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Elle les déchira avant de quitter la chambre et les confia à MM. Jacob-Delafon qui les expédièrent aux abysses de la fosse septique, car ils étaient eux-mêmes sceptiques.

La cour du lycée était déserte dans le crépuscule. Le froid hivernal venait de se faire plus tranchant avec l’approche de la nuit et, malgré son Burberry’s doublé, Marie-Marie grelottait.

Elle contourna les bâtiments, la tête rentrée dans les épaules et aperçut la maison dont lui avait parlé le proviseur. Elle avait été bâtie en additif au groupe scolaire et son style moderne contrastait avec celui, IIIe République, du lycée.

Elle pressa le timbre à gauche de la porte d’entrée. Presque aussitôt on lui ouvrit : une femme d’une quarantaine d’années à l’allure douce et avenante. Elle était brune et sans fard ; tout juste discernait-on une vague trace de rouge à lèvres très pâle sur ses lèvres.

Marie-Marie voulut se présenter, mais la femme du proviseur prit les devants :

— Je sais ce qui vous amène, mademoiselle, mon mari m’a prévenue. Entrez, je vous prie, il ne va pas tarder.

Elle la pilota au living, une grande pièce claire dans laquelle brûlait un feu de cheminée. Deux canapés se trouvaient disposés perpendiculairement à l’âtre. La maîtresse de maison la débarrassa de son manteau et la pria de s’asseoir. Il régnait dans la pièce une chaleur capiteuse qui réconfortait lorsqu’on venait de braver le froid extérieur. Marie-Marie se sentit bien. Elle trouvait son hôtesse sympathique et quelque chose lui disait qu’elle ne tarderait pas à découvrir ce que les plus célèbres romanciers du genre n’hésitent pas à appeler : « la clé de l’énigme », ces cons.

La femme désigna une chemise bleue sanglée de toile sur une console.

— Mon époux a préparé une documentation ; je crois sincèrement que vous serez contente.

— Dieu vous entende, lâcha Marie-Marie, tout en se disant qu’une telle invocation n’était pas de mise dans un établissement laïque.

— Prendrez-vous un petit cocktail avec moi ? demanda l’épouse du proviseur. Je ne vous cache pas que j’en brûle d’envie, il ne me manquait que le prétexte.

Elle avait un rire spontané, à trilles. « Un rire d’oiseau », songea Marie-Marie. Comme si les oiseaux riaient !

Elle accepta. La femme brune se dirigea alors vers une table roulante, en verre fumé, surchargée de flacons, de fruits et de tout un matériel de barman. Elle s’affaira pendant un moment, puisant des glaçons dans un récipient permettant leur conservation prolongée. Elle chantonnait en espagnol et Marie-Marie réalisa alors qu’elle conservait un très léger accent ibérique sur lequel on ne s’attardait pas, mais qui ajoutait à son charme.

Elle revint, tenant deux verres coniques emplis d’un breuvage jaune et mousseux.

— J’espère que vous aimerez, fit-elle. C’est un « Margarita ».

Elles trinquèrent et la femme but à longs traits. Quand elle reposa son verre, sa bouche était frangée d’écume.

— Ça se boit cul sec, encouragea-t-elle. Ce n’est pas le genre de cocktail qu’on déguste, ses effets se produisent après qu’on l’ait avalé.

Marie-Marie trouva le liquide fortement alcoolisé et chargé en citron. Cela dit, ce n’était pas mauvais.

Elle le dit à son hôtesse qui en marqua une puérile satisfaction.

— Pour respecter la vraie recette, dit-elle, il faudrait tremper le bord du verre dans du sel, mais j’ai remarqué que les Européens n’apprécient pas beaucoup.

Marie-Marie eut la langue levée pour lui demander quel était son pays d’origine, mais sa compagne ne lui en laissa pas le temps.

— Est-il indiscret de vous demander, mademoiselle, ce qui motive vos recherches concernant le professeur X ? Mon époux brûlait de vous poser la question, mais il n’a pas osé ; moi je n’ai pas honte de ma curiosité.

Marie-Marie hésita, mais son hôtesse lui inspirait confiance.

