L’angoisse augmentait sur l’estrade, et l’on commençait à distinguer de mauvais murmures dans le fond de l’église. La foule se tassait.
L’archevêque semblait embarrassé de la couronne, ne sachant s’il devait la reposer sur l’autel, ou poursuivre.
Philippe restait immobile, tête nue, impuissant, alourdi de quarante livres d’or et de brocarts, et les mains encombrées de la Puissance et de la Justice. Jamais il ne s’était senti aussi démuni, aussi menacé, aussi seul. Un gantelet de fer l’étreignait au creux de la poitrine. Son calme était effrayant. Accomplir un seul geste, ouvrir la bouche en cet instant, entamer une controverse, c’était courir au tumulte, et sans doute à l’échec. Il demeura figé dans la gangue de ses ornements, comme si la bataille se passait au-dessous de lui.
Il entendait les pairs ecclésiastiques chuchoter :
— Que devons-nous faire ?
Le prélat de Langres, qui n’oubliait pas la vexation essuyée au lever, était d’avis d’arrêter la cérémonie.
— Retirons-nous et débattons, proposait un autre.
— Nous ne pouvons, le roi est déjà l’oint du Seigneur, il est roi ; couronnez-le, répliquait l’évêque de Beauvais.
La comtesse Mahaut se penchait vers sa fille Jeanne et lui murmurait :
— La gueuse ! Elle mérite d’en crever.
De ses paupières de tortue, le connétable fit signe à Adam Héron de reprendre l’appel.
— Magnifique et puissant seigneur, le comte de Valois, pair du roi, prononça le chambellan.
Toute l’attention alors reflua vers l’oncle du roi. S’il répondait à l’appel, Philippe avait gagné, car c’était la caution des pairs laïcs, du pouvoir réel, que Valois apportait. S’il refusait, Philippe avait perdu.
Valois ne montrait guère d’empressement, et l’archevêque attendait visiblement sa décision.
Philippe alors esquissa quand même un mouvement ; il tourna la tête vers son oncle ; le regard qu’il lui adressa valait cent mille livres. La Bourgogne ne paierait jamais autant.
L’ex-empereur de Constantinople se leva, le visage crispé, et vint se placer derrière son neveu.
« Comme j’ai bien fait de ne pas lésiner avec lui ! » pensa Philippe.
— Noble et puissante Dame Mahaut, comtesse d’Artois, pair du roi, appela Adam Héron.
L’archevêque éleva le lourd cercle d’or surmonté d’une croix à la partie frontale, en prononçant enfin :
— Coronet te Deus.
L’un des pairs laïcs devait aussitôt prendre la couronne pour la maintenir au-dessus de la tête du souverain, et les autres pairs y poser seulement un doigt symbolique. Déjà Valois avançait les mains ; mais Philippe, d’un mouvement de son sceptre, l’arrêta.
— Vous, ma mère, tenez la couronne, dit-il à Mahaut.
— Merci, mon fils, murmura la géante.
Elle recevait, par cette désignation spectaculaire, le remerciement de son double régicide. Elle prenait la place de premier pair du royaume, et la possession du comté d’Artois lui était, avec éclat, confirmée.
— Bourgogne ne s’incline point ! s’écria la duchesse Agnès.
Et, rassemblant sa suite, elle marcha vers la sortie tandis que, lentement, Mahaut et Valois reconduisaient Philippe à son trône.
Quand il s’y fut assis, les pieds reposant sur un coussin de soie, l’archevêque déposa sa mitre et vint baiser le roi sur la bouche en disant :
— Vivat rex in aeternum.
Les autres pairs ecclésiastiques et laïcs imitèrent son geste en répétant :
— Vivat rex in aeternum.
Philippe se sentait las. Il venait de gagner sa dernière bataille, après sept mois de luttes incessantes pour parvenir à ce pouvoir suprême que nul maintenant ne pouvait plus lui disputer.
