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Aussi, de mon cheval, descendant aussitôt

Je fléchis humblement un genou devant elle,

Et je lui dis : « Pardon, pardon, mademoiselle ;

Ce baiser, croyez-moi, car je ne mens jamais,

N'est point d'un libertin ou d'un étourdi, mais,

Si vous le voulez bien, sera de fiançailles.

Je reviendrai, si le permettent les batailles,

Chercher gage d'amour que je vous ai laissé. »

Soit ! dit-elle en-riant. Adieu ! mon fiancé.

Elle me releva ; puis de sa main mignonne

M'envoyant un baiser : « Allez, on vous pardonne,

Dit-elle, et revenez bientôt, bel inconnu ! »

Et je partis...

LA MARQUISE, tristement

Et vous, n'êtes pas revenu ?

LE COMTE

Mon Dieu ! non. Mais pourquoi ? je ne sais trop moi-même

Je me suis dit : Est-il possible qu'elle m'aime

Cette enfant que je vis un instant ? Pour ma part

L'aimais-je ? J'hésitais. J'arriverais trop tard,

Peut-être pour trouver ma belle jeune fille

Aimant quelque autre, aimée et mère de famille ?

Et puis ce vain propos d'un fou, dit en passant,

Sans doute avait glissé sur elle, lui laissant

Un mignon souvenir, une douce pensée.

Et puis, la trouverais-je où je l'avais laissée ?

M'étais-je pas trompé ? Ne valait-il pas mieux

Garder ce souvenir lointain, frais et joyeux,

La voir toujours telle que je me l'étais peinte,

Et ne point revenir et la revoir, de crainte

De ne trouver, hélas ! Que désillusion ?

Mais il m'en est resté comme une obsession,

Une vague tristesse au cœur, et comme un doute

D'un bonheur coudoyé, mais laissé sur ma route.

LA MARQUISE, avec des sanglots dans la voix

Elle l'aurait peut-être aimé, cet inconnu ?

Dieu seul le sait ! mais vous n'êtes point revenu.

LE COMTE

Marquise, aurais-je donc commis un si grand crime ?

LA MARQUISE

Ne me disiez-vous point, tout à l'heure : « J'estime

Que l'homme est comme un fruit que Dieu sépare en deux.

Il marche par le monde ; et, pour qu'il soit heureux,

Il faut qu'il ait trouvé, dans sa course incertaine,

L'autre moitié de lui ; mais le hasard le mène ;

Le hasard est aveugle et seul conduit ses pas ;

Aussi, presque toujours, il ne la trouve pas.

Pourtant, quand d'aventure il la rencontre, il aime.

Et vous étiez, je crois, la moitié de moi-même

Que Dieu me destinait et que je cherchais, mais

Je ne vous trouvai pas, et je n'aimai jamais.

Puis voilà qu'aujourd'hui, nos routes terminées,

Le sort unit, trop tard, nos vieilles destinées.

Trop tard, hélas, car vous n'êtes pas revenu !

LE COMTE

Marquise, vous pleurez !...

LA MARQUISE

Ce n'est rien, j'ai connu

La pauvre fille dont vous parliez tout à l'heure ;

Ce récit m'attrista ; voilà pourquoi je pleure.

Ce n'est rien.

LE COMTE

L'enfant qui jadis reçut ma foi,

Marquise, c'était vous !

LA MARQUISE

Eh bien ! oui, c'était moi...

Le comte se met à genoux et lui baise la main. Il est très ému.

LA MARQUISE

Allons, n'y pensons plus ; il est un temps aux roses.

Notre vieux front pâli n'est plus fait pour ces choses.

Rirait bien qui pourrait nous voir en ce moment !

Relevez-vous ; et pour finir ce vieux roman,

Souvenir du passé qui n'est plus de notre âge,

Tenez, comte, je vais vous rendre votre gage ;

Je ne suis plus fillette et j'ai le droit d'oser.

Elle l'embrasse sur le front. Puis, avec un sourire triste.

Mais il a bien vieilli, votre pauvre baiser.

FIN

La trahison de la Comtesse de Rhune

Piece historique en trois actes et en vers

Personnages

– LE COMTE DE RHUNE, seigneur breton

– PIERRE DE KERSAC, lieutenant des gardes du comte de Rhune

– LUC DE KERLEVAN, YVES DE BOISROSÉ, nobles bretons de la suite du comte de Rhune

– JACQUES DE VALDEROSE, ÉTIENNE DE LOURNYE, pages attachés au service du comte

– JEANNE DE PENTHIÈVRE, comtesse de Blois et duchesse de Bretagne

– LA COMTESSE ISAURE DE RHUNE

– SUZANNE D’ÉGLOU, cousine de la comtesse Isaure

– SEIGNEURS BRETONS, parmi lesquels BERTRAND DU GUESCLIN

– Soldats et gardes.

La scène se déroule en l’an 1347, dans la salle des gardes d'un manoir breton au XIVe siècle. Grands sièges de bois, tables, armes diverses, dépouilles d'animaux, objets de chasse sur les murailles.

On aperçoit la salle en perspective avec des fenêtres dans le fond. Au premier plan, portes à droite et à gauche.

Acte premier

Scene premiere

LUC DE KERLEVAN, Luc de Kerlevan, grand, maigre, aux traits accentués, joue aux dés avec Yves de Boisrosé.

YVES DE BOISROSÉ, gros, est étranglé dans un uniforme et porte à tout instant à sa bouche une cruche de vin posée sur la table à café de lui.

Verres sur la table.

JACQUES DE VALDEROSE, âgé de dix-huit ou dix-neuf ans, est seul debout au milieu de la salle et s’exerce avec une épée de combat.

ÉTIENNE DE LOURNYE, du même âge que Jacques de Valderose, il est adossé au mur et regarde jouer Luc de Kerlevan et Yves de Boirosé.

JACQUES DE VALDEROSE

Kerlevan, viens ici ; nous allons faire assaut,

Je parie un baiser de ma mie.

LUC DE KERLEVAN, riant.

Ah ! bien sot

Qui s’y laisserait prendre ; où diable loge-t-elle ?

Tu l’as donc, si ce n’est qu’une pauvre mortelle,

Cachée en quelque puits, menée en quelque tour ?

Car je n’en sais pas une au pays alentour.

Boisrosé et Lournye se mettent à rire.

JACQUES DE VALDEROSE

Excepté toutefois notre belle maîtresse.

LUC DE KERLEVAN

Chut !... Elle est au-dessus et de notre tendresse

Et de notre pensée !

JACQUES DE VALDEROSE

Et Suzanne d’Églou,

Sa cousine ?

LUC DE KERLEVAN

As-tu donc le cou tellement long

Que tu veuilles le faire abattre avec la hache ?

Tais-toi.