— Il s’agit d’une affaire plus que grave, répondit-elle. D’assassinat, pour tout vous dire.

— D’assassinat ! répéta la femme du proviseur, apparemment bouleversée.

— Vous avez entendu parler de cette prostituée dont on a retrouvé le corps il y a quelques jours : elle avait été tuée d’une rafale de balles tirées dans son sexe ?

— Vous voulez dire que c’est un de nos professeurs qui aurait commis cette abomination ?

— Je le crains.

Marie-Marie désigna le dossier bleu à sangle sur la console.

— La réponse, si elle est affirmative, se trouve là-dedans.

— Un second cocktail ? proposa l’hôtesse.

— Oh ! non… Le premier déjà me tourne la tête.

— En somme, vous travaillez pour la police ? demanda la femme brune.

— De manière très officieuse. Je suis enquêtrice pour une maison d’assurances londonienne, mais je me trouve en vacances et mon… mon fiancé n’est autre que le directeur de la P.J.

— Vous mettez la main à la pâte ? plaisanta l’hôtesse.

— En quelque sorte.

— Il est au courant de vos soupçons concernant le professeur X ?

— Non.

Marie-Marie pressa ses tempes entre le pouce et les autres doigts de ses mains.

— Vous n’auriez pas un verre d’eau ? demanda-t-elle, je crois que votre Margarita était corsé. Qu’y a-t-il dedans ?

— De la tequila et du citron, répondit la femme en se levant pour aller chercher ce qu’elle lui demandait. Gazeuse, l’eau ?

— Peu importe.

Elle souffrait d’un mal de tête violent qui lui causait de cruelles lancées au-dessus de la nuque. Quelque chose de vague la tourmentait soudain. Elle cherchait de quoi il retournait, mais la migraine déferlait si violemment sous son crâne qu’elle avait du mal à coordonner ses pensées.

— Tenez.

Elle rouvrit les yeux et eut le gros plan d’un verre d’eau devant son nez. Des bulles se bousculaient dans le liquide. Elle s’empara du verre, presque à tâtons, le porta à ses lèvres et but jusqu’à ce qu’il fût vide.

Elle perçut un bruit de porte et vit le proviseur s’avancer vers elle en souriant. Il était en pyjama et veste d’intérieur de velours noir à brandebourgs.

— Bonsoir ! fit-il.

Il ne s’excusa pas d’être en retard, non plus que de porter une tenue aussi peu compatible à la réception d’une personne étrangère à la maison.

— J’ai travaillé pour vous, dit-il en allant prendre la chemise bleue.

Il fit sauter la sangle et revint auprès de la jeune visiteuse, sur le canapé. Le dossier contenait différents feuillets dactylographiés qui tous étaient des fiches nominatives auxquelles se trouvaient accrochées des photos d’identité.

— A vrai dire, le tri n’a pas été long, reprit-il ; si je m’en réfère à vos indications, une seule personne du lycée André Sarda a été tour à tour en poste à Bourg-en-Bresse et à Lyon avant d’arriver ici. Un certain Pach Louis ; mais il n’est pas professeur.

Il tendit la fiche à Marie-Marie. Elle souffrait tellement de la tête que les lignes dansaient devant elle. Elle regarda la photo jointe, mais elle savait déjà. Le cliché représentait le proviseur sans perruque.

Il murmura :

— Je mets une moumoute pour éviter les quolibets de nos garnements. A Bourg-en-Bresse et à Lyon, ils m’avaient surnommé « Crâne d’œuf ». J’ai fait des frais pour monter à Paris.

Marie-Marie sentit s’ouvrir un gouffre dans ses entrailles. Une sorte d’intense désespoir, mêlé de résignation la fit se courber en avant. Elle comprit que ce qui l’avait assombrie, un moment plus tôt, c’était le mot « tequila ». La femme Pach lui avait fait prendre de la tequila, comme en avait bu Elise Lalètra avant de se faire tuer. Des regrets brûlants la submergèrent. Elle pensa à San-Antonio qu’elle avait voulu épater et qui, à cet instant effroyable, faisait probablement le joli cœur devant une pétasse quelconque en attendant son retour !