— Pourquoi ?
— Fais ce que je te dis et ne discute pas.
— D’accord… Je commence quand ?
— Tout de suite, gros couillon ! Et tâche de ne pas te faire remarquer…
— Bien… Je surveille la fille, aussi ?
Le maire lui jeta un regard noir.
— J’disais ça comme ça ! rectifia Portal.
— De toute façon, si mon impression est bonne, en surveillant le guide, tu surveilleras la fille par la même occasion.
Le maire se leva et Portal fit de même, se dépêchant de finir son verre avant d’être reconduit vers la sortie. Lavessières extirpa un billet de vingt euros de sa poche.
— Tiens, tu achèteras un truc à ton gamin.
— Merci, m’sieur André…
— Allez, va-t’en, maintenant. Dès que tu penses avoir quelque chose d’intéressant, tu m’appelles. Et ne te fais pas repérer ! T’as compris ?
Portal hocha la tête puis rejoignit sa voiture en passant par le jardin. Le plus jeune des deux chiens se précipita vers lui en grognant et reçut un violent coup de pied dans le flanc. Il poussa un hurlement aigu et rampa jusqu’à sa niche.
16
Servane reprit son souffle, mains sur les hanches, tête penchée en arrière. Trois quarts d’heure de footing sans s’arrêter : pas à dire, elle était en net progrès. Très fière de sa performance, elle avança lentement vers la gendarmerie, recouvrant progressivement une respiration régulière. Après une journée passée à l’accueil, entre ennui et paperasse, quel plaisir de se dégourdir enfin les jambes !
Elle longeait la Lance qui traçait son chemin vers le Verdon, Colmars étant le témoin de leur union fougueuse. Un torrent apparemment sage ; pourtant capable de tout dévaster sur son passage à l’occasion d’un orage particulièrement violent.
Arrivée derrière l’Edelweiss, elle aperçut Nicolas Vertoli assis au bord de la rivière. Elle eut envie de lui parler, comme s’ils étaient de vieux amis. Le jeune homme ne l’entendit pas s’approcher, le bruit de ses pas étant couvert par le vacarme de l’eau.
— Salut, Nicolas !
Il sursauta et se retourna sans avoir le temps de sécher les larmes qu’il aurait tant voulu cacher. Servane se trouva soudain fort mal à l’aise face à ce visage endeuillé. Nicolas essuya précipitamment les dernières traces de son chagrin.
— Ça ne va pas ? demanda la jeune femme en s’asseyant près de lui. Je vous dérange ?
Deux questions stupides, coup sur coup.
Bien sûr, qu’elle le dérangeait ! Mais maintenant qu’il était démasqué, autant essayer de savoir ce qui le rendait si triste. Elle avait toujours aimé secourir les âmes en peine, une vraie vocation d’assistante sociale. Finalement, elle s’était peut-être trompée de carrière…
Nicolas tendit son paquet de cigarettes à Servane. Pas très indiqué, juste après le jogging ! Toutefois, elle accepta, histoire de nouer un lien et de se donner une contenance.
— Vous n’êtes pas obligé de me parler, précisa-t-elle d’une voix aussi douce que possible. Je n’ai rien vu, vous savez…
Il lui adressa un sourire un peu embarrassé, elle le rassura d’un regard.
— Ne dites rien à mon père, pria-t-il.
— Évidemment !… Et puis de toute façon, je n’aurais pas grand-chose à lui dire !
— Vous me trouvez certainement ridicule de venir chialer tout seul, au bord de ce torrent…
— Ridicule ? Non… Je trouve juste dommage que vous ayez des raisons de pleurer.
— J’en ai des milliers, avoua-t-il. Des milliers…
Des milliers, ça faisait peut-être un peu beaucoup ! On ne pleure jamais que sur soi-même, au final… Mais ce n’était pas le moment de lui livrer ce scoop.
