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Fort liés, parce que fort proches par leurs goûts et leurs natures, les deux cousins s’entendaient bien à se monter réciproquement la tête.

— S’il en est ainsi, je n’assisterai pas non plus au sacre. Je pars avec toi, avait déclaré Philippe de Valois avec la satisfaction d’affirmer une indépendance à l’égard du roi, de la cour et de son propre père.

Là-dessus, de rassembler leurs escortes et de se diriger fièrement vers une porte de la ville. Leur superbe avait dû s’incliner devant les sergents d’armes.

— Nul n’entre ni ne sort. Ordre du roi.

— Même les princes de France ?

— Même les princes ; ordre du roi.

— Ah ! Il veut nous contraindre ! s’était écrié Philippe de Valois qui maintenant prenait l’affaire à son compte. Eh bien, nous sortirons quand même !

— Comment veux-tu, puisque les portes sont closes ?

— Feignons de rentrer à mon logis, et laisse-moi agir.

La suite ressemblait à une équipée de gamins. Les écuyers du jeune comte de Valois avaient été dépêchés à chercher des échelles, vite dressées dans le fond d’une impasse, en un endroit où les murs ne semblaient pas gardés. Et voici les deux cousins, fesses en l’air, partis à l’escalade, sans se douter que de l’autre côté s’étendaient les marécages de la Vesle. Par cordes, ils descendirent dans le fossé. Charles de La Marche perdit pied au milieu de l’eau boueuse et glacée ; il s’y fût noyé si son cousin, qui avait six pieds de haut et les muscles solides, ne l’eût à temps repêché. Puis ils s’engagèrent, comme des aveugles, dans les marais. Il n’était plus question pour eux de renoncer. Avancer ou reculer revenait au même. Ils jouaient leur vie et en auraient pour trois grandes heures à se tirer de ce bourbier. Les quelques écuyers qui les avaient suivis barbotaient autour d’eux et ne se gênaient pas pour les maudire à haute voix.

— Si jamais nous sortons de là, criait La Marche pour soutenir son courage, je sais bien où j’irai, je sais bien. À Château-Gaillard !

Philippe de Valois, ruisselant de sueur malgré le froid, montra une tête stupéfaite au-dessus des roseaux pourrissants.

— Tu tiens donc encore à Blanche ? demanda-t-il.

— Je n’y tiens point, mais j’ai des choses à savoir d’elle. Elle est la seule, elle est la dernière à pouvoir nous dire si la fille de Louis est bâtarde, et si mon frère Philippe a été cocu comme moi ! Avec son témoignage, je pourrai honnir mon frère, à mon tour, et faire donner la couronne à la fille de Louis.

Le son des cloches de Reims, battant à toute volée, parvenait jusqu’à eux.

— Quand je pense, quand je pense que c’est pour lui qu’on sonne ! disait Charles de La Marche, la moitié du corps dans la boue et la main tendue vers la ville…

… Dans la cathédrale, les chambellans venaient de dévêtir le roi. Philippe le Long debout devant l’autel n’avait plus sur le corps que deux chemises superposées, l’une de fine toile, et l’autre de soie blanche, et largement ouvertes sur la poitrine et sous les aisselles. Le roi, avant d’être investi des signes de la majesté, se présentait à l’assemblée de ses sujets comme un homme presque nu, et qui frissonnait.

Tous les attributs du sacre étaient déposés sur l’autel, à la garde de l’abbé de Saint-Denis qui les avait apportés. Adam Héron prit des mains de l’abbé les chausses, longs caleçons de soie brodés de fleurs de lis, et aida le roi à les passer, ainsi que les chaussures, également d’étoffe brodée. Puis Anseau de Joinville, en l’absence du duc de Bourgogne, noua les éperons d’or aux pieds du roi, et les enleva aussitôt. L’archevêque bénit la grande épée, qu’on prétendait être celle de Charlemagne, et la soulevant par le baudrier la pendit au flanc du roi en récitant :

— Accipe hunc gladium cum Dei benedictione…

— Messire connétable, approchez, dit le roi.

