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— Laisse-moi passer.

— Non ! Je ne te laisserai pas foutre ta vie en l’air !

Il la bouscula brutalement, l’envoyant valdinguer contre le mur.

En ouvrant la portière de la Mazda, il constata que les clefs n’étaient pas sur le contact. Il fila un coup de pied dans la carrosserie et poussa une sorte de cri avant de revenir sur ses pas. Servane, pétrifiée sur le perron, l’observait avec effroi.

— Vincent, calme-toi, je t’en supplie !

— Les clefs, commandat-il en tendant la main.

Une main qui ne tremblait pas.

Il avait toujours son arme, pourtant Servane refusa d’obéir. Dans la poche de son pantalon, elle serrait ses doigts sur le trousseau.

— Donne-les-moi… Tout de suite.

— Non ! Je ne veux pas que tu te laisses emporter par la haine ! Que tu deviennes un assassin, comme eux… Ce que voulait précisément ce prêtre !

Elle essayait de ne pas hausser le ton, pour ne pas exciter sa fureur.

— Ne m’oblige pas à te faire du mal, Servane…

Premières menaces ; mais il fallait qu’elle tienne.

— Vincent, calme-toi ! implora-t-elle en reculant.

Il avançait lentement, elle continuait à battre en retraite.

— Je sais que tu ne me feras rien, reprit-elle. Tu n’es pas un criminel.

— J’ai déjà tué.

— Tu dis n’importe quoi ! Tu délires !

— Non. Et c’était mon propre père…

Plus rien n’avait d’importance. Pas même ce secret farouchement enseveli depuis trente ans.

— Tu mens ! murmura Servane.

— Non, je ne mens pas. Je l’ai assassiné. Tout comme je vais descendre ces salauds un par un… Alors, tu me donnes ces clefs, Servane… S’il te plaît.

Ce s’il te plaît avait quelque chose d’effrayant. Cet homme si impassible, si froid.

Inhumain, à cet instant.

Cet homme qui avait bel et bien tué son père, Servane en était maintenant certaine.

Il posa son fusil contre la rambarde, elle tenta alors de s’enfuir. Mais il la rattrapa au bout de la terrasse, la jeta à terre. Malgré la violence de la chute, elle trouva encore la force de se débattre. Toujours insensible à la douleur comme au reste, Vincent encaissa les coups désespérés de la furie et parvint finalement à se placer à califourchon sur elle, la bloquant définitivement.

Il s’empara du précieux sésame, abandonna Servane sur le sol et récupéra son fusil.

Un peu sonnée, la jeune femme se redressa en gémissant de douleur. Elle eut juste le temps d’apercevoir le guide qui s’engouffrait dans sa propre voiture.

— Merde, c’est pas vrai !

Tandis qu’il manœuvrait, elle courut tant bien que mal jusqu’à la piste et se planta au beau milieu. La Mazda arriva aussitôt, soulevant un impressionnant brouillard de poussière.

Vincent freina brusquement ; dix mètres devant lui, une silhouette. Debout, poings serrés.

Il tenta de contourner l’obstacle qui se dressait entre lui et les meurtriers de Laure ; mais Servane s’acharnait à se placer face à la voiture.

— Dégage de là ! rugit-il.

— Si tu veux passer, va falloir me tuer !

Ses genoux se plièrent et heurtèrent douloureusement le sol pierreux. Elle s’allongea sur le dos, face à un ciel incroyablement bleu.

Tu ne me tueras pas.

Vincent enfonça la pédale d’accélérateur, Servane ferma simplement les yeux.

Épuisée et confiante.

Quelques secondes plus tard, le ciel bleu avait disparu, il faisait sombre. Si sombre…

Vincent demeura un moment immobile, les mains sur le volant.

Servane avait disparu.

Enfin, il descendit lentement du véhicule, ne sachant plus vraiment s’il l’avait touchée. Écrasée, peut-être ?

Il osa un pas, un autre…

Elle est morte.

