En prélevant l’ADN sur la scène de crime, la police scientifique put établir que le criminel était une femme. Il fut toutefois impossible de l’identifier car elle n’était fichée nulle part.
En mars 2001, on retrouva le même ADN près du cadavre d’un brocanteur qui avait lui aussi subi une attaque d’une extrême violence avant qu’on lui défonce le crâne. La victime étant de forte corpulence, on s’étonna qu’une femme seule ait pu avoir autant d’énergie.
Le 25 avril 2007, à Heilbronn, en Allemagne, deux policiers se firent tirer dessus depuis une voiture qui prit ensuite la fuite. La policière, Michele Kiesewetter, 22 ans, mourut sur le coup d’une balle dans la tête. Son collègue Martin, 25 ans, resta trois semaines dans le coma. À son réveil, il était amnésique, donc dans l’impossibilité de décrire le visage de la personne qui les avait agressés. La police recueillit des traces d’ADN et s’aperçut que c’était celui des affaires citées précédemment. La presse baptisa alors la tueuse en série le « Fantôme d’Heilbronn » et le public se passionna pour son arrestation, que tous jugeaient imminente. Mais l’arrestation tardait…
La police proposa finalement 20 000 euros à tout témoin susceptible d’aider l’enquête, qui piétinait, et Interpol fut mis à contribution. Le journal allemand Bild qualifia cette affaire de « plus grande énigme criminelle de l’Histoire ». Plus de 30 enquêteurs furent mobilisés à plein temps, et 200 policiers participèrent de près ou de loin à l’enquête en Allemagne, mais aussi en France et en Autriche où l’ADN de cette mystérieuse tueuse en série avait été retrouvé sur plusieurs scènes de crime. 1 400 pistes différentes furent envisagées. Mais les meurtres continuèrent de se succéder, tous différents, tous portant les traces ADN du fameux « Fantôme d’Heilbronn », qui semblait narguer la police. La tension montait et la récompense grimpa à 300 000 euros.
En mars 2009, l’affaire fut pourtant résolue d’une manière aussi banale qu’inattendue. Un enquêteur découvrit sur une simple intuition l’identité de la personne possédant ce fameux code génétique. Il s’agissait… d’une employée de l’usine fabriquant les bâtonnets qui servaient aux prélèvements d’ADN de la police scientifique. Par une erreur de manipulation, elle avait touché ces bâtonnets censés être complètement stériles et donc laissé des traces.
Le « tueur en série » laissait en fait la place à différents criminels ayant commis des meurtres isolés.
C’était peut-être le meilleur tour du « Fantôme d’Heilbronn » : il n’a existé que dans l’imagination de ceux qui s’intéressaient à lui.
Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome XII.
47.
Son sang bat dans ses tempes. Lucy a pâli. Elle a rapidement saisi une fiole remplie de pilules aux herbes et les engloutit d’un coup avec un verre d’eau. Plusieurs chats se sont postés en hauteur, montrant les canines, prêts à bondir sur ces nouveaux venus qui ont osé entraîner un changement émotionnel si négatif chez leur maîtresse.
– Vous avez un casier judiciaire, n’est-ce pas, mademoiselle Filipini ? lance le policier blond.
– Vous reconnaissez cette personne ? demande le brun.
Il lui montre la photo de William Clark.
– En effet. C’est un client.
– Il a été retrouvé pendu ce matin dans son château de Mérignac.
– Qu’ai-je à voir avec cette histoire ?
– Sa femme a signalé qu’il vous a rendu visite, qu’il est revenu bouleversé et qu’ensuite, dans la nuit, il s’est levé et est allé dans une autre pièce pour se pendre.
– Il s’est donc suicidé…
– Son épouse pense que c’est vous qui lui avez fait un lavage de cerveau pour le forcer à se tuer. Elle a porté plainte contre vous et elle a des amis suffisamment haut placés pour que sa plainte ait été retenue. Nous ne faisons qu’obéir aux directives de notre hiérarchie.
Lucy hoche la tête. Le mot « hiérarchie » l’a fait tiquer.
– Je crois savoir ce qu’il lui est arrivé, mais cela n’a rien à voir avec moi. Il est en effet venu me consulter pour que je l’aide à se débarrasser d’un fantôme. J’ai essayé de le satisfaire, mais sans succès, car il s’agit d’un fantôme très ancien, bien installé dans ce château.
Le policier brun semble nerveux.
– Donc il vous a demandé de le débarrasser du fantôme, vous n’y êtes pas arrivée, il a payé, puis il est parti effrayé…
– Il était juste un peu déçu, rien de plus.
– Donc, si on résume : il est rentré chez lui, il est monté se coucher, puis il a eu un accès soudain de dépression qui l’aurait incité à mettre fin à ses jours. C’est ainsi que vous interprétez les faits, mademoiselle Filipini ?
Les chats se dressent sur leurs pattes et se mettent à cracher, de plus en plus hostiles. La médium esquisse un geste pour les apaiser.
– C’est probablement ce qu’il s’est passé.
– Vous êtes consciente que votre activité pourrait être considérée comme une forme d’abus de faiblesse envers des personnes fragiles, voire influençables ? dit le blond.
– Ce n’est pas un meurtre.
– C’est un délit puni par la loi. Et vu que vous avez un passif judiciaire et que Mme Clark connaît des « gens haut placés », cela pourrait avoir des conséquences fâcheuses. Je pense donc que le mieux serait que vous vous montriez plus coopérative, poursuit le policier blond, qui fixe avec une légère appréhension le chat qui s’approche de lui.
– Nous avons découvert que ce n’est pas la première plainte déposée contre vous. Une médium voisine a déjà déposé une main courante pour concurrence déloyale.
– Et il y a d’autres signalements de vos voisins, dit le brun, pour, je cite : « pratique de la sorcellerie », « élevage d’animaux en grande quantité dans un appartement », et même « commerce avec des entités diaboliques ».
– De qui provient cette dernière plainte ?
– Le prêtre exorciste de l’église du bout de la rue prétend que vous attirez les démons.
– Nous ne sommes plus au Moyen Âge, l’Inquisition n’a plus cours.
– Chaque plainte prise à part est en effet non recevable. Mais toutes ensemble, elles forment un faisceau qui suggère que vous créez un trouble dans le quartier. Or cette affaire du château de Mérignac tombe au moment précis où le gouvernement a décidé de lancer une campagne contre les sectes en général et contre celles qui abusent de la faiblesse psychologique des gens en particulier, répond le blond.
Lucy songe que le choix des médias de mettre en vedette telle ou telle affaire détermine si la tendance du gouvernement est au laxisme ou à la répression. Elle se souvient comment elle avait écopé de la peine maximale essentiellement parce qu’une star du rock était à la même période mort d’overdose. Petite cause, grands effets. Elle cherche à reprendre ses esprits, fait signe à un chat d’approcher et l’installe sur ses cuisses. Elle jauge ses adversaires avant de lâcher :
– Très bien. Je dois vous signaler que si Mme Clark connaît « des gens haut placés », comme vous dites, et si vous, vous ne faites qu’obéir à votre hiérarchie, il se trouve que moi je connais les deux. Il s’avère en effet que, par le plus pur des hasards, votre ministre de l’Intérieur vient régulièrement me consulter…