Gaucher de Châtillon s’avança et Philippe, se défaisant du baudrier, lui remit l’épée.

Jamais connétable, dans toute l’histoire des sacres, n’avait mieux mérité de tenir, pour son souverain, l’insigne de la puissance militaire. Ce geste entre eux était plus que l’accomplissement d’un rite ; ils échangèrent un long regard. Le symbole se confondait avec la réalité.

De la pointe d’une aiguille d’or, l’archevêque prit, dans la sainte ampoule que lui tendait l’abbé de Saint-Rémy, une parcelle de cette huile qu’on disait envoyée du ciel, et la mêla de son doigt avec le chrême préparé sur une patène. Puis l’archevêque oignit Philippe en le touchant au sommet de la tête, à la poitrine, entre les épaules et aux aisselles. Adam Héron rattacha les annelets et les agrappins qui fermaient les tuniques. La chemise du roi serait plus tard brûlée, parce qu’elle avait été effleurée de la sainte onction.

Le roi fut alors revêtu des vêtements pris sur l’autel : d’abord la cotte de satin vermeil brodée de fils d’argent, puis la tunique de satin bleu bordée de perles et semée de fleurs de lis d’or, et, par-dessus, la dalmatique de semblable tissu, et, par-dessus encore, le soq, grand manteau carré agrafé sur l’épaule droite par une fibule d’or. Philippe sentait progressivement ses épaules s’appesantir. L’archevêque accomplit l’onction des mains, glissa au doigt de Philippe l’anneau royal, lui mit le lourd sceptre d’or en la main droite, la main de justice en la main gauche. Après une génuflexion devant le tabernacle, le prélat enfin souleva la couronne, tandis que le grand chambellan commençait l’appel des pairs présents.

— Magnifique et puissant seigneur, le comte…

À cet instant précis, une voix haute, impérieuse, s’éleva dans la nef :

— Arrête, archevêque ! Ne couronne point cet usurpateur ; c’est la fille de Saint Louis qui te le commande.

Un vaste remous parcourut l’assistance. Toutes les têtes se tournèrent vers le point où l’on avait crié. Sur l’estrade et parmi les officiants s’échangeaient des regards anxieux. Les rangs de la foule s’écartèrent.

Entourée de quelques seigneurs, une femme de grande taille, belle encore de visage, le menton ferme, les yeux clairs et coléreux, l’étroit diadème et le voile des veuves posés sur une masse de cheveux presque blancs, marchait vers le chœur.

Sur son passage on chuchotait :

— C’est la duchesse Agnès ; c’est elle !

On tendait le cou pour la voir. On s’étonnait qu’elle eût gardé si belle prestance et pas si ferme. Parce qu’elle était la fille de Saint Louis, l’image qu’on se faisait d’elle appartenait au lointain des âges ; on la croyait une ancêtre, une ombre toute cassée dans un château de Bourgogne. Soudain elle surgissait telle qu’elle était, réellement, une femme de cinquante ans, encore pleine de vie et d’autorité.

— Arrête, archevêque, répéta-t-elle quand elle ne fut plus qu’à quelques pas de l’autel. Et vous tous écoutez… Lisez, Mello ! ajouta-t-elle pour son conseiller qui l’accompagnait.

Guillaume de Mello déplia un parchemin et lut :

— « Nous, très noble dame Agnès de France, duchesse de Bourgogne, fille de notre Sire le roi Louis le saint, en notre nom et celui de notre fils, très noble et puissant duc Eudes, nous adressons à vous, barons et seigneurs ici présents ou dehors dans le royaume, pour faire défense que l’on reconnaisse roi le comte de Poitiers qui n’est point héritier légitime de la couronne, et protester qu’on diffère le sacre jusqu’à tant qu’aient été reconnus les droits de Madame Jeanne de France et de Navarre, fille et héritière du défunt roi et de notre fille. »