Mon Dieu, elle est morte…

Le pneu avant gauche n’était qu’à quelques centimètres de son visage ; le droit touchait sa jambe.

Il avait failli la tuer, ne comprenait pas comment.

Il l’aida à se relever, vérifia qu’elle était indemne. Elle s’était rouvert le front, tremblait de la tête aux pieds mais semblait incroyablement soulagée : Vincent était de nouveau là, de retour sur terre après avoir exploré les Enfers.

Il caressa ses cheveux pleins de poussière, son visage maculé de sang. Et dans ses bras, il laissa enfin les larmes noyer la haine.

Elle l’entraîna vers le chalet, ils s’assirent sur les marches du perron. Elle ne lâchait pas sa main ; ne pas trancher le lien, ne pas couper le contact.

— J’ai cru qu’elle était partie, murmura Vincent. Et je l’ai détestée… Pendant cinq longues années, je l’ai détestée. Alors qu’elle était morte. Et… Je n’étais même pas là ! Elle… Elle est morte toute seule… Ces salauds l’ont tuée et je n’étais pas là…

— Tu n’as rien à te reprocher, Vincent. Tu n’es coupable de rien…

Sauf d’un crime.

— Pour ton père, je n’en parlerai jamais. C’est comme si je n’avais rien entendu.

— Il… J’aurais pu le sauver, mais je l’ai laissé mourir… Quand il est tombé, je ne lui ai pas tendu la main. J’ai voulu sa mort… Je l’ai désirée, de toutes mes forces.

Servane broya sa main dans la sienne.

— C’était de la légitime défense, Vincent… Maintenant, on va aller voir Vertoli. Cette nuit, les assassins de Laure dormiront en taule. Je te le promets.

* * *

Il était déjà 17 h 30 lorsque Servane gara sa voiture sur le parking de l’Edelweiss. Après être resté muet pendant tout le trajet, Vincent ouvrit enfin la bouche :

— Il faut que je sache où elle est, murmura-t-il.

— Oui, je comprends, assura Servane, la gorge serrée.

Elle aurait voulu trouver les mots pour atténuer sa douleur mais savait que pour le moment, rien ne pourrait le soulager. Elle récupéra le sac qui contenait les carnets sur la banquette arrière.

— Je vais chercher le reste dans mon studio, dit-elle. Tu viens avec moi…

Surtout, ne pas le laisser seul une seconde.

Il la suivit au prix d’un effort inhumain, traînant sa souffrance comme un énorme boulet. Par moments, des larmes inondaient ses yeux et il cherchait un secours dans ceux de Servane.

Elle récupéra à la va-vite les lettres anonymes, le cd-rom et l’argent, puis ils redescendirent en direction de la gendarmerie. À l’accueil, Matthieu, occupé au téléphone, ne fit pas attention à eux. Servane frappa à la porte de Vertoli et entra sans attendre la permission. Le chef parut surpris de cette visite ; surpris surtout par le visage méconnaissable du guide.

— Il faut qu’on vous parle, mon adjudant-chef. C’est de la plus haute importance.

— Bien… Asseyez-vous. Je vous écoute.

— C’est au sujet d’un triple meurtre, annonça la jeune femme de façon abrupte.

— Pardon ? fit l’adjudant en ôtant ses lunettes.

Vincent fixait le sol, luttant pour ne pas se remettre à chialer, laissant à Servane le soin de relater cette tragique histoire.

Ce qu’elle fit dans le moindre détail. Son récit dura de longues minutes et, au fil des mots, Vertoli sembla rapetisser dans son fauteuil.

— Voilà, conclut-elle. Vous savez tout. Et nous vous avons apporté ici les preuves en notre possession.

Assommé par cette avalanche, Vertoli mit quelques secondes à réagir.

— Je… Je n’ai pas imaginé un seul instant que la mort de Cristiani pouvait dissimuler quelque chose d’aussi monstrueux, dit-il. Je…