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L’Américain secoua la tête.

— Pas la même chose. Ici, s’il vous arrive quelque chose, il restera de quoi vous enterrer. Tandis que si vous prenez une roquette, on vous ramasse à la petite cuillère.

Chapitre III

Malko se hasarda dans la voiture transformée en four, avec une prudence de chat, et dit au chauffeur :

— Au Green’s Hôtel.

C’était un hôtel minable, refuge des derniers hippies de Peshawar, à une centaine de mètres du Dean’s Hôtel, dans l’avenue commerçante Shahrah-E-Pehlvi. Inutile que le chauffeur qui travaillait sûrement pour les Services pakistanais en sache trop sur ses contacts. Hélas, à Peshawar, Budget n’existait pas, et il était impossible de louer une voiture sans chauffeur, ce qui permettait aux Services de Sécurité pakistanais de surveiller les étrangers jour et nuit… Malko louait à l’heure des taxis à l’Intercontinental.

Très vite, la grande allée ombragée qui donnait un air coquet à cette partie de Peshawar, laissa la place à des immeubles loqueteux.

Malko abandonna son véhicule en face du Green’s Hôtel, dont la façade d’un vert délavé semblait prête à s’effondrer, y entra pour en ressortir aussitôt, direction le Dean’s, fleuron de l’hôtellerie peshawarienne. Le temps de parcourir les deux cents mètres, sa chemise était à tordre.

De jour, le Dean’s semblait encore plus décrépit avec son toit de tôle ondulée et ses petits bungalows répartis autour du jardin. Passant devant la minuscule réception, il gagna la chambre 32. Grâce aux volets fermés, il faisait presque bon à l’intérieur du vieil hôtel, bien que la climatisation y soit remplacée par de poussifs ventilateurs tournant avec une sage lenteur.

Malko frappa un coup léger à la porte 32. Pas de réponse. Il insista, ayant vérifié d’un coup d’œil à la réception que la clef n’était pas là. Toujours rien. Aucun bruit ne filtrait à travers le battant. De nouveau, ses doigts pianotèrent sur le bois. Il ne tenait pas à attirer l’attention. Enfin, il perçut un frôlement de l’autre côté de la porte et une voix de femme murmura quelque chose dans une langue inconnue. Il approcha sa bouche du battant et souffla :

— Yasmin ! Ouvrez, je suis un ami de George.

La clef tourna enfin dans la serrure et la porte s’écarta juste assez pour le laisser entrer. La chambre était plongée dans la pénombre et ses yeux mirent quelques secondes à distinguer la silhouette en face de lui.

— Qui êtes-vous ? demanda la voix.

— Je travaille avec George, dit Malko, je dois aller chercher Bruce, là où il se trouve.

Le silhouette bougea et brusquement la lumière jaillit dans la pièce. Malko éprouva un choc en découvrant Yasmin Munir. Deux grands yeux noirs brûlants d’une sensualité animale, des lèvres épaisses et bien découpées d’un rouge profond contrastaient avec le voile léger cachant en partie les cheveux noirs. La jeune femme portait une sorte de sari vert en soie presque transparente, laissant deviner le soutien-gorge blanc d’où émergeait une poitrine lourde, et même le slip blanc ! Curieuse tenue d’une sagesse hypocrite, savamment provocante. Le regard de Malko ne pouvait se détacher des seins épanouis qui semblaient encore plus offerts à travers la soie. Il éprouva un trouble immédiat et violent lorsque son regard croisa celui de Yasmin Munir. Les yeux sombres exprimaient une lascivité primitive, langoureuse, docile. Il avait l’impression que s’il approchait de la jeune femme et commençait à la dépouiller de ses vêtements, elle n’aurait pas un geste de défense. Yasmin sourit, découvrant des dents éblouissantes. Malko en avait la bouche sèche. Le grand ventilateur tournant lentement au plafond faisait voler son voile. On aurait dit une hétaïre du siècle dernier. Elle eut un geste gracieux, montrant un fauteuil.

