Vincent se retint pour ne pas lui sauter dessus. Protéger Servane. À tout prix.
— OK, vous allez nous flinguer, continua-t-il d’un ton maîtrisé. Mais cela n’arrangera pas vos affaires… Vous n’échapperez pas à la justice.
— Ta gueule, Lapaz… Tu gaspilles ta salive pour rien, je t’assure.
— Je savais qu’on ne pouvait pas avoir confiance en Vertoli, s’acharna le guide. Alors j’ai pris mes précautions…
Servane entrevoyait le plan de Vincent, mais tenta de ne rien laisser paraître.
— Tous les documents sont en ma possession ! rappela nerveusement l’adjudant-chef.
— Ça, c’est ce que vous croyez ! rétorqua Vincent en se forçant à sourire.
— Boucle-la ! Je veux plus t’entendre !
Vincent essaya de deviner la suite de leur macabre scénario, quelle mort ils avaient imaginée pour eux. La voiture qui tombe dans le vide ?
Il fallait forcément que ça ressemble à un accident et il devait à tout prix gagner du temps.
Servane fixait la piste ; ses mains étaient tellement crispées sur le volant que rien ne semblait à même de le lui faire lâcher. Elle avait froid, elle avait la nausée, mais les propos de Vincent lui avaient permis de reprendre un infime espoir. Pourtant, ce mensonge suffirait-il à les sauver ?
Elle se mit à prier en silence. À prier pour eux.
— Alors, vous ne voulez pas savoir quelles précautions j’ai prises ? reprit soudain Vincent.
Continuer à instiller le doute dans l’esprit des tueurs. Comme on administre un poison à petites doses.
— On t’a dit de la fermer ! aboya André. On règlera ça là-haut !
Ils arrivaient en bout de piste et la Jeep se rangea sur un petit terre-plein qui servait de parking.
— Gare-toi ! brailla le maire.
Servane s’arrêta à côté du 4 × 4, attendant la suite des instructions. La portière s’ouvrit et Portal la tira brutalement hors de la voiture. Il la maintenait prisonnière de ses bras puissants, elle ne chercha pas à se débattre.
La nuit était complète, désormais. Heureusement, la lune nichée au cœur d’un ciel tapissé de nuages offrait une douce lumière à ces paysages d’ordinaire si beaux.
Si inquiétants, ce soir.
Au loin, le clocher de Beauvezer annonça 21 heures. Cette nuit, pour eux, il sonnait le glas.
Vincent descendit de la voiture à son tour, Vertoli sur ses talons. Hervé lança deux sacs à leurs pieds.
— Prenez ça !
Vincent mit le plus léger sur les épaules de Servane. Puis il enfila le sien et toisa Lavessières en souriant.
— Excellente idée, les sacs à dos ! ironisa-t-il. Surtout que ce ne sont pas les nôtres !
— Ton matériel a brûlé et tu en as racheté du neuf ! riposta le maire. Tu vois, on a pensé à tout ! C’est vrai, on ne part pas en balade sans un sac…
— Sauf que j’aurais jamais acheté cette merde !
— Ils ne serviront qu’une fois, pas la peine de se ruiner !
Servane dévisageait Vertoli avec des rasoirs étincelants au fond des yeux.
— Vous me dégoûtez ! Qu’est-ce que vous allez gagner à nous tuer, hein ? Vous êtes à la solde de ces ordures, c’est ça ? C’est pour le fric ?
— Fallait vous mêler de vos affaires !
— J’ai fait mon travail et je l’ai bien fait ! Parce que je ne suis pas une pourriture, contrairement à vous ! Vous êtes la honte de la gendarmerie…
— Mais elle va pas la fermer, cette petite conne ? soupira le maire.
— Je ne fais pas ça pour l’argent, confessa soudain Vertoli.
— Toi aussi, ferme-la !
— Ne me parle pas sur ce ton !
Le gendarme et le maire se faisaient face ; deux coqs dans une arène.
— Eh ! Du calme, vous deux ! s’interposa Hervé.
