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C’est Ignace qui répond :

– Gabriel Wells ici présent est écrivain. Vous connaissez probablement ses romans : les enquêtes du lieutenant Le Cygne, ça vous dit quelque chose ?

– Jamais entendu parler. De mon vivant, je n’achetais que les prix littéraires en novembre et encore, ce n’était même pas pour les lire mais pour les offrir à ma famille à Noël. À mon avis, ils ne les lisaient pas non plus, mais ça faisait bien dans leur bibliothèque.

– Bien sûr, bien sûr, chacun ses goûts, concède Ignace avec diplomatie. Je disais donc que Gabriel est écrivain, même si vous ne connaissez pas ses livres, et accessoirement c’est aussi mon petit-fils. Or il s’avère que la célèbre médium Lucy Filipini, dont vous avez dû entendre parler, est une de ses proches amies.

– Connais pas non plus.

– C’est dommage, car cette médium a les meilleurs plans de réincarnation de tout Paris. Vous êtes sûr que son précieux nom ne vous dit rien ?

– Qu’est-ce qu’elle a de si précieux votre bonne femme, qui serait donc meilleure que ma tante Filomena, si je vous suis bien ?

– Lucy Filipini a un accès direct à la Hiérarchie qui lui permet d’offrir aux âmes errantes des réincarnations dans des fœtus exceptionnels.

– Pour l’instant, je ne souhaite pas me réincarner. Je suis bien ici à regarder la télé par-dessus l’épaule du nouveau concierge. De préférence sans que des étrangers viennent me déranger, si vous voyez ce que je veux dire…

– Et vous comptez faire cela combien de temps ? Un an ? Dix ans ? Cent ans à rester dans cette loge à regarder la télévision ? La retraite infinie, c’est ça votre rêve ? Vous ne croyez pas qu’à un moment vous aurez envie de recommencer de zéro une nouvelle existence ?

Le concierge semble enfin tiré de sa léthargie.

– OK, admettons que je vous fournisse des informations. En échange, je veux la garantie de renaître avec une existence encore plus éblouissante.

– Que voudriez-vous être dans votre prochaine vie ?

– Une vedette de foot brésilienne.

– On peut toujours demander à Lucy si elle a ça en stock. Elle ne pourra évidemment pas vous garantir que vous deviendrez le champion dont vous rêvez, mais vous aurez des parents qui vous encourageront à suivre votre passion.

Sur le visage du concierge s’épanouit alors un large sourire de satisfaction. Puis, il hoche la tête en signe d’approbation.

– Et Samy Daoudi ? le relance Gabriel.

– Je m’en souviens très bien. Un monsieur charmant, bien éduqué, toujours bien habillé, un peu timide. Il me laissait de bonnes étrennes, je crois qu’il travaillait dans la banque ou la finance. Il vivait avec ses quatre sœurs. Des femmes toujours de bonne humeur, toujours en train de rire et qui sentaient bon le parfum. Elles m’offraient des gâteaux au miel.

– Vous savez pourquoi il est parti ?

– Ils en ont parlé dans les journaux. Il y a eu un scandale : son patron est parti avec la caisse. Du peu que j’ai compris, Daoudi était un des cadres supérieurs qui risquaient de payer pour ses erreurs, alors il a préféré fuir.

– Vous avez une idée d’où il aurait pu aller ? questionne Ignace.

– Vous me garantissez que vous me présenterez à votre copine médium et qu’elle fera tout pour que je renaisse en footballeur brésilien ?

– Vous avez ma parole.

– Alors je vais vous le dire. Vous savez, dans mon métier on s’ennuie, alors on laisse traîner ses oreilles. Je l’ai entendu dire au téléphone qu’il devait quitter la France. Ensuite, il a demandé au taxi venu le chercher de le conduire gare de Lyon. Donc je suis prêt à parier qu’il s’est réfugié en Suisse ou en Italie…

26. ENCYCLOPÉDIE : MOURIR EN BONNE SANTÉ

Dans la philosophie soufie, il est conseillé de mourir en bonne santé afin d’être le plus conscient possible de l’expérience elle-même, considérée comme un moment merveilleux proche de l’extase.

Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome XII.

27.

Gabriel Wells commence à s’habituer à l’effet que cela fait d’entrer dans une maison par son toit. Il traverse les tuiles, l’étage supérieur, la moquette, le plancher, le plafond, et retrouve Lucy qui l’attend devant sa poupée de clown hilare.

– Retour de mission, annonce-t-il.

– Vous avez pu obtenir des informations sur Samy ?

– Le jour de sa disparition, il est allé gare de Lyon. Son concierge de l’époque pense qu’il a quitté la France. Je vais poursuivre mon enquête en essayant de trouver quel train il a emprunté.

– Il a dû lui arriver quelque chose de terrible qui lui aura fait prendre peur ! Forcément. Probablement en lien avec la valise de cocaïne. On a dû tenter de le piéger ! J’espère vraiment qu’il a pu fuir à temps.

– Et, accessoirement, pour ce qui est de mon assassinat, vous avez avancé de votre côté ?

– Votre intuition était la bonne. Vous avez bien été empoisonné.

– Avec quel poison ? Arsenic ? Strychnine ? Cyanure ?

– Un poison complexe. Il y a notamment dedans de l’antimycine A et de l’atractylate. En tout cas, Krausz affirme que c’est un composé que n’utilisent que les chimistes ou les scientifiques avertis. Le tout mêlé à des analgésiques et des soporifiques.

– Ah oui, quand même ! J’en étais sûr ! Krausz vous a donné d’autres informations ?

– Une estimation de la chronologie des événements. Selon lui, entre l’ingestion du poison et son action, il se serait passé vingt-quatre heures. Vous avez forcément été en contact avec le poison et votre assassin la veille de votre mort. Donc lundi. Qui avez-vous vu ce fameux lundi et qu’avez-vous fait ? Essayez de vous rappeler le plus de détails possible, en particulier les moments où vous avez bu ou mangé à proximité d’autres personnes.

Gabriel marque un temps pour se remémorer sa journée du lundi. Il ferme les yeux, laisse remonter les souvenirs et récapitule lentement les événements tandis que Lucy prend des notes sur son smartphone :

–7 h 30. Je me lève. Mon premier geste du matin est toujours de consigner mes rêves. Ensuite je bois un verre de jus d’orange qui vient du réfrigérateur, auquel seule ma femme de ménage, Maria-Concepción, a accès.

–8 heures. Je pars à pied au bistrot Le Coquelet en remontant la rue, je rejoins ma place habituelle et la patronne me donne mon ordinateur portable, que j’avais laissé sur place. J’avale ma deuxième boisson du matin : un café crème. Je relis mon travail de la veille pour continuer dans la bonne direction. Cinq minutes plus tard, la patronne m’apporte un croissant et un autre café crème. Je travaille deux bonnes heures.

–10 h 30. Je termine de rédiger les dernières pages de L’Homme de 1000 ans. Je réécris plusieurs fois la dernière phrase jusqu’à être pleinement satisfait. Puis j’inscris le mot « FIN » au bas de la page. Comme à mon habitude, je prends une photo avec la patronne du bistrot et mon ordinateur, et nous buvons une coupe de champagne pour fêter l’événement.