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Il faudra bien, mon pauvre enfant, que je l’épouse.

Que ferez-vous alors ?

JACQUES DE VALDEROSE, avec violence.

Je le tuerai.

LA COMTESSE le baise au front brusquement avec un cri de joie.

Je t’aime.

Elle s’enfuit précipitamment par la porte de gauche.

Scene II

JACQUES DE VALDEROSE, seul.

Oh ! quel coup, j’ai reçu de ce mot-là : baptême

De tendresse infinie ; aurore de ce jour

Où je goûterai tous tes triomphes, Amour !

Du baiser de sa main à celui de sa bouche,

Et d’un « oui » de sa lèvre aux marches de sa couche.

Au-dessus de mon front quel génie arrêté

Fait donc pleuvoir sur moi cette félicité !

Une femme ! une femme ! Oh ! la chère inconnue

Qu’on attend, dont on voit la nuit la forme nue

Passer, et qu’on poursuit toujours sans la saisir.

Il est secoué par des sanglots.

Tiens, je ne croyais pas qu’on pleurait de désir...

Elle m’aime ! et je vis : et je sais qu’elle m’aime !

Est-ce bien moi ? Pourtant, est-ce bien moi ? le même

Qu’ils traitaient en enfant. Que l’amour m’a grandi !

S’ils avaient entendu ce mot qu’elle m’a dit ?

S’ils le savaient - Kersac, Kerlevan et Lournye ?

Mais non, car ce sont là des choses que l’on nie.

S’ils le savaient pourtant, comme l’on m’envierait !

Il est dur de cacher un semblable secret.

Scene III

JACQUES DE VALDEROSE ; SUZANNE D’ÉGLOU.

SUZANNE D’ÉGLOU, entrant à droite, l’apercevant.

Ah ! c’est vous ! vous pleurez ? Quelle ambre souffrance

Emplit donc votre cœur ?

JACQUES DE VALDEROSE, très exalté.

Je pleure d’espérance.

SUZANNE D’ÉGLOU

L’espérance de quoi ?

JACQUES DE VALDEROSE

Du bonheur que j’attends.

SUZANNE D’ÉGLOU

On a de faux espoirs, monsieur, de temps en temps.

JACQUES DE VALDEROSE

Non, je touche le mien.

SUZANNE D’ÉGLOU

Le bonheur fuit sans cesse.

JACQUES DE VALDEROSE

Me fuir, comment cela, me fuir ; j’ai sa promesse,

Son aveu, son amour.

SUZANNE D’ÉGLOU, très digne.

De quoi me parlez-vous ?

JACQUES DE VALDEROSE, se calmant.

Mais de mes faux espoirs et de mes songes fous ;

Car je rêve sans fin, et je crois arrivées

Les choses qu’en mes jours de bonheur j’ai rêvées.

SUZANNE D’ÉGLOU, triste.

Au réveil, bien souvent, le songe était trompeur.

Quand il a disparu, c’est dur.

JACQUES DE VALDEROSE

Je n’ai pas peur.

L’espérance que j’ai capturée est de celles

Qui ne s’envolent point, quoique battant des ailes

Dans mon cœur, et chantant comme un oiseau des bois.

SUZANNE D’ÉGLOU

Hélas ! j’ai trop souvent connu sa douce voix ;

Mais que c’est triste après, après, quand rien ne chante !

JACQUES DE VALDEROSE

Vous voulez m’effrayer ; que vous êtes méchante !

SUZANNE D’ÉGLOU, s’animant.

Méchante, non, monsieur, vous ne le croyez point !

Je voudrais... Êtes-vous donc aveugle à ce point

De ne rien deviner et de ne pas comprendre

Que les piéges d’amour sont faciles à tendre ?

Je n’en puis dire plus... pourtant... je le voudrais.

JACQUES DE VALDEROSE, étonné.

De quoi parlez-vous donc ?

SUZANNE D’ÉGLOU, avec autorité.

Je parle de secrets

Que l’on n’aborde point entre gens de notre âge.

Mais je suis la plus jeune et je suis la plus sage,

Ayant le cœur mieux clos et les yeux moins fermés.

JACQUES DE VALDEROSE

Mais j’ai les yeux ouverts.

SUZANNE D’ÉGLOU

Non.

JACQUES DE VALDEROSE

Pourquoi ?

SUZANNE D’ÉGLOU

Vous aimez.

JACQUES DE VALDEROSE

Comment le savez-vous ?

SUZANNE D’ÉGLOU

Qu’importe... Je devine ;

Écoutez-moi ; je sais des ruses qu’on combine.

On cherchera peut-être à gagner votre foi,

A vous faire tourner contre nous et le Roi.

A troubler les cœurs la tendresse est sujette.

Quand elle devient vile un homme la rejette.

Sachez ne point céder votre âme au tentateur,

Ni, pour un peu d’amour, vendre beaucoup d’honneur.

JACQUES DE VALDEROSE

Je suis...

SUZANNE D’ÉGLOU

Souvenez-vous de n’être jamais traître ;

Quel qu’il soit, de servir droitement votre maître ;

De craindre toute femme et de n’y pas songer,

Car son œil est limpide et son cœur mensonger ;

De rester toujours loin de toute vilenie ;

D’être noble d’esprit comme de nom.

JACQUES DE VALDEROSE

Je nie

Qu’aucun amour, jamais, me puisse perdre ainsi.

SUZANNE D’ÉGLOU

Vous le promettez ?

JACQUES DE VALDEROSE

Je le promets.

SUZANNE D’ÉGLOU

Merci. Allez voir maintenant ce qui vient par la plaine,

Et votre cœur battra, non d’amour, mais de haine.

Et cette haine-là, monsieur, c’est le devoir.

JACQUES DE VALDEROSE

Qu’y a-t-il donc ?

SUZANNE D’ÉGLOU

Allez.

JACQUES DE VALDEROSE, sortant gaiement.

Demoiselle, au revoir.

Scene IV

SUZANNE D’ÉGLOU, seule.

Elle reste debout au milieu de l’appartement et pleure.

Coulez, larmes... Avant que vous soyez taries,

Mes cheveux seront blancs et mes lèvres flétries.

Elle se jette à genoux devant le grand Christ en sanglotant et tenant la tête dans ses mains.

Fallait-il justement, mon Dieu, que ce fût lui !

Elle pleure encore.

Sitôt qu’on l’entrevoit, comme le bonheur fuit !