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– Oui ! Et maintenant cessez de penser à moi, à ce que je suis et à ce que vous n'êtes pas. Avertissez votre mari et préparez vos bagages. Et n'oubliez pas : c'est à la porte de Madame de Maintenon qu'il faut frapper.

Chapitre 97

La pluie traversée de soleil tombait encore lorsqu'elle atteignit le manoir de Montigny.

En pénétrant dans l'appartement de Joffrey, elle rabattit en arrière la large capuche de sa mante et ses cheveux perlés d'humidité, ses joues mouillées accentuaient l'effet de fraîcheur et de vivacité qui émanait de sa personne.

Sans savoir pourquoi, cela lui parut incroyable de trouver là Joffrey de Peyrac qui l'attendait.

– Ah ! Qu'il me tardait de vous voir, s'écria-t-elle. J'ai compté les minutes qui me séparaient de ce rendez-vous.

– Et pourquoi ne pas l'avoir devancé ?

– Je vous sais très occupé et requis par mille tâches maintenant que...

– Quelle retenue soudaine vous saisit ?

– Je voulais être certaine de vous trouver...

– Voilà qui est nouveau ! Vous ne vous êtes jamais embarrassée que je sache auparavant de me chercher à travers la ville et de me trouver où que je fusse, dès l'instant où vous le souhaitiez...

– Je voulais aussi être assurée que vous disposiez d'une heure à m'accorder.

– Que signifie ce langage ? Suis-je devenu pour vous un ministre dans l'antichambre duquel vous devez prendre rang ? Dieu merci ! Nous n'en sommes pas encore là.

Angélique se mit à rire.

– Oui, Dieu merci ! Nous ne sommes pas encore à Versailles.

Et son regard se remplit de sa vue. Dieu merci ! Il était encore à elle. Elle pouvait encore le préserver, le retenir.

La lumière tendre du soleil qui entrait à flots par la fenêtre, tamisée par les feuillages, ajoutait une douceur à l'aménité de son brun visage, à la gaieté mordante de son chaud regard.

Dans ce halo rayonnant, elle l'imagina, comme dans la vision qui la hantait depuis le matin, lorsqu'il se tiendrait debout devant le roi, parmi l'étincellement des miroirs, des ors et des marbres de ce palais édifié pour la gloire de Louis XIV et sous les yeux de cette Cour imbécile.

D'un élan elle courut à lui, l'entourant de ses bras.

– Oh ! Mon chéri ! Mon chéri ! Non, jamais ! Cela est impossible ! Mon amour !

Elle enfouit son visage dans les plis de son vêtement, et elle l'étreignit comme si elle se fût cramponnée au seul pilier inébranlable qui demeurât solide alors que la terre tremblait, le seul arbre indéracinable dans la tempête, la seule bouée dans la mer démontée. Elle se réfugiait contre son cœur, dans l'obscurité du bien-être et la tiède et familière odeur qui émanait de lui, son parfum d'homme qui le décrivait de façon si subtile mais impérieuse aussi, vivant, et elle en était grisée comme du plus capiteux des parfums d'Orient qui troublent l'esprit et les sens. C'était tout le charme de leur vie commune, des étreintes merveilleuses et des bonheurs et des douleurs qu'elle avait connus par lui qu'elle respirait dans ses bras et qui l'étourdissaient et la faisaient défaillir, annihilaient sa pensée.

Il la serra plus fermement contre lui comme pour la soutenir et se persuader qu'elle était là, réfugiée en lui. Elle sentit que son visage s'inclinait et qu'il posait sa joue contre ses cheveux.

– Ainsi, fit-il, le Roi ne renonce pas ?

– Il ne renonce pas, s'écria-t-elle avec désespoir. Il me veut ! Il me veut !... Il ne renonce pas et il ne renoncera jamais...

– Vous avouerai-je que je le comprends et qu'à sa place j'en ferais autant ?

Angélique poussa un gémissement consterné.

– Mais tout cela est grave, Joffrey. Il n'y a pas de quoi plaisanter.

– À mon sens je ne vois pas où se situe la tragédie.

– Mais, ne comprenez-vous pas ? Il exigera que je vive à Versailles, que je sois sans cesse présente, que j'assiste à toutes les cérémonies et que je lui donne mon avis en tout, que je sois la plus belle, la mieux parée, la plus enviée, admirée...

– Et ces perspectives d'une souveraineté sans égale ne vous enchantent-elles pas ?