— C’est vrai, du calme ! ricana Vincent. On a les nerfs qui lâchent, mon adjudant ?
— Ça suffit maintenant ! beugla André en brandissant son arme. Vous avancez et en silence !
Vincent passa en tête tandis qu’Hervé fermait la marche. À la lueur de quelques lampes torches, ils suivirent le guide qui marchait lentement vers sa propre mort.
Ils étaient désormais au cœur des gorges, univers de roche, défilé vertigineux. Un chemin caillouteux creusé à même la falaise calcaire, bordé à droite par un ravin abrupt.
Endroit idéal pour une chute mortelle.
Ils laissèrent de côté la sente qui descendait à la Chapelle-Saint-Pierre et continuèrent à monter. Prenant de la hauteur sur le torrent qui coulait tout en bas. De plus en plus loin. Si loin qu’ils ne pouvaient même plus l’entendre.
Une chouette cria son effroi et prit son envol pour gagner le versant d’en face. Servane frissonna de plus belle.
— Stop ! ordonna soudain le maire.
Vincent obtempéra et se tourna face au gendarme, recevant le faisceau de la torche en pleine figure.
Servane sentit son cœur se fendre comme un fruit mûr. C’était donc ici qu’ils avaient choisi de les faire mourir. Elle ne pouvait voir le vide sur sa droite mais elle le sentait, le devinait à la lumière de la lune.
Immense trou noir et sans fond.
Portal la poussa dans les bras de Vincent.
— Pour vous, le chemin s’arrête ici, révéla André.
Il avait toujours eu le sens de la mise en scène. Du tragique, du théâtral.
Quoi de plus normal pour un politicien.
— Quand nous serons morts, vous serez morts ! murmura alors Vincent.
— Quand tu seras mort, on sera enfin tranquilles ! rectifia Hervé.
— J’ai un double de toutes les preuves que nous avons filées à Vertoli. J’ai scanné les passages intéressants du carnet de Joseph et les ai gravés sur un CD. J’ai fait un double du CD de Pierre, ainsi qu’une copie des messages anonymes et de tout ce qu’ils contenaient…
— Ben voyons ! répliqua André avec un sourire forcé. Tu crois qu’on va avaler tes boniments ?
— Rien à foutre que vous l’avaliez ou non ! Je n’ai jamais eu confiance en Vertoli… Jamais ! Et quand Servane a voulu lui remettre ces documents, j’ai insisté pour tout sauvegarder et… J’ai planqué l’ensemble dans un endroit sûr en donnant l’ordre à quelqu’un d’aller le récupérer s’il m’arrivait quelque chose… Quelqu’un de confiance. Si je disparais, cette personne se rendra à l’endroit indiqué et apportera tout aux flics. Même si je péris dans un accident.
— Il bluffe ! assura Hervé. Y a qu’à les balancer dans le vide maintenant, qu’on en finisse !
Vincent sentit la main de Servane se crisper encore plus dans la sienne et il la serra contre lui.
Elle ne pouvait détacher ses yeux de l’abysse qui plongeait à moins d’un mètre.
— N’aie pas peur, fit Vincent. La mort, ce n’est rien… Eux, ils pourriront en taule jusqu’à la fin de leur misérable vie… C’est bien pire !
— Ça suffit ! s’impatienta encore Hervé. Foutons-les dans le ravin !
— Minute ! dit soudain Vertoli. Et s’il disait la vérité ?
— Tu vas pas croire ces conneries ! Tu vois pas qu’il cherche à gagner du temps ?
— Attends, ordonna le maire à son tour. On peut peut-être en discuter, non ?
Hervé leva les yeux au ciel tandis que Vincent reprenait espoir. Il sentait que la faille s’était installée en eux.
Espoir minime, certes. Mais lorsque la mort est si proche, si palpable, on s’accrocherait à n’importe quoi.
Servane décida d’entrer dans ce jeu de la dernière chance.
— Vous voyez, Vertoli, quand Vincent a pris cette précaution, je lui en ai voulu… Parce que moi, j’avais confiance en vous. Mais maintenant, je le bénis ! Car je sais que vous allez payer !