Né en 1874 à Budapest dans une famille juive pratiquante, Houdini était devenu une star aux États-Unis en tant que prestidigitateur. Il avait commencé sa carrière comme magicien de foire, puis avait connu un succès grandissant dans des numéros complexes d’évasion : il se libéra par exemple en 30 minutes de la prison de Chicago grâce à des passe-partout cachés dans son œsophage, une technique qu’il avait apprise d’un avaleur de sabres. Conan Doyle était très impressionné par le magicien américain qu’il croyait doté de vrais pouvoirs paranormaux. Cependant, si Conan Doyle pensait réussir à parler à ses proches défunts, Harry Houdini, qui venait de perdre sa mère adorée en 1913, conclut, après plusieurs tentatives infructueuses pour entrer en communication avec elle, que ceux qui prétendaient parler aux morts étaient tous des charlatans.
Ainsi, tandis que le premier devint mystique, le second se lança dans une croisade de démystification. Dès 1920, Houdini mit au point une série de tests pour dénoncer la malhonnêteté des médiums : il leur attachait les mains et les pieds et les mettait au défi de présenter leur performance ainsi entravés. Aucun ne réussit. Houdini consacra dès lors sa fortune et son temps à lutter contre les spirites escrocs qu’il arrivait facilement à démasquer et ridiculiser.
Cette chasse aux sorcières déplut à Doyle, et les deux hommes, jusque-là très proches, devinrent des ennemis jurés. De son côté, Houdini recevait de plus en plus de menaces de mort provenant des spirites et des théosophes. Finalement, celui qui fut par la suite considéré comme le plus grand magicien de tous les temps mourut le jour d’Halloween en 1926, à l’âge de 52 ans, des suites d’un violent coup de poing au ventre qui provoqua une hémorragie interne. L’illusionniste, qui n’avait pas voulu renoncer à donner son spectacle, était monté sur scène malgré une fièvre de quarante degrés. Il mourut noyé face à son public, lui qui, pour son tour de magie, s’était enchaîné et immergé dans l’eau. Or, en prévision de son décès, Houdini avait conclu un pacte avec sa femme Bess et lui avait dit : « Si je meurs, tu devras réunir les meilleurs médiums tous les ans à la date de mon anniversaire. Si je suis devenu une âme errante, je viendrai et je te dirai deux mots tirés d’une vieille chanson – “Rosabelle Believe”. Si un des médiums les prononce, c’est que Doyle avait raison et que je peux te parler depuis l’au-delà. » Pendant les dix ans qui ont suivi la disparition de Houdini, la femme du magicien a honoré le vœu de son mari, sans aucun résultat concluant. Le jour du dixième anniversaire de sa mort, elle déclara : « Il ne s’est pas manifesté, mon dernier espoir s’est envolé. Bonne nuit, Harry. »
Quant à Conan Doyle, il mourut en 1930 d’une crise cardiaque à l’âge de 71 ans sans jamais avoir cessé d’être mystique et de défendre la cause spirite.
Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome XII.
44.
Après avoir découvert les joies du vol acrobatique, Gabriel Wells s’initie avec son grand-père au vol longue distance à grande vitesse. Il a été moineau, il a été épervier, il a été mouette, et le voici désormais albatros, planant visage en avant pour fendre l’air, qui ne provoque pour lui ni vent ni frottements. Pour ne pas se perdre, ils suivent la ligne TGV Paris-Lyon.
– À cet instant, on vole à plus de 300 kilomètres-heure, signale Ignace Wells.
– C’est quoi notre limite de vitesse, papi ?
– Il n’y en a pas. Quand on est une âme errante, on voyage à la vitesse de la pensée. Rien ne nous freine.
– Alors pourquoi on ne pratique pas le voyage instantané ?
– Pour l’instant, notre pensée n’est pas prête à accepter cela. Aller d’un point A à un point B doit, pour nous, se concrétiser par un déplacement géographique.
– On risquerait sinon de disjoncter ?
– Probablement. En tout cas, je n’ai jamais vu aucun fantôme tenter l’expérience.
Ils voient défiler sous leur ventre villes, villages et bourgades.
– Donc théoriquement on peut aller encore plus vite ? lance Gabriel en accélérant, son grand-père à sa suite.
– Le plaisir du vol est décuplé par le fait qu’il n’y a pas le moindre risque d’accident ou de chute.
– J’adore voler, papi, j’adore vraiment ça !
Ils franchissent les Alpes en suivant le train dans un tunnel et arrivent au-dessus de Genève qui grouille de piétons et d’embouteillages.
– Et maintenant, comment faire pour retrouver la trace de Samy Daoudi ? On cherche encore un alcoolique ?
Ils repèrent le commissariat central de Genève et, après avoir visité plusieurs bureaux, identifient le secteur informatique. Gabriel et son grand-père partent alors à la recherche des vivants aux auras les plus trouées.
Ils en trouvent un.
– Et voilà la faille dans la citadelle. Celui-ci a une enveloppe gazeuse ; une vraie passoire !
– Comment ça se fait ?
– C’est un schizophrène. À toi de jouer !
Gabriel examine de plus près l’individu, scrutant chaque tache, chaque perforation, chaque défaut d’étanchéité dans le nuage de vapeur lumineuse qui l’entoure. Il choisit l’orifice le plus proche du sommet du crâne et y introduit un doigt.
Lorsqu’il sent l’esprit de l’homme, cela lui procure une impression étrange, comme s’il se connectait à une source de courant électrique instable.
Ignace lui fait signe de se dépêcher. Alors, à la manière dont il a vu son grand-père opérer, Gabriel incite le policier suisse à allumer son ordinateur, tout en ayant l’impression de tenir par la main un enfant à qui il aurait demandé de lui montrer ses jouets.
Gabriel se concentre et lui suggère de rechercher dans les fichiers le nom de Samy Daoudi. Apparaît alors un fichier. Sur la photo est inscrit le mot « DISPARU ». Quelques lignes signalent que cet individu fait partie d’une liste de Français entrés sur le territoire mais jamais ressortis et absents de tous les fichiers administratifs ou bancaires.
La dernière trace de Samy Daoudi est à la clinique des Edelweiss, à Genève, où il s’est installé le soir même de son arrivée en Suisse. Comme il n’a pas commis de délit et que personne n’a lancé de recherches à l’époque pour le retrouver, il n’y a pas davantage d’informations.
– Tu as déjà entendu parler de la clinique des Edelweiss, papi ?
– Bien sûr. C’est là où toutes les stars font de la chirurgie esthétique. Je sais même où elle est. Viens, suis-moi.
Ils quittent le commissariat central et volent le long de la rive nord du lac Léman pour arriver dans un hôtel du siècle dernier entouré d’un grand parc. Le parc est lui-même ceinturé par un mur surmonté de barbelés, gardé par des maîtres-chiens et protégé par des panneaux « Accès interdit ».
Ils franchissent le mur d’enceinte et arrivent au seuil de la clinique dont la porte est ornée de la fleur blanche qui lui donne son nom. Une autre inscription, « ANONYMAT GARANTI », semble être là pour rassurer les pensionnaires.