M. DE SALLUS, de loin
Elle a beaucoup de talent.
JACQUES DE RANDOL
Et on la dit charmante.
MADAME DE SALLUS, nerveuse
Il n’y a que ces filles-là pour plaire aux hommes.
JACQUES DE RANDOL
Vous êtes injuste.
MADAME DE SALLUS
Oh ! mon cher Monsieur, il n’y a qu’elles pour qui on fasse des folies. Et c’est là, entendez-vous, la seule mesure de l’amour.
M. DE SALLUS, de loin
Pardon, ma chère amie, on ne les épouse pas ; et c’est la seule vraie folie qu’on puisse faire pour une femme.
MADAME DE SALLUS
La belle avance ! On subit tous leurs caprices.
JACQUES DE RANDOL
N’ayant rien à perdre, elle n’ont rien à ménager.
MADAME DE SALLUS
Ah ! les hommes sont de tristes êtres ! On épouse une jeune fille parce qu’elle est sage - et on l’abandonne le lendemain - et on s’affole d’une fille qui n’est pas jeune, uniquement parce qu’elle n’est pas sage et que tous les hommes connus et riches ont passé par ses bras. Plus elle en a eu, plus elle est cotée, plus elle vaut cher, plus on la respecte, de ce respect particulier de Paris qui ne distingue pas autre chose que le degré de renommée, dû uniquement au tapage qu’on fait, d’où qu’on le fasse. Ah ! vous êtes gentils, messieurs.
M. DE SALLUS, souriant de loin
Prenez garde ! On croirait que vous êtes jalouse.
MADAME DE SALLUS
Moi ? Pour qui donc me prenez-vous ?
UN DOMESTIQUE, annonçant
Madame la comtesse est servie !
Il remet une lettre à Sallus.
MADAME DE SALLUS, à Jacques de Randol
Votre bras, Monsieur.
JACQUES DE RANDOL, bas
Je vous aime !
MADAME DE SALLUS
Si peu !
JACQUES DE RANDOL
De toute mon âme !
M. DE SALLUS, qui lit sa lettre
Allons, bon ! Il va falloir que je sorte ce soir.
FIN
Yvette
Piece inachevee
Adaptation de la nouvelle : Yvette
– LEON SAVAL
– JEAN DE SERVIGNY
– YVETTE
– LA MARQUISE
– LE PRINCE
Au premier étage d’une belle maison moderne. Riche escalier, dorures, faux marbres. Deux hommes en habit noir, le pardessus sur le bras, montent les dernières marches. L’un, Jean de Servigny, avance la main pour sonner. L’autre, Léon Saval, lui arrête le bras.
Un salon. Portes au fond et à droite. Madame Destournelles, habillée en bergère Watteau, arrange sa coiffure devant la glace.
LÉON SAVAL
Voyons, mon cher, où me conduis-tu ?
JEAN DE SERVIGNY
Je te l’ai dit, chez la marquise Obardi ?
LÉON SAVAL
Mais qui est-ce, la marquise Obardi ?
JEAN DE SERVIGNY
Tout le monde le sait.
LÉON SAVAL
Excepté moi.
JEAN DE SERVIGNY
Eh bien ! Tu le verras.
LÉON SAVAL
J’aime mieux savoir.
JEAN DE SERVIGNY
Que de prudence !
LÉON SAVAL
Non, je ne suis pas prudent. Qu’ai-je à craindre, d’ailleurs ? Mais je ne voudrais point faire un four, et on en fait à chaque pas quand on ne sait point chez qui on marche.
JEAN DE SERVIGNY
Tu veux dire : sur qui on marche.
LÉON SAVAL
Oui, peut-être. L’as-tu prévenue, au moins, que tu allais me présenter chez elle.
JEAN DE SERVIGNY, riant
Prévenir la marquise Obardi ? Fais-tu prévenir un cocher d’omnibus que tu monteras dans sa voiture au coin du boulevard ?
LÉON SAVAL
Alors c’est ?...
JEAN DE SERVIGNY
Une parvenue, mon cher, une rastaquouère, une drôlesse charmante sortie on ne sait d’où, apparue un jour, on ne sait comment, dans le monde des aventuriers et sachant y faire figure. Que nous importe, d’ailleurs ? On dit que son vrai nom, son nom de fille, car elle est restée fille à tous les titres, sauf au titre innocence, est Octavie Bardin, d’où Obardi, en conservant la première lettre du prénom et en supprimant la dernière du nom. C’est d’ailleurs une aimable femme dont tu seras inévitablement l’ami et le client, toi, de par ton physique. J’ajoute cependant que si l’entrée est libre en cette demeure, comme dans les bazars, on n’est pas strictement forcé d’acheter ce qui se débite dans la maison. On y tient de tout, on y fait de tout, on y vend de tout, depuis les sourires jusqu’aux concessions de terre dans les nouvelles républiques, de mines dans le centre africain et de passe-partout de l’appartement où nous entrons en ce moment par la grande porte. Demande et tu seras servi selon ta bourse.
La marquise s’installa dans le quartier de l’Etoile, quartier suspect, voici trois ans, et ouvrit ses salons à cette écume des continents qui vient exercer à Paris ses talents divers, redoutables et criminels. J’allai chez elle. Comment ? Je ne le sais plus au juste. J’y allai comme nous allons tous là-dedans, parce qu’on y joue, parce que les femmes y sont faciles et les hommes malhonnêtes. J’aime ce monde de flibustiers à décorations variées, qui décrochent une croix de leur poitrine pour vous la vendre dés que vous tirez votre portefeuille. Ils sont tous nobles, tous généraux, tous sénateurs en leurs patries, et tous inconnus à leurs ambassades, à l’exception des espions. Tous parlent de l’honneur à propos de bottes, citent leurs ancêtres à propos de rien, racontent leur vie à propos de tout, hâbleurs, menteurs, filous dangereux comme leurs cartes, trompeurs comme leurs noms, braves à la façon des voleurs de grand chemin, mais jamais banals comme des fonctionnaires français. C’est l’aristocratie du bagne, enfin !
Quant à leurs femmes ?... toujours jolies avec une petite saveur de coquinerie étrangère, avec le mystère de leur existence passée... passée peut-être à moitié dans une maison de correction. Ce sont aussi des conquérantes, des rapaces, de vraies femelles d’oiseaux de proie. Je les adore.
LÉON SAVAL
Pas de Français dans cette maison ?
JEAN DE SERVIGNY
Mais si, beaucoup au contraire, et ce qu’il y a de mieux puisque nous y allons.
LÉON SAVAL
Les autres, comment sont-ils ?
JEAN DE SERVIGNY
Très bien. Des généraux, des sénateurs, des hommes du monde, des artistes, de tout. C’est un monde étonnant où toutes les femmes ont des filles, ce qui remplace un contrat de mariage, pour l’œil.