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Les Anglais, disait-on, vous assiégeaient ici.

Moi-même, j’ai voulu venir à vous.

LA COMTESSE

Merci,

Madame la duchesse.

JEANNE DE BLOIS

Aviez-vous point de crainte,

Vous trouvant enfermée ainsi dans cette enceinte

Avec quelques soldats, serviteurs et valets ?

LA COMTESSE, avec un sourire ambigu.

Non. Je n’ai jamais peur en face des Anglais,

Madame.

JEANNE DE BLOIS, souriant.

C’est très beau.

LA COMTESSE

Mais dites-moi, de grâce,

Comment peut-on si vite entrer dans une place

Que cerne l’ennemi ?

JEANNE DE BLOIS

C’est fort simple. On le bat.

LA COMTESSE

Et vous n’avez point peur au milieu d’un combat ?

JEANNE DE BLOIS

Nous n’avons jamais peur, madame, car nous sommes

Bien gardée au milieu de tous ces gentilshommes.

Les désignant :

Messieurs de Saint-Venant et de Montmorency,

Les maréchaux de France. Et monsieur de Coucy,

Qui tua vingt Anglais en un seul jour. Le sire

De Sully. Si grande est la terreur qu’il inspire

Que l’ennemi se cache en entendant son nom.

Le comte de Ponthieu, le sire de Craon,

Nobles autant que preux. Puis, sous cette cuirasse,

Est un jeune écuyer de bonne et vieille race

Qui s’appelle Bertrand Duguesclin. Devant lui,

Tout homme qui veut vivre un jour de plus s’enfuit.

Tout à l’heure, il a fait si féroce tuerie

D’ennemis, qu’il semblait quelque diable en furie.

Il était au milieu d’une ,plaine de morts

Quand le chef des Anglais l’attaqua corps à corps.

C’est un certain Romas, de gentille figure,

Auquel sied mieux habit brodé que lourde armure.

Or, messire Bertrand, l’ayant pris par le bras,

L’enleva de cheval et puis le jeta bas.

Même, si les Anglais n’étaient venus en nombre,

Il l’envoyait du coup dans le royaume sombre.

Ah ! messire Bertrand, l’on parlera de vous

Sur terre et je plains ceux qui recevront vos coups.

LA COMTESSE, avec émotion.

Ce... Romas... n’est point mort, cependant ?

JEANNE DE BLOIS

Pas encore,

Mais n’en vaut guère mieux, car demain, dès l’aurore,

Il doit se battre avec notre ami Duguesclin.

Celui-ci, qui n’est guère à la clémence enclin,

Jure de ne manger pain de froment ou d’orge

Avant de lui passer son épée en la gorge.

LA COMTESSE, avec un accent particulier.

Ah !... .nous verrons cela.

JEANNE DE BLOIS

Certes, nous le verrons,

Comtesse, et comme il sied que tous les nobles fronts

Soient payés de baisers venus de nobles bouches,

A nous de lui donner...

La comtesse fait un mouvement brusque.

Quoi ? ses grâces farouches

Vous font peur ? J’aime mieux un visage un peu noir

Qu’un autre qui, trop blanc, s’admire en un miroir.

Je préfère, en un mot, le fond à la surface,

Et la beauté du cœur à celle de la face.

S’il ne vaut point en grâce un frêle adolescent,

En courage, du moins, comtesse, il en vaut cent.

Vous le verrez demain, du reste, dans l’arène.

Mais je me sens ce soir un appétit de reine

Qui passe tout le jour à courir le chemin,

Conquérant son royaume, une épée à la main.

Avez-vous faim, messieurs ? Eh bien ! suivez Penthièvre

Avec l’espoir au cœur et la joie à la lèvre,

Car tout bon chevalier a droit d’être content

Quand il sait qu’à la porte un ennemi l’attend.

Tous sortent, seul Valderose qui s’avance sur le devant de la scène, et Suzanne d’Églou qui, restée la dernière, s’arrête au moment de sortir et regarde Valderose qui ne la voit pas.

Scene XI

VALDEROSE ; SUZANNE D’ÉGLOU.

JACQUES DE VALDEROSE

Voilà donc ce qui reste après tant d’espérances !

Le bonheur le plus court est suivi de souffrances

Où tout ce qu’on rêvait s’abîme et disparaît.

Oh ! que faire ? que faire ?... Un crime... je suis prêt.

J’ai des rages de bête et des forces d’Hercule.

Oui, je suis prêt à tout... n’aime pas qui recule.

Étreignant sa poitrine de ses des mains.

A-t-on jamais souffert comme je souffre ici,

Aimé comme je l’aime ?

SUZANNE D’ÉGLOU, sans changer de place.

Oui, c’est toujours ainsi.

Une meule est égale à tout grain qu’elle broie,

Et ce que notre cœur peut enfermer de joie

N’est rien près de ce qu’il peut tenir de douleurs.

JACQUES DE VALDEROSE, courant à elle et lui pressant les mains malgré elle.

Ô vous, secourez-moi, plaignez-moi ! les malheurs,

Près de vous, font couler des larmes moins amères,

Femmes ! vous consolez, vous êtes les chimères

Qui soutenez nos cœurs. Secourez-moi. Vos mains

Sont des caresses d’ange aux désespoirs humains.

Vos regards endormeurs apaisent sans secousses

La chair qui crie ; et vos paroles sont si douces

Qu’on voudrait se coucher dessus. Oh ! c’est un coup

Terrible, car je l’aime, allez, ainsi qu’un fou.

Je l’aime à me tuer, même à tuer un homme

S’il le faut.

SUZANNE D’ÉGLOU, très émue et très pâle.

Taisez-vous.

JACQUES DE VALDEROSE

Certes, je l’aime comme

On n’a jamais aimé.

SUZANNE D’ÉGLOU, lui mettant une main sur la bouche et cherchant à se dégager et à s’enfuir.

Taisez-vous donc !

JACQUES DE VALDEROSE

Je sens

Ce vide que me font tous mes espoirs absents.

SUZANNE D’ÉGLOU, suffoquant de douleur.

Moi, moi, j’entends cela, mais taisez-vous !

JACQUES DE VALDEROSE

Qu’importe !

Ayez pitié : je suis si faible et vous si forte.

SUZANNE D’ÉGLOU, éperdue et se débattant pendant que Valderose à genoux lui serre les mains.

Mais il ne comprend pas !

JACQUES DE VALDEROSE

Si vous m’abandonnez,

Je n’ai plus qu’à mourir ; secourez-moi ; tenez,

Je sens que j’ai touché votre cœur doux et tendre.

Oh ! grâce !