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— Alors, mon compère, nous avons un roi !

La joie pénétrait jusque dans les couvents où abbés et aumôniers annonçaient et commentaient l’événement.

À l’hôtellerie du couvent des Clarisses, Marie de Cressay, quatre jours plus tôt, avait mis au monde un petit garçon qui pesait fortement ses huit livres, promettait d’être blond ainsi que sa mère et tétait, les yeux fermés, avec la voracité d’un jeune chiot.

À tout instant les novices, encapuchonnées de blanc, entraient dans la cellule de Marie pour la voir langer son enfant, pour contempler son visage radieux pendant qu’elle allaitait, pour regarder cette poitrine rose, abondante, épanouie, pour admirer, elles destinées à une virginité définitive, le miracle de la maternité autrement qu’en figure de vitrail.

Car s’il arrivait parfois qu’une nonne fautât, cela ne se produisait pas aussi souvent que l’assuraient les rimeurs publics en leurs chansons, et un nouveau-né dans un couvent des Clarisses n’était quand même pas chose fréquente.

— Le roi s’appelle Jean, comme mon enfant, disait Marie. Ce fut toujours l’usage, dans ma famille, d’appeler ainsi le premier-né.

Elle voyait dans cette coïncidence un heureux présage. Une nouvelle génération de garçons allait porter le prénom du roi, d’autant plus frappant qu’il était nouveau pour la monarchie. À tous les petits Philippe, à tous les petits Louis, succéderaient une infinité de petits Jean à travers le royaume. « Le mien est le premier », pensait Marie.

Le hâtif crépuscule d’automne commençait à tomber quand une jeune nonne pénétra dans la cellule.

— Dame Marie, dit-elle, la mère abbesse vous demande au parloir. Quelqu’un vous y attend.

— Qui m’attend ?

— Je ne sais, je n’ai point vu. Mais je crois que vous allez partir.

Le sang monta aux joues de Marie.

— C’est Guccio, c’est Guccio ! C’est le père… expliqua-t-elle aux novices. C’est mon époux qui vient nous chercher, sûrement.

Elle ferma la coulisse de son corsage, remonta vivement ses cheveux en se regardant dans la fenêtre dont la vitre lui servait de sombre miroir, mit sa chape sur ses épaules, hésita un instant devant le berceau posé sur le sol. Devait-elle descendre l’enfant, pour offrir aussitôt à Guccio la merveilleuse surprise ?

— Voyez comme il dort, cet angelot, dirent les petites novices. N’allez point l’éveiller ni lui faire prendre froid ! Courez ; nous allons bien le veiller.

— Ne le sortez pas de son bercel, ne le touchez pas ! dit Marie.

En descendant l’escalier, elle était déjà torturée d’inquiétude maternelle. « Pourvu qu’elles n’aillent point jouer avec lui et le laisser choir ! » Mais ses pieds volaient vers le parloir, et elle s’étonnait de se sentir si légère.

Dans la salle blanche, décorée seulement d’un grand crucifix et éclairée par deux cierges qui doublaient chaque objet, chaque forme, d’une ombre immense, la mère abbesse, les mains croisées dans ses manches, parlait avec madame de Bouville.

En apercevant la femme du curateur, Marie éprouva plus qu’une déception ; elle eut la certitude immédiate, inexplicable, absolue, que cette personne sèche, au visage grillagé de rides verticales, lui apportait le malheur.

Une autre que Marie se fût contentée de penser qu’elle n’aimait pas madame de Bouville ; mais chez Marie de Cressay tous les sentiments prenaient une tournure passionnée, et elle donnait à ses sympathies ou à ses aversions la valeur de signes du destin. « Je suis sûre qu’elle vient me faire du mal ! » se dit-elle.

D’un regard aigu, sans bienveillance, madame de Bouville l’examinait des pieds à la tête.