— Une seule suffit, dit-elle simplement. Ça m’arrive, à moi aussi… Ça arrive à tout le monde.
— Un fils de gendarme, ça chiale pas ! répondit Nicolas en imitant son père.
— Je vois ! fit Servane en souriant. Vous avez grandi ici ?
— Non… J’avais dix ans lorsque nous sommes arrivés. Mon père est né dans la vallée… Et après avoir fait le tour de toutes les casernes de France et de Navarre, il a enfin pu retrouver le pays de son enfance. Depuis, il s’est débrouillé pour ne plus en partir…
— Et vous, vous aimez la montagne ?
— Oui…
— Moi aussi ! J’adore cet endroit… Au début, j’ai pensé que j’allais m’ennuyer dans ce trou perdu et puis finalement, je suis en train d’en tomber amoureuse…
— Vous êtes venue seule ? Je veux dire, vous n’êtes pas mariée ?
— Non ! Je suis arrivée avec ma valise, c’est tout…
— Je suis content que ça vous plaise. Comment les gars vous ont-ils accueillie ?
— Pas trop mal… Ils sont encore un peu méfiants à mon égard, mais ça s’arrange…
— Et mon père ? Il vous fait pas trop chier ?
— C’est un chef admirable, assura-t-elle avec sincérité. Je crois que je n’aurais pas pu mieux tomber…
— Vous dites ça parce que vous parlez à son fils !
— Pas du tout ! C’est vraiment ce que je pense. Mais nous ne le voyons certainement pas avec le même regard… Vous savez, votre père n’a jamais marqué de différence entre les autres et moi.
— C’est vrai qu’il a beaucoup de qualités, admit Nicolas. Mais il est un peu… psychorigide !
— La gendarmerie, c’est l’armée ! rappela Servane. Alors forcément, il y a une certaine discipline à faire respecter.
— Tu as sans doute raison…
Ce tutoiement inattendu lui signifia qu’il appréciait sa présence. Après tout, ils avaient presque le même âge.
— Qu’est-ce que tu vas faire pendant l’été ? bavarda-t-elle.
— J’en sais rien… Je vais essayer de réviser parce que j’ai raté ma licence et que je la repasse en septembre… Mais je m’en fous un peu à vrai dire !
Elle ne chercha pas à en savoir davantage car il ne souhaitait visiblement pas partager sa souffrance.
— Après-demain, je suis de repos et je gravis la grande Séolane, embraya la jeune femme. Ça te dirait de venir ?
— Pourquoi pas !
— Si tu veux, je peux t’emmener avec ma voiture… On a rendez-vous à 7 h 30 à La Foux avec Vincent.
Le jeune homme se rétracta brusquement.
— Merde ! dit-il avec un sourire gêné. J’ai oublié… Après-demain, je ne peux pas.
— Dommage… Ça va être sympa. Sportif, mais sympa !
— Une prochaine fois ! assura-t-il en se levant. Merci de m’avoir tenu compagnie.
Il s’éloigna rapidement et elle resta un moment face au torrent, peu pressée d’aller s’enfermer dans son studio qui rétrécissait de jour en jour.
Vincent serra la main à ses clients et reçut leurs remerciements avec plaisir. Puis il se rendit à l’office du tourisme par la porte de service, le bureau étant fermé au public. Il y trouva Michèle en train de dépoussiérer les étagères.
— Bonsoir…
Elle le dévisagea sans un mot. Le contact serait difficile à renouer.
— Qu’est-ce que tu veux ? questionna-t-elle sèchement.
— Je viens voir combien j’ai d’inscrits pour demain.
— Aucun ! révéla-t-elle non sans un certain plaisir.
— Bon, tant pis…
Elle continua sa tâche mais il refusait visiblement de partir.
— Tu veux autre chose ?
— On pourrait peut-être discuter un peu tous les deux…
— Discuter ? De quoi ? Tu as besoin de parler ? Pour les confessions, il y a le curé !