les Popovs en prenaient un ? Un vrai de chez nous… Le KGB s’en lécherait les babines pendant un siècle… Vous, c’est différent, vous avez une sacrée bonne réputation comme chef de mission et vous n’êtes pas citoyen américain. On pourra toujours vous bâtir une « légende », s’il y avait un pépin.

— Et m’envoyer des oranges à Vorkuta, commenta Malko, pince sans rire.

Un ange passa en secouant des menottes. Fred Hall baissa la tête. Difficile de raconter des salades à quelqu’un comme Malko. Ce dernier savait bien pourquoi la CIA tenait à lui comme à la prunelle de ses yeux. À la fois taillable et corvéable à merci, et digne d’une totale confiance. En cas de pépin, seuls quelques très hauts fonctionnaires de la Company sauraient qu’il s’agissait d’un agent américain. C’était la vie qu’il avait choisie. Entre deux missions, lorsqu’il se retrouvait à Liezen menant une vie un peu anachronique de châtelain, en Autriche, dans une demeure dont chaque pierre avait coûté quelques litres de sang, il savourait ces pauses dans une vie aventureuse… Au moins, il maintenait son rang en exerçant une activité qu’on avait toujours trouvée honorable chez les Linge : la guerre.

Il eut une pensée fugitive et brûlante pour Alexandra, sa fiancée de toujours. Il ne pensait pas que cette mission serait si dangereuse et ils s’étaient bêtement disputés avant de partir. Après pourtant avoir fait l’amour comme des fous au fil d’une longue réconciliation de plusieurs semaines. La jeune femme semblait avoir renoncé à l’arracher à la CIA, aussi, par moments, elle disparaissait ou s’enfermait dans une bouderie absurde, allant même jusqu’à se refuser à lui.

Puis, elle revenait, la crise passée. C’étaient toujours des retrouvailles délicieuses. Ils ne se posaient aucune question. Malko était certain qu’elle avait d’autres amants, mais sûr aussi que leur relation était unique et indestructible. Dans ces moments-là, ils faisaient l’amour avec encore plus de violence. La dernière fois qu’ils l’avaient fait, Alexandre s’était repliée sous lui, les bras noués sur ses reins, le poussant à la marteler de plus en plus fort, comme pour imprimer sa marque à l’intérieur d’elle-même. Elle hurlait alors, sans retenue, à la façon d’une chatte et retombait ensuite, le corps recouvert d’une fine sueur, les yeux révulsés. Après ces orgasmes-là, Malko pouvait lui demander n’importe quelle fantaisie sexuelle.

Il ne se privait pas de s’enfoncer dans ses reins, parfois brutalement, comme pour lui faire accepter l’inacceptable. Cambrée, Alexandre se soumettait à lui doublement, sans qu’il sache vraiment ce qui se passait dans sa tête. Lorsqu’il était parti pour l’Afghanistan, Alexandra avait tenu à l’accompagner à l’aéroport de Swchechat, dans la Rolls conduite par Elko Krisantem. C’est elle qui avait suggéré une ultime étreinte, le caressant d’abord, puis sans façon, lui faisant l’offrande toujours délicieuse de sa bouche. Enfin, elle s’était installée sur ses genoux comme une douce cavale et n’avait joui que dans les faubourgs de Vienne, les prunelles dilatées par le plaisir. Il n’arrivait pas à détacher ses mains de sa chair ferme.

C’est elle qu’il aurait dû emmener au lien de Krisantem.

— À quoi pensez-vous ? demanda Fred Hall.

— À mon futur voyage, dit Malko, redescendant sur terre.

Si on ne pouvait plus avoir un petit fantasme…

L’Américain était en train de griffonner un mot qu’il tendit à Malko.

— C’est pour Sayed Gui. Il est prévenu de votre arrivée. Les bureaux se trouvent sur Charsadda Rood, au nord de la ville. Il y a un drapeau afghan. Tout le monde connaît. Pour Yasmin, dites que vous venez de la part de « George ». C’est mon pseudo.

Il se leva, contournant le bureau encombré de papiers et l’empilement de boîtes de bière, puis ouvrit la porte blindée, raccompagnant Malko en bas. Dans la salle d’attente, un Pakistanais lisait le Coran à haute voix et une affiche annonçait à d’improbables touristes que la Khyber Pass et toute la « zone tribale » étaient interdites aux étrangers, pour des raisons de sécurité.

Malko eut l’impression de recevoir du plomb en fusion sur les épaules, lorsqu’il se retrouva dans la cour. Stoïque, Fred Hall le mena jusqu’à sa voiture où son chauffeur s’était endormi, toutes portières ouvertes. L’Américain se pencha vers Malko.

— Si vous partez, il faudra faire attention aux hélicoptères MI 24. Les mudjahidins n’ont aucune défense contre eux.

— C’est presque aussi dangereux que Peshawar, ironisa Malko. Après ce qui est arrivé à vos stringers…