Les cloches fracassaient l’air pour sonner son triomphe ; dehors, le peuple hurlait, lui souhaitant gloire et longue vie ; tous ses adversaires étaient matés. Il avait un fils pour assurer sa descendance, une épouse heureuse pour partager ses peines et ses joies. Le royaume de France lui appartenait.
« Comme je suis las, tellement las ! » pensait Philippe.
À ce roi de vingt-cinq ans qui s’était imposé par volonté tenace, qui avait accepté les bénéfices du crime et qui possédait tous les caractères d’un grand monarque, rien, en vérité, ne paraissait manquer.
Le temps des châtiments allait commencer.
FIN
RÉPERTOIRE
BIOGRAPHIQUE
Les souverains apparaissent dans ce répertoire au nom sous lequel ils ont régné ; les autres personnages à leur nom de famille ou de fief principal. Nous n’avons pas fait mention de certains personnages épisodiques, lorsque les documents historiques ne conservent de leur existence d’autre trace que l’action précise pour laquelle ils figurent dans notre récit.
Alençon (Charles de Valois, comte d’) (1294-1346). Second fils de Charles de Valois et de Marguerite d’Anjou-Sicile. Tué à Crécy.
Andronic II Paléologue (1258-1322). Empereur de Constantinople. Couronné en 1282. Détrôné par son petit-fils Andronic III en 1328.
Anjou (saint Louis d’) (1275-1299). Deuxième fils de Charles II d’Anjou, dit le Boiteux, roi de Sicile, et de Marie de Hongrie. Renonça au trône de Naples pour entrer dans les ordres. Évêque de Toulouse. Canonisé sous Jean XXII en 1317.
Anjou-Sicile (Marguerite d’), comtesse de Valois (vers 1270-31 décembre 1299). Fille de Charles II d’Anjou, dit le Boiteux, roi de Sicile, et de Marie de Hongrie. Première épouse de Charles de Valois. Mère du futur Philippe VI, roi de France.
Artevelde (Jakob Van) (vers 1285-1345). Marchand drapier de Gand. Joua un rôle capital dans les affaires de Flandre. Assassiné au cours d’une révolte de tisserands.
Artois (Jean d’), comte d’Eu (1321-6 avril 1386). Fils de Robert d’Artois et de Jeanne de Valois, fut emprisonné avec sa mère et ses frères après le bannissement de Robert. Libérés en 1347. Chevalier (1350). Reçut en donation le comté d’Eu après l’exécution de Raoul de Brienne. Fait prisonnier à Poitiers (1356). Il avait épousé Isabelle de Melun dont il eut six enfants.
Artois (Mahaut, comtesse de Bourgogne puis d’) ( ?-27 novembre 1329). Fille de Robert II d’Artois. Épousa (1291) le comte palatin de Bourgogne, Othon IV (mort en 1303). Comtesse-pair d’Artois par jugement royal (1309). Mère de Jeanne de Bourgogne, épouse de Philippe de Poitiers, futur Philippe V, et de Blanche de Bourgogne, épouse de Charles de France, comte de la Marche, futur Charles IV.
Artois (Robert III d’) (1287-1342). Fils de Philippe d’Artois et petit-fils de Robert II d’Artois. Comte de Beaumont-le-Roger et seigneur de Conches (1309). Épousa Jeanne de Valois, fille de Charles de Valois et de Catherine de Courtenay (1318). Pair du royaume par son comté de Beaumont-le-Roger (1328). Banni du royaume (1322), se réfugia à la Cour d’Edouard III d’Angleterre. Blessé mortellement à Vannes. Enterré à Saint-Paul de Londres.
Arundel (Edmond Fitzalan, comte d’) (1285-1326). Fils de Richard Ier, comte d’Arundel. Épouse Alice, sœur de John, comte de Warenne, dont il eut un fils, Richard, qui épousa la fille de Hugh Le Despenser le Jeune. Grand Juge du Pays de Galles (1323-1326). Décapité à Hereford.
Asnières (Jean d’). Avocat au Parlement de Paris. Prononça l’acte d’accusation d’Enguerrand de Marigny.