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Elle avait deviné juste : ils étaient en plein examen de son ami. En un flash, elle revit les deux adversaires en flammes sur la mezzanine.

— Avez-vous découvert des traces de lutte ?

— Vous plaisantez ou quoi ? Ce qui reste de François Taine est actuellement sous mes yeux. Je peux vous garantir qu’il n’y a plus traces de quoi que ce soit. Taine s’est transformé en charbon de bois.

Elle sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle tenait sur les nerfs depuis son réveil mais maintenant… Elle renifla. Puis prononça d’un ton ferme :

— Aucun détail ne peut nous renseigner sur ce qui s’est passé avant l’incendie ?

— On voit que vous n’y connaissez pas grand-chose en combustion. Quand les pompiers ont extirpé le corps, il était méconnaissable. Sous l’effet de la température, la chair enfle, faisant éclater la peau. Vous avez déjà cuit un poulet au four ?

— Docteur, vous parlez de mon ami.

— François était aussi mon ami. Cela ne l’a pas empêché d’éclater comme une saucisse.

Jeanne se tut. Le médecin poursuivit :

— Pour connaître les raisons exactes de la mort, je dois ouvrir. L’intoxication au monoxyde de carbone est révélée par la couleur rosâtre des organes. Espérons qu’il est mort d’asphyxie et qu’il n’a pas senti les flammes.

Taine et l’homme se battant sur la passerelle, dévorés par le feu. Elle possédait déjà la réponse. Soudain, alors que rien ne laissait présager la moindre confidence, le légiste souffla :

— Bon. Il y a quelque chose d’étrange.

— Quoi ?

— Les traces d’une substance sur le corps. Surtout sur les mains et les bras.

— Un produit inflammable ?

— Au contraire.

— Je ne comprends pas.

— Un truc ininflammable. Une sorte de vernis. Ou de résine. Comme une protection.

François Taine se serait enduit les bras d’un film protecteur ? Langleber parut suivre le même raisonnement :

— S’il a voulu se prémunir contre le feu, c’est raté. Les bras ont autant cramé que le reste.

— Vous avez déjà donné des échantillons pour analyse ?

— Oui.

— À qui ?

— Korowa, on est limite, là.

— Donnez-moi seulement cette info.

— Messaoud, le chef de l’IJ.

— Merci, docteur.

— Pas de quoi.

Avant qu’il ne raccroche, Jeanne glissa encore une question :

— Vous avez fait l’autopsie de Francesca Tercia ?

— Samedi, oui.

— Vous avez noté des différences avec les autres corps ?

— Aucune. Hormis le fait que le salopard n’a pas eu le temps de finir le boulot.

— Les blessures et les mutilations sont exactement les mêmes ?

— Exactement. A part les yeux. On en a déjà parlé.

— Aucun indice ne ressort ?

— Le principal indice, c’est que tout est identique, justement. Vous savez ce que disait Michel Foucault ? « Dans la rumeur de la répétition, survient ce qui n’a lieu qu’une fois… »

Jeanne sentit la colère monter en elle. Elle songea à Taine, qui s’énervait lui aussi face à cet intellectuel de scène de crime. Avec un temps de retard, elle réalisa qu’elle venait de penser à François au présent. Son cœur flancha. Combien de fois évoquerait-elle son image ainsi, vivante, familière, pour que ensuite son esprit se brise contre sa mort ? Foucault avait raison : « Dans la rumeur de la répétition, survient ce qui n’a lieu qu’une fois… » Le deuil.

— Je peux vous poser une question à mon tour ? fit le légiste.

— Dites.

— Qu’est-ce que vous foutiez dans l’incendie ?

— J’essayais de sauver Taine.

Il y eut un silence. Puis le médecin déclara, entre cynisme et résignation :

— Il n’y a pas de médailles pour les juges. Ne m’appelez plus, Korowa. A moins d’être saisie en bonne et due forme.

Jeanne raccrocha et composa le numéro d’Ali Messaoud. Elle n’avait pas achevé sa phrase que le chef de l’IJ l’interrompit :

— C’est un complot ou quoi ? Reischenbach m’a déjà appelé. Je ne parlerai qu’aux personnes habilitées et…

— Dix ans d’amitié, ça vous suffit comme légitimité ? Messaoud ne répondit pas. Il avait l’air sonné. Jeanne se dit que la mort de Taine constituait vraiment un cas à part. Pour la première fois, la victime était connue de tous ceux qui participaient à l’enquête. Sur ce dossier, flics, médecins, techniciens, magistrats étaient à la fois juges et parties. Pour l’instant, la plupart réagissaient avec une froideur calculée, appelant leur métier et leur autorité à la rescousse pour éviter toute émotion.

— OK, reprit-elle. On est sûr qu’il s’agit d’un incendie criminel ?

— Aucun doute. On a identifié des traces d’accélérateur de feu.

— Quel genre ?

— Hydrocarbure. Essence ou solvant, on va voir.

— D’où est parti le feu ?

— Cinquième étage. Le palier de Taine. Le bois du parquet à cet endroit est noirci seulement sur le dessus. C’est le signe d’une brûlure rapide et non d’une combustion lente. Une flaque de feu est partie de là et s’est répandue.

Jeanne se revit dans l’incendie, abattant la porte de l’appartement de Taine.

— La porte de François n’avait pas brûlé.

— Normal. Le pyromane a dû faire couler de l’essence sous la porte. Le feu a traversé l’espace puis il est descendu par la façade jusqu’aux étages inférieurs.

— On m’a parlé d’une substance… de la résine ou du vernis sur les bras de Taine.

— Exact. Une sorte de plastique. J’ai donné des échantillons pour analyse.

— Je pourrais avoir les coordonnées de l’expert de votre équipe ?

— Non. D’ailleurs, ses conclusions ne seront officielles que lorsqu’il aura été réquisitionné par le magistrat saisi. Jusqu’à preuve du contraire, ce n’est pas vous.

Jeanne fit mine de ne pas avoir entendu.

— J’ai parlé avec Langleber. Selon lui, c’est un produit de protection. Un truc que Taine se serait mis sur les bras pour se protéger d’un incendie à venir…

— Je ne suis pas d’accord. Taine n’avait aucune raison, a priori, de craindre un incendie. Ni d’avoir ce genre de produit chez lui. En tout état de cause, on ne connaît pas encore sa nature exacte.

— Vous avez une autre idée ?

— Un truc a pu fondre et couler sur lui. Le vernis de la bibliothèque, quelque chose comme ça. D’après nos premiers prélèvements, rien ne correspond à cette substance dans l’appartement. Mais le boulot n’est pas fini.

Jeanne eut une illumination. Une version inversée des faits. Ce qui avait coulé, c’était le tueur lui-même… L’agresseur s’était enduit d’un produit ininflammable pour se protéger. Voilà pourquoi il était nu. Voilà pourquoi il ne paraissait pas ressentir les morsures du feu. Plutôt tiré par les cheveux, mais elle l’avait vu assailli par les flammes sans manifester la moindre douleur. Et son corps n’avait pas été retrouvé… Il s’en était sorti.

— Sur ce, conclut Messaoud, je vous dis au revoir, Jeanne. Revenez me voir quand vous serez saisie officiellement de…

Elle commençait à en avoir marre de ce refrain.

— Vous avez analysé les prélèvements sur la dernière scène de crime, dans l’atelier Vioti ?

— C’est en cours.