Выбрать главу

Angélique à Québec 3

Anne et Serge Golon

La série

01 : Angélique, marquise des anges 1

02 : Angélique, marquise des anges 2

03 : Le chemin de Versailles 1

04 : Le chemin de Versailles 2

05 : Angélique et le roi 1

06 : Angélique et le roi 2

07 : Indomptable Angélique 1

08 : Indomptable Angélique 2

09 : Angélique se révolte 1

10 : Angélique se révolte 2

11 : Angélique et son amour 1

12 : Angélique et son amour 2

13 : Angélique et le Nouveau Monde 1

14 : Angélique et le Nouveau Monde 2

15 : La tentation d'Angélique 1

16 : La tentation d'Angélique 2

17 : Angélique et la démone 1

18 : Angélique et la démone 2

19 : Angélique et le complot des ombres

20 : Angélique à Québec 1

21 : Angélique à Québec 2

22 : Angélique à Québec 3

23 : La route de l'espoir 1

24 : La route de l'espoir 2

25 : La victoire d'Angélique 1

26 : La victoire d'Angélique 2

Neuvième partie (suite)

Angélique pénétrait dans la matière tangible d'un sifflement continu. Un feu merveilleux l'animait. C'était sa deuxième grande saoulerie de l'année. Après celle qu'elle avait partagée avec la Polak, le premier jour de sa venue à Québec.

Saoule, elle l'était bien, mais sans cela elle n'aurait jamais pu affronter ce qu'elle affrontait cette nuit-là, qui n'était encore qu'un soir, mais plus effrayant et noir que la plus noire des nuits. Faire un seul pas en avant était exclu, or, elle en fit plusieurs. Ce qui démontrait l'excellence du breuvage que lui avait servi Bois-vite.

Elle avançait, aveugle, dans les giclées frémissantes et rageuses d'une neige plus blessante que le fil d'une épée, dans la nuit et le hurlement farouche du nordait, le plus cruel ennemi de l'humanité. Elle ne savait pas si elle avançait. Elle mettait un pied devant l'autre, si courbée qu'elle se demandait si elle ne marchait pas à quatre pattes. Elle s'assurait aux murs des maisons, reconnaissant au passage le bois d'un volet, un seuil contre lequel elle trébuchait, les pieux d'une clôture. Lorsqu'elle serait arrivée à la maison de Mlle d'Hourredanne, alors elle traverserait, et là c'était le désert à franchir, car si elle tombait elle n'aurait plus qu'à mourir en plein milieu de la rue de la Closerie, à deux pas des bornes des Atlas soutenant le monde et, au dégel, on la retrouverait dans ce caniveau.

Un bruit sauvage de bois brisé éclata à ses oreilles et quelque chose comme une immense aile de chauve-souris passa au-dessus de sa tête, se fracassa contre la muraille. À deux doigts de la « chose » qui lui barrait le passage, Angélique vit que c'était une aile arrachée du moulin des jésuites. Encore heureux que le moulin ne suivit pas.

« Morte décapitée par une aile du moulin des jésuites. Cela manquait à mon destin... »

Elle était dégrisée. L'ivresse de la lutte insensée avait remplacé celle de l'alcool de poires.

Elle trouva les Atlas et, agenouillée, les serra sur son cœur comme des enfants bien-aimés.

En rampant elle gravit la côte au flanc de la maison de Ville d'Avray dont elle sentait la bienveillante présence indomptable, mais elle ne pouvait encore se réfugier en son sein tiède parmi le pépiement heureux des enfants qui l'aimaient.

Elle tomba dans la cour des Banistère comme dans la mer. Elle avait de la neige jusqu'au cou. Où était le chien ? Elle trouva sa forme glacée, squelettique. Il était mort ? Non... De la tenaille qu'elle avait glissée à la ceinture, elle s'escrima afin de couper la chaîne. Ses doigts étaient malhabiles dans les gants de peau.

