Après cela, j’ai écrit la suite de Nous les morts, Le Royaume des cieux, où je décrivais un peu plus précisément ce que j’imaginais pouvoir être le monde de l’après-vie. J’en ai profité pour relater la fameuse expérience de mon père sur le ver planaire, de manière à donner une dimension scientifique à un livre censé traiter de spiritualité. Là encore, le livre a trouvé un large public et connu une belle vie en librairie, ce qui était étrange, vu l’échec du livre dont il était la suite.
À partir de là, je me suis fixé une véritable discipline, à la manière des sportifs : tous les matins, de 8 heures à 12 h 30, j’écrivais au bistrot. Et tous les 1er avril, je sortais un nouveau titre, ce qui me forçait à travailler avec régularité et me permettait de fixer un rendez-vous annuel à mes lecteurs.
J’ai écrit des polars, des livres de spiritualité… au total, douze ouvrages en douze ans depuis Le Cygne. Tous n’ont pas rencontré le succès mais je voyais désormais ma carrière comme un long marathon et non plus comme une succession de petits sprints. Par chance, les lecteurs m’ont toujours soutenu. Ma hantise étant de me répéter, je m’apprêtais à explorer un nouveau genre littéraire et à publier un livre de science-fiction : L’Homme de mille ans, sur la tentative de prolonger l’espérance de vie. Le monde est ironique : je suis mort au moment même où j’avais décidé d’écrire sur les façons de rester en vie aussi longtemps que possible… »
22. ENCYCLOPÉDIE : LE BANDIT EMBAUMÉ
Il existe peu d’hommes dans l’Histoire qui aient connu une seconde carrière après leur mort. Ce fut pourtant le cas de l’Américain Elmer McCurdy, né en 1880. À 27 ans, ne parvenant pas à trouver un métier en raison d’un penchant un peu trop marqué pour l’alcool, il s’engagea dans l’armée. Là, il se spécialisa dans le maniement des explosifs. Après trois ans de service, il rejoignit une bande de pilleurs de trains et devint lui-même gangster. Lors de sa première attaque, menée contre un train qui transportait de l’argent destiné aux tribus indiennes, il dosa mal l’explosif et détruisit tous les billets en faisant sauter la porte du coffre. Ses autres attaques furent également des échecs pour des questions de dosage d’explosif, et le plus gros butin qu’il obtînt jamais s’éleva à 46 dollars. Cependant, sa tête fut mise à prix à 2 000 dollars. Poursuivi par trois shérifs, il se barricada dans une ferme et refusa de se rendre. Ses dernières paroles furent : « Vous ne m’aurez jamais vivant ! » Et, de fait, il fut abattu quelques minutes à peine après avoir prononcé cette phrase prophétique.
Son corps n’étant réclamé par personne, il servit d’attraction au croque-mort Joseph Johnson, qui l’embauma avec une solution d’arsenic et l’exposa à l’entrée de sa boutique. Une pancarte annonçait : « L’homme qui refusa de se rendre ». Il en coûtait 10 cents d’observer le cadavre habillé en cow-boy et disposé dans un cercueil. Le succès fut tel que plusieurs cirques ambulants tentèrent de racheter cette momie, sans succès. Mais cinq ans après sa mort, un homme se présenta comme son frère et récupéra le corps, soi-disant pour lui offrir une sépulture décente.
C’était en fait un escroc, qui profita de l’aubaine pour s’enrichir à son tour. La carrière d’Elmer connut ainsi une seconde vie. Pendant soixante ans, il fut prêté aux musées, parcs d’attractions et fêtes foraines sous le titre de « bandit embaumé ». En 1935, il fut exposé à l’entrée d’un cinéma qui projetait le film d’horreur Narcotic. Il fut ensuite exhibé dans un musée de cire consacré aux hors-la-loi célèbres. En 1967, il fit de la bien immobile figuration dans le film d’horreur The Freak et termina finalement sa carrière dans une attraction du parc de Long Beach, en Californie, baptisée « The Laff in the Dark » : complètement nu et peint en rouge, il était pendu à la sortie d’un virage dans le but de faire hurler de peur les passagers du train fantôme. En décembre 1976, un épisode de L’homme qui valait 3 milliards fut tourné dans ce tunnel de l’épouvante. Un accessoiriste le déplaça, pensant qu’il s’agissait d’un mannequin de cire, mais, lorsque son bras se détacha, il découvrit avec effroi qu’il y avait un os à l’intérieur. Un médecin accourut et constata qu’il s’agissait bien d’un corps humain momifié. Il trouva même dans sa bouche un penny datant de 1924 ainsi qu’un billet d’entrée pour le musée du Crime de Los Angeles. Ce fut grâce à ce billet que la police put reconstituer la trajectoire du cadavre et l’identifier comme celui du bandit Elmer McCurdy. Soixante-six ans après sa mort, il eut enfin droit à des funérailles dans l’Oklahoma, auxquelles assistèrent plus de 300 personnes. Deux tonnes de béton furent versées sur son cercueil afin que personne ne soit tenté de le voler.
Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome XII.
23.
Les chats ne font plus le moindre bruit, comme s’ils avaient eux aussi écouté le récit de l’écrivain.
Lucy se ressert une tasse de thé.
– Je comprends mieux votre côté parano, monsieur Wells. J’ignorais que cela avait été aussi compliqué pour vous d’exister en tant que romancier. En tout cas, comme je vous l’ai déjà dit, vos ouvrages m’ont fait du bien à un moment-clef de mon existence.
– Cela me ravit. Je suis d’autant plus touché que vous correspondez exactement au genre de femme dont je pourrais tomber amoureux…
– Mais vous êtes mort !
– Personne n’est parfait…
– De toute façon c’est impossible car j’en aime un autre, vous le savez bien, qui est mon unique grand amour.
– À ce sujet… j’ai réfléchi. J’ai une proposition à vous faire.
– La dernière fois que vous m’avez proposé quelque chose, c’était pour me demander d’aller enquêter sur le terrain en échange de votre réincarnation. On a vu le résultat. Merci bien.