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Gabriel voltige sous le dôme astronomique au-dessus de son frère.

– Mais personne n’est au courant des recherches qui sont effectuées ici, relève-t-il prudemment.

– Je préfère que personne ne sache rien pour l’instant. Et pour être tout à fait honnête, j’aurais même préféré que vous ne soyez pas là.

Pas de doute, l’homme en face de lui est bien l’âme errante de Thomas Edison.

En dessous d’eux, Thomas Wells semble pris d’une frénésie extrême, il règle l’intensité de sa fleur réceptrice d’ondes, puis enfile un casque audio équipé d’un micro.

– Allô ? Est-ce que quelqu’un m’entend ?

Le physicien effectue d’autres réglages.

– Allô ? Allô ? Quelqu’un me reçoit ? Y a-t-il une âme errante dans les parages ? Un esprit ? Allô ? Allô ? Si vous m’entendez, répondez-moi.

Au-dessus de lui, les deux ectoplasmes l’observent, hésitant sur la conduite à tenir.

– Vous y allez ou j’y vais ? demande Gabriel.

– Je vous en prie, faites donc.

– Non, vous d’abord.

– Je n’en ferai rien.

– Moi non plus.

C’est finalement Edison qui se lance :

– Oui. Allô, allô ? Je vous reçois cinq sur cinq.

Thomas Wells tombe à la renverse. Mais bientôt il se relève, hilare.

– Vous êtes encore là ?

– Oui.

– Qui me parle ?

Le vivant, totalement fébrile, effectue plusieurs mouvements maladroits, fait tomber des objets, fouille dans un tiroir, sort une caméra et lance l’enregistrement.

– C’est moi, Gabriel, enchaîne aussitôt l’écrivain.

– C’est toi mon frère ? Tu es là, Gaby ? Je t’ai senti. J’ai perçu ta présence avant de te parler, mais je ne croyais pas qu’on allait y arriver !

– Je ne suis pas seul, je suis avec Thomas… Edison.

– LE Thomas Edison ?

– En personne.

– Maintenant on a la preuve que cela marche ! déclare l’Américain. Vous n’avez plus qu’à faire breveter cette machine et bientôt tout le monde pourra parler avec ses chers défunts. Bravo, monsieur Wells, vous avez développé mon idée et l’avez rendue opérationnelle. Moi j’ai manqué de temps…

Thomas Wells effectue d’autres réglages pour améliorer la qualité de la réception quand, tout à coup, la grille du ventilateur de la machine dégage une épaisse fumée blanche. Soudain, les plaques électroniques projettent des gerbes d’étincelles et s’enflamment. L’antenne réceptrice explose. Les flammes caressent le rideau qui s’embrase. Thomas a tout juste le temps de saisir l’extincteur et de projeter une poudre blanche sur le feu qui commence à se répandre. Dans son élan, il percute le pied de la caméra qui tombe et se brise d’un coup.

– Je crois que la TransCommunication est interrompue, lâche Gabriel, dépité.

– Les plaques électroniques ont dû être soumises à une tension trop forte. Ce n’est qu’un problème technique. Il va réparer ça.

Les deux hommes observent Thomas, qui est à la fois surexcité et déçu.

Il répète en boucle : « Ça a marché ! », « Ça a marché ! »

Thomas Edison murmure :

– J’aurais bien aimé lui dire que je restais là en attendant qu’il répare la machine, mais il ne nous entend plus.

C’est alors que surgit l’âme errante d’une jeune femme très maquillée et chaussée de talons hauts.

– Lequel de vous deux est Gabriel Wells ?

– Moi, pourquoi ?

– Vous n’avez rien à faire ici, mademoiselle, tranche Edison, agacé de voir sa découverte éventée avant qu’elle ait parfaitement abouti. Partez tout de suite.

– Lucy est en grand danger. Je vous ai cherché partout ! Heureusement, Doyle m’a dit où vous étiez. Il faut que vous veniez immédiatement, Gabriel !

– Lucy Filipini ?

– Elle vient d’être kidnappée. C’est elle qui m’a chargée de vous retrouver.

Gabriel regarde avec regret le nécrophone toujours fumant de son frère, qui s’affaire à le réparer.

– Vous pouvez y aller, Gabriel, votre présence ici n’a rien d’indispensable. Je reste là pour m’assurer de la mise au point et de l’amélioration de ce prototype.

L’écrivain hésite entre l’envie de voir le nécrophone fonctionner et celle de sauver son amie. De nouveau lui revient à l’esprit cette phrase terriblement vraie : « Choisir, c’est renoncer. »

63.

Sous le souffle du vent, les arbres ploient, les herbes se courbent, les papiers volants sont emportés, mais cela ne ralentit pas Gabriel et son étrange guide qui a surgi dans la tour d’astronomie. D’après le peu qu’elle lui a expliqué, Lucy serait enfermée dans la cave d’une maison isolée dans une banlieue au nord de Paris.

Ensemble, ils découvrent une villa en travaux devant laquelle sont garées deux voitures, une Porsche et une BMW. Au rez-de-chaussée, bien protégés des bourrasques, deux hommes affalés dans des sofas jouent, manette entre leurs mains crispées, à un jeu vidéo qui consiste à foncer en voiture dans une ville en essayant d’écraser un maximum de piétons.

Le plus petit joue d’une seule main et, de l’autre, caresse un chat obèse à poil long. L’animal est immobile et ferme les yeux pour ne pas être dérangé par les images de l’écran qui se succèdent si vite qu’elles l’irritent.

Gabriel suit l’âme errante de la jeune femme qui lui indique la cave et l’emmène dans un long couloir avec plusieurs portes.

– Lucy ! appelle-t-il.

– Gabriel ! répond une voix en provenance d’une pièce fermée.

Il traverse le bois de la porte et la trouve étendue sur un lit dans une pièce semblable à une cellule de prison, avec des toilettes, un lavabo et une table.

– Que s’est-il passé, Lucy ?

– Je dormais, quand on m’a mis sur le nez et la bouche un mouchoir à l’odeur âcre. Je n’ai pas eu le temps de voir mon agresseur. Quand je me suis réveillée, j’avais un sac de toile noire sur la tête et les mains ligotées dans le dos. Aux secousses, j’ai compris que j’étais dans un coffre de voiture. Cela a duré plusieurs dizaines de minutes, puis les secousses se sont arrêtées. Des bras m’ont saisie par les épaules et par les pieds, et transportée jusqu’ici. Puis un grand type a enlevé le sac ; quand je me suis mise à hurler, il a mis sa main sur ma bouche et a dit : « Je te laisse de la nourriture et des vêtements, les toilettes sont là, et ce n’est pas la peine de crier, il n’y a pas de voisins. » C’est à cet instant que Dolorès est arrivée et a proposé de m’aider. Alors je lui ai dit d’aller vous chercher, Gabriel.

– Dolorès ? La Dolorès de la prison de Rennes ?

Celle-ci répond directement :

– Ce serait un peu long à vous expliquer, mais disons qu’à ma sortie de prison, j’ai voulu me venger de celui qui nous avait trahies, ma sœur et moi. Je n’ai pas été assez rapide et je me suis fait tuer. Ensuite, j’ai erré longuement avant de me souvenir de la petite qui parlait aux morts. Alors j’ai voulu la contacter pour qu’elle m’aide à mener à bien ma vengeance. Je l’ai cherchée longtemps avant de finalement la trouver dans une cave en train de pleurer. C’est là qu’elle m’a dit qu’il fallait que je vous joigne.