— Asseyez-vous. Excusez-moi, je n’ai rien à boire…

Toujours la fichue loi sur l’alcool. Malko ne s’attendait pas à trouver une pareille beauté. Yasmin Munir prit place au coin du lit sans le lâcher du regard. Elle croisa les jambes, et des bracelets d’argent tintèrent à sa cheville.

Elle ne l’interrompit pas, tandis que Malko exposait son plan, hochant seulement la tête lorsqu’il eut terminé.

— C’est dangereux, dit-elle. On se bat beaucoup dans le Lowgar. Votre voyage risque de prendre deux ou trois semaines. Et puis…

Elle laissa sa phrase en suspens.

— Et puis, quoi ?

— Bruce est peut-être mort, nous n’avons pas de nouvelles depuis des jours.

Elle parlait d’une voix calme, comme si elle n’était pas vraiment concernée, ses yeux superbes fixant le tapis élimé. Son détachement étonna et intrigua Malko. Quels étaient ses rapports avec l’Américain travaillant pour la CIA ? Que faisait-elle cloîtrée dans cette chambre d’hôtel ? Elle ressemblait à une superbe plante en serre.

— Je dois tenter cette chance, dit Malko, même si elle pose de gros problèmes.

Le regard de Yasmin Munir se releva, indifférent.

— Bon. En quoi puis-je vous aider ?

La question prit Malko un peu de court, et, en même temps lui donna une idée.

— Il faudrait en discuter, dit-il. Pourquoi ne dînons-nous pas ensemble ce soir ? Je suis sûr que vous pouvez m’apporter beaucoup d’informations précieuses.

La bouche épaisse s’ouvrit sur un sourire désolé, et ironique.

— Dîner ! Mais je ne peux pas sortir d’ici. Vous ne connaissez pas Peshawar. Les femmes restent chez elles. Celles qui montrent leurs cheveux, on les appelle des putains. Je me fais servir des repas dans ma chambre. Si j’allais au restaurant de l’hôtel, on ne me servirait pas. Vous n’avez pas remarqué qu’il n’y a pas de femmes de chambre dans les hôtels ? Ce serait impie de les faire travailler au contact des infidèles… À Islamabad, bien sûr, c’est différent.

Malko rit, médusé.

— Mais, enfin, vous ne vivez pas enfermée ?

Yasmin Munir secoua la tête, ramenant les pans de son sari sur sa poitrine, comme pour échapper au regard de Malko, puis soupira :

— Lorsque Bruce n’est pas là, oui. C’est très dur pour moi. Avant c’était différent. J’avais fui l’Afghanistan pour Beyrouth. Ma maison a été rasée, mes parents sont morts, je n’ai plus de pays. L’un est occupé par les Syriens, l’autre par les Soviétiques. Et ici, je suis obligée de me conformer aux coutumes locales.

Ahurissant.

— Écoutez, plaida Malko, il y a bien un endroit où nous ne nous ferons pas remarquer. Dans le bazar…

Yasmin éclata d’un rire amer.

— Dans cette tenue, je me ferais lapider ! Vous ne les connaissez pas ; déjà, ils supportent à peine que les étrangères se montrent. Si vous entendiez les commentaires qu’ils font sur leur passage. Or, à leurs yeux, je suis une musulmane…

Malko avait l’impression qu’elle était soulagée de pouvoir parler, de rompre sa solitude. Son regard parcourut la chambre et tomba sur un vêtement verdâtre.

Un grand tchador d’une seule pièce, englobant la tête avec, à la hauteur des yeux, un « grillage » de tissu. Quelque chose qui transformait n’importe quelle femme en fantôme. Cela lui donna une idée. Il se leva, prit le vêtement et s’approcha de Yasmin.

— Mettez ça, personne ne peut vous reconnaître.

Le regard de la jeune femme dérapa.

— Non, non, je ne peux pas sortir, c’est impossible.

Malko n’insista pas. La pudeur de Yasmin n’était qu’un prétexte. Il y avait autre chose, qu’il arriverait à découvrir. Cette conversation ne le menait à rien. Il s’approcha de la porte.