Hurler chaque blessé plus que les combattants.
LA COMTESSE, se levant impétueusement.
J’y dois aller, cousine, et veiller sur sa tête,
On peut sauver quelqu’un par un bras qu’on arrête.
LES MÊMES ; UN SOLDAT.
LE SOLDAT
Madame, un prisonnier anglais prétend avoir
Un secret à vous dire.
LA COMTESSE
A moi ? Je veux le voir.
Qu’il vienne.
Le prisonnier entre, gardé par deux soldats.
Que sais-tu ?
LE PRISONNIER
Je n’oserais le dire
Qu’à vous.
Les soldats s’éloignent sur un geste de la comtesse.
Je ne sais rien, mais vous le pourrez lire.
Il lui donne une lettre.
LA COMTESSE
De qui ?
LE PRISONNIER, bas.
Gautier Romas.
LA COMTESSE, vivement. Elle prend la lettre.
Bien, va.
Aux soldats.
Qu’il soit traité
Avec grande douceur, car il l’a mérité.
Les soldats et le prisonnier sortent.
LA COMTESSE ; SUZANNE D’ÉGLOU.
LA COMTESSE, baisant la lettre passionnément.
Sa lèvre s’est posée où ma bouche se pose.
Oh ! tu ne comprends pas cela, toi, qu’une chose
Qu’il a vue et touchée est douce à regarder,
Et qu’aux plis du papier sa lettre doit garder
Chaque baiser d’amour dont il l’a caressée,
Ainsi que l’écriture a gardé sa pensée.
Elle ouvre et lit le billet.
« Ma douce bien aimée, après l’assaut du jour,
Si je n’ai pu franchir les fossés ni la tour,
Au milieu de la nuit, ouvre la porte basse.
J’y serai seul, viens seule, il faut que je t’embrasse
Sur les mains et les yeux et les lèvres d’abord.
J’irai chercher mes gens après, ô cher Trésor,
Car, avant ce château, c’est toi que je viens prendre.
Mon amour n’attend pas et mon Roi peut attendre. »
Embrassant encore le billet.
Ce soir, ce soir ! avant l’aurore de demain
J’aurai donc ce bonheur d’avoir tenu sa main,
Ce frisson convulsif de la chair et de l’âme
Qui jaillit du baiser d’un homme et d’une femme.
Elle regarde à la fenêtre.
Oh ! j’ai beau regarder, je vois le ciel tout blond,
Et sa splendeur grandit. Comme ce jour est long !
Comme il est bon d’aimer, mais qu’il est dur d’attendre !
Dieu clément, laisse donc les ténèbres descendre !
Mais en moi tant d’espoir monte et de soleil luit
Que je ne verrai pas quand tombera la nuit.
Un cri éclatant est poussé par les soldats. On entend un tumulte effroyable, des gens qui courent en se bousculant ; des trompettes sonnent.
SUZANNE D’ÉGLOU
Les murs ont tressailli d’une horrible secousse.
LA COMTESSE, les deux mains sur son cœur.
Il est vainqueur.
VOIX AU DEHORS
Montfort ! Penthièvre à la rescousse
SUZANNE D’ÉGLOU, tombant à genoux.
Mon Dieu, protégez-nous.
Un soldat entre, effaré.
LA COMTESSE
Qu’est-ce donc ?
LE SOLDAT
Un renfort.
LA COMTESSE
Pour qui ? Pour les Anglais ?
LE SOLDAT
On entre dans le fort.
On entend des voix qui s’approchent ; le soldat sort en courant.
LA COMTESSE
Il est vainqueur, vainqueur ! Embrasse-moi, cousine.
SUZANNE D’ÉGLOU, abattue.
Les Anglais ! Je me sens un poids sur la poitrine.
LA COMTESSE
Écoute donc. Voici que le combat finit.
DES VOIX AU DEHORS
Victoire !
LA COMTESSE
On dit : « Victoire ! » Oh ! le ciel soit béni.
Entends-tu ce grand bruit ainsi qu’un flot qui monte ?
Il est vainqueur. Il vient. Oh !j’étouffe.
LA COMTESSE ; LE COMTE DE RHUNE ; JEANNE DE BLOIS.
La porte de droite s’ouvre, toute grande, livrant passage au comte de Rhune donnant la main à Jeanne de Penthièvre entourée de gentilshommes.
LA COMTESSE, reculant avec un cri terrible.
Le comte,
Mon mari !...
Puis, se jetant dans ses bras.
Vous, Seigneur, vous que je croyais mort !
LE COMTE DE RHUNE, la baisant au front.
Chère femme, merci. Mais regardez d’abord
Madame, et saluez celle qui m’accompagne,
La comtesse de Blois, duchesse de Bretagne.
JEANNE DE BLOIS
Qui vous demande asile, en ayant grand besoin,
Car nous venons ainsi de Nantes, et c’est fort loin.
LA COMTESSE, s’inclinant très bas.
Madame la duchesse.
JEANNE DE BLOIS
Allons, chère comtesse,
Donnez-moi votre main sans tant de politesse,
Avec un peu de bonne amitié ; voulez-vous ?
LA COMTESSE
Un sujet doit rester, madame, à vos genoux.
JEANNE DE BLOIS
Non pas, près de mon cœur.
Elle l’embrasse et s’appuie sur son épaule pendant une partie de la scène. Se tournant vers le comte en souriant.
Ainsi, comte de Rhune,
Vous garderez ce soir Penthièvre et sa fortune.
Mais je suis plus tranquille, étant sous votre toit,
Que si j’étais encore au Louvre, auprès du Roi.
Et puis, cela me donne une amie inconnue
Que cette guerre avait loin de moi retenue.
De la maison de Rhune à la maison de Blois,
On se tient comme un fer de lance tient au bois.
LE COMTE
Non, madame, mais comme au bras tient une épée.
Le bras, c’est vous.
La duchesse s’incline en souriant, puis :
JEANNE DE BLOIS, à la comtesse.
J’étais toute préoccupée.