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PIERRE DE KERSAC

Quel est cet homme ?

UN GARDE

C’est un des soldats du comte.

PIERRE DE KERSAC

Comment est-il ici ?

LE SOLDAT

J’ai fui.

LUC DE KERLEVAN

C’est une honte !

LE SOLDAT

Le comte est mort.

PIERRE DE KERSAC

Quoi ! mort ? Que dis-tu ?

LA COMTESSE

Mon mari ?

LE SOLDAT

Oui, madame.

PIERRE DE KERSAC

Comment ? Mais parle.

LE SOLDAT

Il a péri

En combattant.

LUC DE KERLEVAN, le prenant au collet.

Mais toi ?

PIERRE DE KERSAC, le dégageant.

Laisse parler ce lièvre.

LE SOLDAT

On nous dit en partant que Jeanne de Penthièvre

Était dans Nantes avec deux mille hommes en tout.

C’était faux, les Anglais avaient monté leur coup.

Nous allions la rejoindre. Étant en avant-garde,

Un soldat, mon voisin, nous dit : « Plus je regarde,

Et plus ce bois remue et semble s’approcher,

Il ne fait pas de vent, et je vois se pencher

Les branches ; on dirait qu’il souffle une tempête. »

Chacun se mit à rire, et l’on trouvait fort bête

Ce soldat. Mais, soudain, tout le bois disparaît

Et l’on voit s’agiter alors une forêt

De piques, de cimiers anglais, et d’arbalètes

Qui font pleuvoir les traits et la mort sur nos têtes.

Chacun s’enfuit ; le comte est seul resté debout.

Blessé, perdant son sang, mais luttant jusqu’au bout.

Il garda son épée et ne voulut la rendre

A personne, criant : « Allons, venez la prendre ;

Par la pointe, messieurs, je vous la donnerai. »

Puis il tomba, le corps grandement perforé

D’un coup dont un Anglais l’atteignit par derrière.

LUC DE KERLEVAN

Et vous avez tous fui, lâches !

LE SOLDAT

La troupe entière

S’est dispersée à tous les coins de l’horizon.

LUC DE KERLEVAN

Kersac, point de pitié pour ces gueux. Ils vous ont,

Pour aller au combat, des pattes de tortue,

Et des jambes de cerf pour s’enfuir. On les tue

Comme des chiens. L’exemple est utile en ce temps.

Nous avons des fuyards au lieu de combattants,

Et l’Anglais va venir. Qu’on apporte une corde.

LE SOLDAT, tendant les mains vers la comtesse.

Oh ! grâce !

LA COMTESSE

Ayons au cœur plus de miséricorde.

Elle prend la cruche de vin et en présente elle-même un verre au soldat, qui le boit. Puis elle lui fait signe de sortir ; il s’en va avec les gardes.

Certes, mon âme est forte et sait tout endurer,

Mais je sens que mes yeux ont besoin de pleurer.

Quand on est femme, on a toujours cette faiblesse

De pleurer aussitôt que le malheur vous blesse :

C’est vrai. Mais nous avons cette fierté du moins

De ne jamais montrer nos pleurs à des témoins.

Allez, messieurs.

Ils sortent tous en s’inclinant.

Scene V

LA COMTESSE ; SUZANNE D’ÉGLOU.

LA COMTESSE

Je puis enfin rire à mon aise !

Ah ! comme j’ai joué leur naïveté niaise !

Comme une femme est forte et vaut mieux qu’un soldat

Comme la ruse est grande à côté du combat !

C’est de moi qu’est venu ce que tu viens d’entendre.

C’est un piège profond que mes mains ont su tendre.

Écoute... je me fie à ta fidélité ;

Le comte est bien vivant : voilà la vérité.

Mais, en le disant mort, je deviens la maîtresse,

Et je garde les clefs de cette forteresse

Pour celui que j’attends et que j’aime, celui

Dont le nom comme un feu dans mon souvenir luit,

L’Anglais Gautier Romas !

SUZANNE D’ÉGLOU

Qu’as-tu fait là, cousine ?

Tu ne redoutes point la colère divine

Qui punit le parjure et l’infidélité ?

LA COMTESSE

Eh ! que veux-tu ? Pendant longtemps j’ai résisté,

Mais l’amour m’a saisie, a tordu ma pensée,

Comme un lutteur tombé je me sens terrassée.

SUZANNE D’ÉGLOU

Oh ! c’est très mal, cousine.

LA COMTESSE

Ah ! c’est mal. Et pourquoi ?

Avant de l’épouser, j’avais donné ma foi.

Mon père m’a jetée à lui ; lui, vieux, m’a prise,

Comme un objet quelconque et presque par surprise

Et parce qu’avec moi j’apportais un cadeau

Royal, trois grands châteaux et ma jeunesse en dot !

Moi, j’avais peur de lui, j’avais peur de mon père,

Je n’osai dire « non », mais est-ce qu’il espère

Qu’on est maître d’un cœur et qu’on prend un esprit

A cheval et l’épée au flanc comme il me prit,

De même qu’un butin qu’on rapporte ?

SUZANNE D’ÉGLOU

Oh ! prends garde...

Mais, ce soldat qui t’a servi, si quelque garde,

L’enivrant, apprenait par lui ta trahison ?

Un peu de vin suffit pour perdre la raison.

LA COMTESSE, montrant la cruche de vin.

Un peu de vin suffit pour perdre la mémoire,

Et je verse l’oubli lorsque je verse à boire.

Il est mort !

SUZANNE D’ÉGLOU

Ton mari, tu le hais. Mais, sinon

Pour lui, pitié du moins pour son nom.

LA COMTESSE

Quoi, son nom ?

Qui connaît hors d’ici sa splendeur dérisoire ?

C’est moi qui lui ferai sa place dans l’Histoire.

SUZANNE D’ÉGLOU

Oui, cousine, c’est vrai, mais par la trahison.

LA COMTESSE

Trahir ! Qui donc trahit dans cette guerre ? Ils ont

Tous trahi ! Jean de France et duc de Normandie

Livra-t-il pas Montfort au Roi par perfidie ?

Et Landerneau ? Guingamp ? Henry de Spinefort,

Traître, a-t-il ouvert Hennebont à Montfort ?

Livra-t-on pas Jugon pour cent deniers de rentes ?

Mais ils ont tous trahi de façons différentes !

L’évêque de Léon ? Laval ? et Malestroit ?

Et d’Harcourt ? Et Clisson, que fit périr le Roi