— Quatre jours seulement que vous avez fait vos couches, s’écria-t-elle, et vous voilà toute fraîche et rose comme une églantine ! Je vous complimente, ma belle ; on vous dirait déjà prête à recommencer. Dieu, en vérité, traite avec beaucoup de merci celles qui méprisent ses commandements et semble réserver ses épreuves aux plus méritantes. Car croirez-vous, ma mère, continua madame de Bouville se tournant vers l’abbesse, que notre pauvre reine est restée plus de trente heures dans les douleurs ? Ses cris me sonnent encore aux oreilles. Le roi s’est fort mal présenté, et l’on a dû lui mettre les fers. Il s’en est fallu de peu qu’il n’y reste, la mère aussi. C’est ce malheur qu’a eu Madame Clémence par la mort de son époux qui est cause de tout ; et pour moi je tiens encore à miracle que l’enfant soit né vivant. Mais quand le sort s’en mêle, il n’est rien qui ne vienne à la traverse ! Voilà qu’Eudeline la lingère… vous savez bien…

L’abbesse hocha la tête discrètement. Elle gardait au couvent, parmi les petites novices, une enfant de onze ans qui était la fille naturelle du Hutin et d’Eudeline.

— … elle portait grand-aide à la reine, qui la voulait sans cesse à son chevet, continua madame de Bouville. Eh bien ! Eudeline s’est brisé le bras en tombant d’une escabelle ; on l’a dû conduire à l’Hôtel-Dieu. Et maintenant, pour tout couronner, voici que la nourrice qu’on avait arrêtée, qui se tenait là depuis une semaine, a vu son lait soudain tari. Nous faire cela dans un pareil moment ! Car la reine, bien sûr, est hors d’état d’allaiter ; la fièvre l’a prise. Mon pauvre Hugues tourne, vire, s’époumone et ne sait que résoudre, car ce ne sont point affaires d’homme ; quant au sire de Joinville, qui n’a plus goutte de vue ni de mémoire, tout ce qu’on peut souhaiter de lui c’est qu’il ne nous expire pas dans les bras. Autrement dit, ma mère, je suis seule à pourvoir à tout.

Marie de Cressay se demandait pourquoi on la faisait ainsi confidente des drames royaux, quand madame de Bouville, poursuivant son caquet, dit en s’approchant d’elle :

— Heureusement j’ai de la tête, et je me suis rappelée à propos que cette fille que j’avais conduite ici devait être délivrée… Vous nourrissez, bien sûr, et votre enfant profite à vue d’œil ?

Elle semblait faire reproche à la jeune mère de sa bonne santé.

— Jugeons cela de plus près, dit-elle encore.

Et d’une main compétente, comme elle aurait soupesé des fruits au marché, elle palpa les seins de Marie. Celle-ci eut un mouvement de répulsion qui la fit sauter en arrière.

— Vous pouvez fort bien en nourrir deux, reprit madame de Bouville. Vous allez donc me suivre, ma bonne fille, et venir donner votre lait au roi.

— Je ne puis, Madame ! s’écria Marie avant même de savoir comment elle justifierait son refus.

— Et pourquoi ne pourriez-vous pas ? À cause de votre péché ? Vous êtes tout de même fille de noblesse ; et puis le péché ne vous empêche point d’être riche en lait. Ce sera la façon de vous racheter un peu.

— Je n’ai pas péché, Madame, je suis mariée !

— Vous êtes bien la seule à le dire, ma pauvre petite ! D’abord, si vous étiez mariée, vous ne seriez pas ici. Et puis la question n’est point là. Il nous faut une nourrice…

— Je ne puis, car justement j’attends mon époux qui doit venir me prendre. Il m’a fait savoir qu’il arriverait bientôt et le pape lui a promis…

— Le pape !… Le pape ! clama la femme du curateur. Mais elle a perdu l’esprit, ma parole ! Elle croit qu’elle est mariée, elle croit que le pape s’inquiète d’elle. Cessez de nous conter vos sottises, et ne blasphémez point le nom du Saint-Père. Vous allez venir à Vincennes tout immédiatement.

— Non, Madame, je n’irai point, répliqua Marie avec obstination.

La colère monta au nez de la petite madame de Bouville qui empoigna Marie par le haut de la robe et se mis à la secouer.

— Voyez-moi l’ingrate ! Cela se débauche, se fait mettre grosse. On prend du soin pour elle, on la sauve de la justice, on la place au meilleur couvent, et quand on vient la requérir pour nourrice du roi de France, la péronnelle regimbe. La bonne sujette que nous avons là ! Savez-vous qu’on vous offre un honneur pour lequel les plus grandes dames du royaume se battraient ?