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MADAME DE SALLUS

Quitter la maison.

JACQUES DE RANDOL

Vous voulez ?...

MADAME DE SALLUS

M’enfuir.

JACQUES DE RANDOL

Seule ?

MADAME DE SALLUS

Non, avec vous.

JACQUES DE RANDOL

Avec moi ! Y songez-vous ?

MADAME DE SALLUS

Oui. Tant mieux. Le scandale empêchera qu’il me reprenne. Je suis brave. Il me force au déshonneur, il sera complet, éclatant, tant pis pour lui, tant pis pour moi !

JACQUES DE RANDOL

Oh ! prenez garde, vous êtes dans une de ces minutes d’exaltation où l’on commet d’irréparables folies.

MADAME DE SALLUS

J’aime mieux commettre une folie, et me perdre, puisqu’on appelle cela se perdre, que de m’exposer à cette lutte infâme de chaque jour dont je suis menacée.

JACQUES DE RANDOL

Madeleine, écoutez-moi. Vous êtes dans une situation terrible, ne vous jetez pas dans une situation désespérée. Soyez calme.

MADAME DE SALLUS

Et que me conseillez-vous ?...

JACQUES DE RANDOL

Je ne sais pas... nous allons voir. Mais je ne puis vous conseiller un scandale qui vous mettrait hors la loi du monde.

MADAME DE SALLUS

Ah ! oui, cette autre loi qui permet d’avoir des amants avec pudeur, sans blesser les bienséances !

JACQUES DE RANDOL

Il ne s’agit pas de cela, mais de ne point mettre les torts de votre côté, dans votre querelle avec votre mari. Êtes-vous décidée à le quitter ?

MADAME DE SALLUS

Oui.

JACQUES DE RANDOL

Bien décidée ?

MADAME DE SALLUS

Oui.

JACQUES DE RANDOL

Pour tout à fait ?

MADAME DE SALLUS

Pour tout à fait.

JACQUES DE RANDOL

Eh bien ! soyez rusée, adroite. Sauvegardez votre réputation, votre nom, ne faites ni bruit ni scandale, attendez une occasion...

MADAME DE SALLUS

Et soyez charmante quand il rentrera, prêtez-vous à ses fantaisies...

JACQUES DE RANDOL

Oh ! Madeleine. Je vous parle en ami...

MADAME DE SALLUS

En ami prudent...

JACQUES DE RANDOL

En ami qui vous aime trop pour vous conseiller une maladresse.

MADAME DE SALLUS

Et juste assez pour me conseiller une lâcheté.

JACQUES DE RANDOL

Moi, jamais ! Mon plus ardent désir est de vivre prés de vous. Obtenez votre divorce, et alors, si vous le voulez bien, je vous épouserai.

MADAME DE SALLUS

Oui, dans deux ans. Vous avez l’amour patient.

JACQUES DE RANDOL

Mais, si je vous enlève, il vous reprendra demain, chez moi, vous fera condamner à la prison, vous ! et rendra impossible que vous deveniez jamais ma femme.

MADAME DE SALLUS

Ne peut-on fuir ailleurs que chez vous ? et se cacher de telle sorte qu’il ne nous retrouve point ?

JACQUES DE RANDOL

Oui, on peut se cacher ; mais alors il faut vivre caché jusqu’à sa mort, sous un faux nom, à l’étranger, ou au fond d’un village. C’est le bagne de l’amour, cela ! Dans trois mois, vous me haïriez. Je ne vous laisserai pas commettre cette folie.

MADAME DE SALLUS

Je croyais que vous m’aimiez assez pour la faire avec moi. Je me suis trompée, adieu !

JACQUES DE RANDOL

Madeleine. Écoutez...

MADAME DE SALLUS

Jacques, il faut me prendre ou me perdre. Répondez.

JACQUES DE RANDOL

Madeleine, je vous en supplie.

MADAME DE SALLUS

Cela suffit... Adieu !

Elle se lève et va vers la porte.

JACQUES DE RANDOL

Je vous en supplie, écoutez-moi.

MADAME DE SALLUS

Non... non... non... Adieu !

II la prend par les bras, elle se débat exaspérée.

MADAME DE SALLUS

Laissez-moi ! Laissez-moi ! Voulez-vous me laisser partir, ou j’appelle.

JACQUES DE RANDOL

Appelez, mais écoutez-moi. Je ne veux pas que vous puissiez me reprocher un jour l’acte de démence que vous méditez. Je ne veux pas que vous me haïssiez ; que, liée à moi par cette fuite, vous portiez en vous le cuisant regret de ce que je vous aurai laissée faire...

MADAME DE SALLUS

Lâchez-moi... Vous me faites pitié... lâchez-moi !

JACQUES DE RANDOL

Vous le voulez ? Eh bien ! partons.

MADAME DE SALLUS

Oh ! non ! Plus maintenant. A présent, je vous connais. Il est trop tard. Lâchez-moi donc !

JACQUES DE RANDOL

J’ai fait ce que je devais faire. J’ai dit ce que je devais dire. Je ne suis plus responsable envers vous, vous n’aurez plus le droit de m’adresser de reproches. Partons.

MADAME DE SALLUS

Non. Trop tard. Je n’accepte pas les sacrifices.

JACQUES DE RANDOL

Il ne s’agit pas de sacrifice. Fuir avec vous est mon plus ardent désir.

MADAME DE SALLUS, stupéfaite

Vous êtes fou !

JACQUES DE RANDOL

Pourquoi, fou ? N’est-ce pas naturel, puisque je vous aime ?

MADAME DE SALLUS

Expliquez-vous.

JACQUES DE RANDOL

Que voulez-vous que j’explique ? Je vous aime, je n’ai pas autre chose à dire. Partons.

MADAME DE SALLUS

Vous étiez tout à l’heure trop circonspect pour devenir tout à coup si hardi.

JACQUES DE RANDOL

Vous ne me comprenez pas. Écoutez-moi. Quand j’ai senti que je vous aimais, j’ai pris vis-à-vis de moi et vis-à-vis de vous un engagement sacré. L’homme qui devient l’amant d’une femme comme vous, mariée et délaissée, esclave de fait et moralement libre, crée entre elle et lui un lien que seule elle peut dénouer. Cette femme risque tout. Et c’est justement parce qu’elle le sait, parce qu’elle donne tout, son cœur, son corps, son âme, son honneur, sa vie, parce qu’elle a prévu toutes les misères, tous les dangers, toutes les catastrophes, parce qu’elle ose un acte hardi, un acte intrépide, parce qu’elle est préparée, décidée à tout braver : son mari qui peut la tuer et le monde qui peut la rejeter, c’est pour cela qu’elle est belle dans son infidélité conjugale ; c’est pour cela que son amant, en la prenant, doit avoir aussi tout prévu, et la préférer à tout, quoi qu’il arrive. Je n’ai plus rien à dire. J’ai parlé d’abord en homme sage qui devait vous prévenir, il ne reste plus en moi qu’un homme, celui qui vous aime. Ordonnez.