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Personne encor sur moi n'a rien dit, je m'en vante !

Songez : si le concierge apprend par un valet

Qu'un jeune homme à pieds fut vu ; qu'il me parlait

D'amour, et qu'il avait la perruque poudrée,

La nouvelle en ira par toute la contrée.

Le facteur, en donnant ses lettres chaque jour,

Distribuera ce bruit aux portes d'alentour :

Il ira grossissant de la loge aux mansardes.

Et tous, du balayeur de la rue aux poissardes

Qui roulent leur voiture avec les : "ce qu'on dit"

Me toiseront, des pieds au front, d'un air hardi !

M. DESTOURNELLES embarrassé, humble

Voyons, si j'ai tenu quelque propos maussade,

Ce n'était, après tout, qu'une simple boutade.

Mme DESTOURNELLES suffoquant, les larmes aux yeux

Je sais que nous devons tout supporter, soupçons,

Injures, mots blessants de toutes les façons !

Nous devons obéir à la moindre parole,

Etre humbles et toujours douces ; c'est notre rôle,

Je le sais ; mais enfin ma douceur est à bout.

Nos maîtres... nos maris, qui se permettent... tout,

Rôdent autour de nous ainsi que des gendarmes,

Nous accusent sans cesses, espionnent...

M. DESTOURNELLES caressant

Pas de larmes,

Je t'en prie ; et faisons la paix. Pardon, C'est vrai,

Je fus brutal et sot... je l'avoue, et suis prêt

A tout ce qu'il faudra pour que tu me pardonnes.

Tiens, je baise tes mains. Comme elles sont mignonnes !

J'y veux mettre ce soir deux gros bracelets d'or ;

Mais tu joueras. - M'as-tu pardonné ?

Mme DESTOURNELLES très digne

Pas encor.

M. DESTOURNELLES

Non ? mais bientôt.

Mme DESTOURNELLES de même

Qui sait ?

Scene II

Les mêmes, René LAPIERRE en marquis Louis XV.

UN DOMESTIQUE annonçant

Monsieur René Lapierre.

M. RENÉ entrant

En marquis Louis Quinze.

M. DESTOURNELLES

Ah ! votre partenaire ;

Au revoir.

saluant M. Lapierre

Beau marquis.

M. RENÉ

Monsieur, pour vous servir.

M. DESTOURNELLES

Le costume est charmant et vous sied à ravir.

Il sort. René baise la main de Madame Destournelles.

Scene III

MADAME DESTOURNELLES, M. RENÉ.

Mme DESTOURNELLES nerveuse, la voix sèche

Au moins, avez-vous bien retenu votre rôle ?

M. RENÉ

Je n'en oublierai point une seule parole.

Mme DESTOURNELLES

Alors nous commençons puisque vous êtes prêt :

Je suis seule d'abord. Le marquis apparaît.

Sans me voir il arrive au milieu de la scène ;

Pendant quelques instants il rêve et se promène ;

Et puis il m'aperçoit. Nous y sommes ?

M. RENÉ

J'y suis.

Elle s'assied sur une chaise basse. Il s'approche d'elle avec des grâces prétentieuses.

Mme DESTOURNELLES

Soyez plus libre et plus naturel.

M. RENÉ s'arrêtant

Je ne puis ;

J'en suis fort empêché, car mon habit me gêne.

Son épée se prend entre ses jambes.

Mme DESTOURNELLES sèchement

Votre rapière va s'échapper de sa gaine.

Vous paraissez épais et lourd. Recommençons.

Il fait le même manège que tout à l'heure, mais d'une façon encore plus maniérée.

Vous n'avez pas besoin de toutes ces façons,

Monsieur.

M. RENÉ vexé

Je voudrais bien vous voir prendre ma place,

Madame. Comment donc voulez-vous que je fasse ?

Mme DESTOURNELLES impatiente

Comme si vous étiez un marquis naturel ;

Un vrai marquis. Quittez cet air trop solennel,

Et marchez simplement comme un monsieur qui passe.

Relevez quelque peu votre épée, avec grâce ;

Une main sur la hanche ; et puis promenez-vous,

Sans avoir tant de plomb fondu dans les genoux.

Vous êtes empesé comme un dessin de mode.

M. RENÉ

Si je ne portais point cet habit incommode...

Mme DESTOURNELLES

Vous me faites l'effet d'un marquis croque-mort,

Soyez donc gracieux.

Il recommence.

M. RENÉ

Est-ce bien ?

Mme DESTOURNELLES

Pas encor.

Que l'homme est emprunté ! Dire que toute femme,

J'entends femme du monde, est actrice dans l'âme.

La femme de théâtre est gauche, et ne sait pas

Sourire, se lever, s'asseoir, ou faire un pas

Sans paraître tragique. Un rien les embarrasse.

Cela ne s'apprend point, c'est affaire de race.

On peut acquérir l'art, mais non le naturel.

Par l'étude on devient ce que fut la Rachel

Qui demeura toujours roide ou prétentieuse,

Souvent fort dramatique, et jamais gracieuse.

Moi, j'ai joué deux fois, et j'eus un succès fou.

J'avais une toilette exquise, un vrai bijou.

On m'applaudit, c'était comme une frénésie ;

J'ai cru que je ferais mourir de jalousie

Madame de Lancy qui jouait avec moi.

Je disais quelques vers : je ne sais plus trop quoi ;

Quelque chose de drôle et qui fit beaucoup rire.

Mais, la deuxième fois, je n'avais rien à dire ;

Je faisais une bonne apportant un plateau

Où devait se trouver un verre rempli d'eau.

J'apportai le plateau ; mais j'oubliai le verre.

L'acteur me regarda d'une façon sévère ;

Le public se tordait ; alors je m'aperçus

Que j'avais le plateau voulu, mais rien dessus.

Ma foi, je n'y tins pas, j'ai ri comme une folle.

Le monsieur n'a pas pu reprendre la parole

Tant on était joyeux. On a ri tout le temps !...

se tournant vers René qui la regarde fixement en l'écoutant

Mais que faites-vous donc, Monsieur, je vous attends ?

M. RENÉ

Madame, j'écoutais.

Mme DESTOURNELLES

C'est moi qui vous écoute.

Vous n'avez pas de temps à perdre. Allons, en route.

Eh bien ?

M. RENÉ après une longue hésitation

Je ne sais plus du tout le premier vers.

Mme DESTOURNELLES furieuse

Monsieur, vous commencez à m'agacer les nerfs.

M. RENÉ