« J'y arriverai ! Je romprai la chaîne ! »

Comme elle tirait dessus, les anneaux vinrent avec un morceau de planche pourrie à laquelle elle était clouée. Ce n'était pas la peine de se donner tant de mal pour la couper.

Le chien eut une manifestation de vie quand elle voulut l'entraîner en le tirant par le collier. Il résistait...

C'est vrai qu'il était niaiseux. Niaiseux à ne pas vouloir être sauvé. Niaiseux à ne pas pouvoir fuir de lui-même.

« Viens ! Viens ! »

Elle tombait, ne trouvant aucun point d'appui, encombrée de cette masse qui ne trouvait de la vie que pour résister.

Une accalmie se produisit. Comme il y en avait parfois succédant à un paroxysme. Un moment de stupeur ! Et alors la neige se remettait à tomber droit comme des larmes intarissables. Une lueur venue des maisons, d'une fenêtre ou d'une porte ouverte lui montra une silhouette géante se dressant au rebord du cratère où elle se débattait.

« Vous ne me tuerez pas, Eustache Banistère ! »

Mais c'était Joffrey avec son caban noir, son bonnet de fourrure enfoncé jusqu'aux yeux et qui riait. Elle ne pouvait le voir mais elle sentait qu'il riait.

Sa main la cramponna à la naissance du bras. Il la tirait avec force et elle tirait le chien. D'autres silhouettes apparurent, comme nageant dans le duveteux élément, l'enlevèrent et la portèrent, et elle se retrouva dans la grande salle de la maison devant le feu, Joffrey de Peyrac, les Espagnols, Yann Le Couennec et le chien avec sa chaîne et son morceau de bois, et qui fortement effrayé alla se terrer sous le four à pain.

– Oh ! VOUS ! Oh ! VOUS ! disait Angélique en le regardant sans en croire ses yeux.

Il expliquait que ne la trouvant pas chez elle et voyant la tempête monter, il était parti à sa recherche, avec deux Espagnols, Yann et Barssempuy, par les rues de Québec. Ils avaient appris qu'elle venait de quitter – follement – l'auberge du Soleil levant avec une pince de forgeron en main.

– Oh ! VOUS ! Oh ! VOUS !... répétait Angélique en se jetant dans ses bras.

Il la serrait contre lui.

– Ma petite fée !

La neige coulait sur leurs visages et tombait en paquets de leurs épaules, mais le feu de leurs cœurs était aussi brasillant que celui de l'âtre où Éloi Macollet entassait bûches et demi-troncs comme on bourre un canon.

– Oh ! Vous ! Oh ! Vous ! Mon amour !

Les tempêtes se révélaient toujours leurs meilleurs alliés. La joie d'Angélique à se dire : « Il est revenu », se doublait de la certitude de le tenir et de le garder, pour un temps, bien à elle, grâce à la fureur des éléments déchaînés à laquelle s'ajoutait l'épaisseur de la nuit, doublant la garde à leur seuil.

Mais, malgré elle, malgré son désir qu'il savait si bien faire naître en elle en la prenant dans ses bras dans un geste possessif qui ne souffrait pas de délai et en posant sur elle un certain regard, un subtil esprit d'indocilité, voire de méfiance, retint Angélique ce soir-là dans son élan.

En dépit de toutes ses résolutions qu'elle avait prises à part celle de ne pas se laisser entraîner au rôle de la femme revendicatrice, il lui fallait lui signaler qu'elle avait trouvé son absence à Sillery longue, inquiétante, désespérante. Elle n'ajouta pas que Satan tournait autour d'elle avec ses sortilèges, parce que c'était une affaire personnelle qu'elle devait régler seule et la question qui la préoccupait était d'une autre sorte. Mourir, ce n'était rien, mais perdre son amour, cela elle ne pouvait l'envisager sans défaillir d'agonie. La tempête, la boisson fulgurante d'Antonin Boisvite, son odyssée avec sa pince à cisailler pour la justice n'étaient pas un prétexte pour ne pas poser la question essentielle : pourquoi cette absence, ce silence ?...