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Qui s’élève d’un lit de femme ? As-tu rêvé

Tout ce que peut donner l’amour, et soulevé

Dans ta pensée, un soir, le drap blanc de ma couche ?

As-tu jamais senti deux lèvres sur ta bouche ?

Connais-tu ce baiser profond, plein de sursauts,

Qui vous font tressaillir la moelle dans les os ?

Sinon, tu ne sais pas tout ce qu’on peut commettre.

Elle l’attire. Valderose résiste et veut se retourner vers le comte. Alors elle, violemment.

Aurais-tu peur de moi comme de ce vieux maître

Qui fait trembler ton bras servile, et n’oses-tu

Me toucher plus que lui dans ta lâche vertu ?

Valderose s’abat sur ses lèvres.

JACQUES DE VALDEROSE, se relevant.

Assez, je n’en puis plus.

LA COMTESSE

L’audace te vient-elle ?

JACQUES DE VALDEROSE

Maintenant que j’ai bu ta caresse mortelle,

Oui, j’en ai.

LE COMTE, se dressant brusquement et arrachant le poignard que Valderose tenait à la main.

Sa caresse est mortelle pour toi.

Appelant d’une voix forte.

Kersac !

Kersac paraît.

Dis à tous ceux qui dorment sous mon toit

De venir. Et préviens la duchesse elle-même.

Kersac sort.

LE COMTE, après avoir contemplé quelque temps sa femme et son amant, comme prenant une résolution.

Aimes-tu cette femme, enfant ? Réponds.

JACQUES DE VALDEROSE, fort bas.

Je l’aime.

LE COMTE

L’aimes-tu d’un amour terrible et sans pardon,

Jaloux et sans pitié, m’entends-tu ? Réponds donc

JACQUES DE VALDEROSE, de même.

Oui.

LE COMTE

Voici ton poignard, je te le rends ; regarde

Où bat son cœur, et frappe. Enfonce-lui la garde

Dans la chair.

JACQUES DE VALDEROSE

Qui ? moi ? moi ?

LE COMTE

Si tu l’aimes, oui, toi :

Ce serait déjà fait si je l’aimais. Pour moi,

Je n’ai plus de fureur, car mon cœur se soulève

De dégoût. Un amant a la haine plus brève,

Le bras plus violent et plus prompt qu’un époux

Sans amour, et resté de son nom seul jaloux.

Ma tranquille justice attend qu’elle soit morte :

De ma main, de la tienne ou d’une autre. Qu’importe !

Tu l’aimes, frappe-la, car elle t’a trompé

Plus que moi. Tu croyais tout son cœur occupé

De ton amour. Son cœur est un terrible abîme.

Ce qu’elle aimait en toi, chétif, c’était ton crime !

T’aimer ?... toi ?... Connais-tu son véritable amant ?

C’est un Anglais... Gautier Romas.

JACQUES DE VALDEROSE, éperdu, à la comtesse.

C’est faux... il ment ?

C’est faux...

LE COMTE

Je mens ?... Veux-tu savoir de quelle sorte

Elle t’aimait ? L’Anglais l’attend prés de la porte.

Après t’avoir livré, trop candide assassin,

Elle gardait pour lui les ardeurs de son sein.

Car tu n’es qu’un enfant dont on se débarrasse

Du pied, comme l’on fait pour cacher une trace.

Et lui guette, l’Anglais, le bruit que font ses pas.

Mais il verra venir quelqu’un qu’il n’attend pas.

Quoi ! tu trembles devant cette prostituée ?

Tu ne l’aimes donc point, car tu l’aurais tuée

Déjà, toi qu’elle emploie à ses complots hideux.

Est-ce vrai ?

Saisissant violemment les poignets de la comtesse.

LA COMTESSE, sautant, debout, hors de son lit.

Que je vous méprise tous les deux ?

C’est vrai, tout est bien vrai. Triomphez, je l’avoue,

Sans remords dans le cœur et sans rouge à la joue.

Mais lequel est le plus vil et le plus rampant,

Du faible amant craintif qui pleure et se repent,

Ou de l’époux cherchant un autre qui me tue ?

Allons donc, relevez votre morgue abattue !

Ce qui frappe une femme, allons, est-ce l’amant ?

Est-ce l’époux ? Voici ma poitrine. Comment

Auriez-vous peur ? Lequel de nous est le coupable ?

Serait-ce l’amoureux dont le bras n’est capable

D’aucune violence ? ou bien l’homme outragé

Qui crie à son secours et se trouve vengé

S’il voit aux mains d’un autre un peu de sang de femme ?

Je vous épargnerai cette besogne infâme.

La moins vile, c’est moi ! Je n’ai pas peur du sang !

Elle arrache le poignard des mains de Valderose et, après s’être frappée au milieu de la poitrine, elle tombe à la renverse.

LE COMTE, la regardant à terre.

Le diable qui viendra fouiller ce corps gisant

Se salira les doigts en emportant son âme.

Scene VI

LA COMTESSE DE BLOIS ; SUZANNE D’ÉGLOU ; PIERRE DE KERSAC ; YVES DE BOISROSÉ ; LUC DE KERLEVAN ; NOBLES, BRETONS ET FRANÇAIS.

Ils entrent précipitamment par la porte de droite. La duchesse tient contre son cœur Suzanne d’Églou qui sanglote.

LE COMTE DE RHUNE, à la duchesse.

Ma justice sera bientôt faite, madame.

Deux coupables sont là. L’un a déjà péri.

Oh ! si je ne vengeais que l’outrage au mari,

Je les aurais jetés tous deux par la fenêtre

Dans l’étang, sans rien dire, et sans faire connaître

Ce déshonneur devant tous ceux de ma maison.

Mais il s’agit ici de haute trahison,

Et c’est vous maintenant que la chose regarde.

Pendant que vous dormiez tranquille sous ma garde,

Elle avait...

LA DUCHESSE, l’interrompant.

Je le sais, comte, je sais aussi

De quelle ruse usa la femme que voici

Pour perdre cet enfant. Il a failli, sans doute,

Il a bien mérité la mort ; mais sur sa route,

S’il n’avait point trouvé cet amour malfaisant,

Cette embûche cachée en ce corps séduisant,

Il restait probe et pur. C’est pour elle le crime

Et pour lui le pardon ; car il fut sa victime.

Songez donc qu’une femme avec cette beauté

A le même pouvoir que la fatalité,

Qu’un homme devant elle est toujours un esclave

Qu’une caresse enchaîne et qu’un baiser déprave.

LE COMTE

Duchesse, vous avez le droit de pardonner ;

Moi, mari, j’ai gardé celui de condamner,

J’en use.