– J'ai goûté de leurs enchantements ! En vérité j'aurais retrouvé Versailles avec joie car l'on ne peut s'imaginer rien de plus beau, séduisant, enchanteur, oui, que ce que le Roi, fils du Soleil, a su créer pour le plaisir des yeux, la volupté de vivre, pour donner à goûter à ceux qui l'entourent ce qu'il y a de plus raffiné et de plus nouveau dans l'expression des arts et de la fête. Mais il me faudra payer trop cher la jouissance de ces agréments. Le Roi me couvrira de présents et de faveurs, d'honneurs et de prépondérances, au point que je ne pourrai plus respirer...

– Ni courir d'un pied léger où bon vous semble, je comprends... Mais ne noircissez-vous pas le tableau ? Le Roi devenu sage ne pourra-t-il se contenter de vous apercevoir, accepter que vous ne soyez que l'une des parures de sa Cour, sans autre exigence ?

– Non ! Je ne le crois pas. Je connais le Roi, sa complexion et son orgueil ne font pas de lui un amoureux qui se contente de sourires, de flatteries et de dérobades. J'ajouterais que je porte au Roi trop d'estime pour jouer auprès de lui ce jeu déshonnête... et dangereux. Je n'y serais pas habile... Bien vite, le Roi saura qu'il n'est pas aimé comme il le souhaite et il ne pourra le souffrir... et tout recommencera...

– Et pourtant, dit Peyrac d'un air songeur, je pressens que la passion du Roi est devenue au cours des années d'une nature si avide et transcendante qu'il est prêt à toutes les concessions pour seulement vous revoir. Et peut-être ne vous revoir qu'une fois.

– Il se l'imagine mais... je sais qu'il se leurre... Et qu'une fois que le piège se sera refermé sur nous, il voudra toujours plus.

Soudain, elle s'écarta de son mari avec effroi.

– ... Dois-je comprendre que vous êtes prêt à me livrer au Roi d'un cœur serein ? Ah ! Vous ne m'aimez plus ! Je le savais. Eh bien, partez ! Partez ! Allez reprendre vos fiefs. Je ne vous suivrai pas...

Puis elle se jeta dans ses bras en l'étreignant de nouveau.

– ... Non ! Non ! Je ne pourrai pas... Où vous irez, j'irai... Où vous demeurerez, je demeurerai... Et il arrivera ce qui arrivera... Mais je ne peux pas vivre sans vous.

Joffrey de Peyrac referma ses bras autour d'elle.

– Ne tremblez pas ainsi, mon amour. J'ai voulu éprouver votre attachement pour moi... Les dieux ne m'auront donc pas été défavorables jusqu'au bout, puisque m'ayant suscité un rival en tout plus heureux que moi, ils l'auront marqué d'une disgrâce sans appel : ne pas vous plaire. L'étincelle mystérieuse jaillit ou ne jaillit pas. Tout l'or du monde ne peut l'acheter. Le Roi aujourd'hui est sincère. Il se croit pour l'heure capable de plus d'abnégation qu'il n'en montrera quand vous serez devant lui. Et vous avez raison de ne pas vous leurrer... Et de prévoir les dangers qui naîtront de ces dispositions ambiguës.

– Mais qu'allons-nous faire ?

– Tout dépend de votre volonté, ma chère. Et soyez assurée qu'elle ne sera contrainte en rien. Rester ? Partir ? Vous êtes libre d'en décider. Et votre décision sera celle qui me conviendra, car je considérerai votre jugement comme le signe de ce qu'il est juste, équitable, prudent et heureux d'accomplir. Ainsi s'exécutent les guerriers iroquois lorsque le Conseil des femmes a décidé de la guerre ou de la paix, et aussi de quitter un lieu pour un autre, d'abandonner un village pour en bâtir un nouveau, des séparations entre familles, entre tribus, du temps de repos ou du voyage... toutes décisions acceptées par l'homme, car la femme n'est-elle pas reliée aux astres et aux forces telluriques, et de ce fait « avertie » mieux que le brave qui est né pour frapper... Encore que je soupçonne ces dames de profiter parfois de la docilité de leurs guerriers pour contenter une envie de bougeotte, un besoin de visite à des amis lointains, ou cette irrésistible curiosité qui vous pousse à aller voir derrière la montagne là-bas si le maïs n'y vient pas plus doré... Mais ces caprices font le charme des femmes.