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Je le tuerai ce soir.

LA COMTESSE tendrement, comme si elle disait des choses amoureuses.

Écoute, ne crains rien, il fallait tout prévoir.

J’ai tout prévu, jusqu’à la peur qui te tourmente.

Ma main mit en son verre une ivresse endormante

Qui le fera tomber et s’assoupir soudain,

Aussi doux à la mort qu’un chevreuil ou qu’un daim.

Tu n’auras qu’à frapper en choisissant la place

Lentement. Ne crains rien, pas un poil de sa face

Ne bougera, pas un de ses membres perclus.

Ton poignard le fera s’endormir un peu plus,

Voilà tout. Je serai tout près, d’ailleurs. Et pense

Que nul n’hésiterait devant la récompense.

JACQUES DE VALDEROSE

Mais on découvrira le crime, et je serai

Mis à mort ?

LA COMTESSE

Non, je sais qui je dénoncerai.

JACQUES DE VALDEROSE

Un autre ? Je ne veux laisser tuer personne

A ma place.

LA COMTESSE

Quelqu’un qui m’aime et nous soupçonne.

On entend parler et marcher dans la coulisse.

Le comte vient. Va-t’en. Non, entre en cet endroit.

Elle ouvre une espèce de trappe dans la muraille de droite et y pousse Valderose.

Ce passage conduit aux fossés ; c’est étroit

Et bas ; mais l’on n’en peut sortir par d’autre route

Que celle-ci. Du moins, là, je te garde. Écoute,

Tu resteras tout contre la porte, à genoux,

Et lorsque je dirai : « Cher seigneur, dormez-vous ? »

Ce sera l’heure ; va.

Elle referme la trappe sur lui, puis, seule, en revenant au milieu de la scène :

Quelque soit ton envie !

Tu ne peux m’échapper maintenant, car ta vie

M’assure ton courage.

Scene III

LE COMTE ; LA COMTESSE ; SUZANNE D’ÉGLOU ; PIERRE DE KERSAC dans la coulisse.

LE COMTE, à PIERRE DE KERSAC, resté dans la coulisse.

Oui. Demeurez ici

à SUZANNE D’ÉGLOU

Maintenant laissez-nous, ma chère enfant. Merci.

Elle sort.

Scene IV

LE COMTE ; LA COMTESSE.

LA COMTESSE, lui passant ses bras autour du cou.

Enfin, nous sommes seuls, mon doux Seigneur et Maître,

Votre amour avec vous m’est-il rendu ?

LE COMTE, grave.

Peut-être.

LA COMTESSE, avec inquiétude.

Quoi ? Qu’avez-vous ?

LE COMTE, tendrement, mais un peu vite.

Je veux dire qu’à ton côté,

Lorsque je suis parti, mon amour est resté.

Où que j’aille, mon cœur auprès de toi demeure.

Pour ne plus nous aimer il faut qu’un de nous meure.

LA COMTESSE, l’entraînant vers l’estrade où sont les lits.

Viens, la nuit sera longue !

LE COMTE, lentement.

Autant que tous les jours

Où j’ai souffert, bien longue.

LA COMTESSE

Et nos baisers trop courts.

LE COMTE, comme machinalement.

Trop courts.

LA COMTESSE

Vous chancelez comme ferait un homme

Ivre.

LE COMTE

Moi je fléchis sous un poids qui m’assomme.

LA COMTESSE, avec inquiétude.

Quelque chagrin ?

LE COMTE

Non, non, c’est un affaissement

Étrange, une torpeur qui depuis un moment

M’enveloppe. Mon œil s’éteint, mon front me pèse,

Mon cœur s’arrête.

LA COMTESSE

Ce n’est rien, quelque malaise

De fatigue.

LE COMTE

Mon corps, mon esprit, tout s’endort.

Comme certains sommeils ressemblent à la mort.

LA COMTESSE

A la mort ? Oui.

LE COMTE

Je veux lutter.

LA COMTESSE, le conduisant vers son lit où il s’étend tout habillé.

Dormez, mon Maître.

LE COMTE, sur son lit.

Que le sommeil est bon ! Que vois-je à la fenêtre ?

LA COMTESSE

C’est la lune.

LE COMTE

Elle a l’air de regarder ici.

Éveillez-moi dés l’aube.

LA COMTESSE

Oh ! n’ayez nul souci ;

J’y penserai.

LE COMTE, s’endormant.

J’ai peine à parler, chaque phrase

M’échappe. D’où vient donc ce sommeil qui m’écrase ?

Il me semble qu’il va durer bien longtemps.

Il s’endort.

LA COMTESSE, le regardant.

Non. Il sera court. A moins qu’il ne change de nom.

Elle lui prend la main, qui reste inerte ; puis elle redescend, se dépouille de sa robe de chambre en velours noir et apparaît en toilette de nuit toute blanche. Après être remontée sur l’estrade entre les lits, elle regarde le comte endormi.

Il ne reverra plus personne, c’est donc comme

S’il était mort. C’est bien peu de chose qu’un homme.

Elle monte sur son lit et reste appuyée sur un coude à regarder son mari.

Oh ! quel bruit fait mon cœur ! Il bat ces larges coups

Qu’on frappe au flanc des tours. Cher Seigneur, dormez-vous ?

Dormez-vous, cher Seigneur ?

Valderose sort de sa cachette, pâle comme un mort et chancelant.

Scene V

LA COMTESSE ; JACQUES DE VALDEROSE.

JACQUES DE VALDEROSE, s’avançant péniblement jusqu’au pied du lit de la comtesse.

J’ai peur, j’ai peur, madame !

Je sens comme une griffe enfoncée en mon âme.

LA COMTESSE, violemment.

Va donc !

JACQUES DE VALDEROSE

Je n’ose pas le regarder encore.

LA COMTESSE

Tu le regarderas après, frappe d’abord.

JACQUES DE VALDEROSE, éperdu.

Oh ! rien qu’une minute.

LA COMTESSE, d’une voix plus douce.

Eh bien ! soit, rien ne presse.

L’appelant de ses bras.

Viens-t’en. Regarde-moi. Connais-tu cette ivresse