pens des plaines et des dépressions in-térieures à agriculture irriguée qui le retenaient dans l’Antiquité. D’autres massifs, isolés aux confins du désert, ont vu de même essaimer et s’implanter des minorités religieuses : Druzes dans le djebel Druze, Yazīdis dans le djebel Sindjār. Et, par ailleurs, des reliefs montagneux de l’intérieur ont pu conserver, sans transformation humaine, des noyaux sédentaires intacts, c’est, par exemple, le cas des chaî-
nons du Qalamūn, accolés à l’Anti-Liban, où se sont maintenus des villages chrétiens de langue araméenne.
y Foyers irrigués et plaines sèches.
Un autre élément de résistance a été constitué, en plaine, par les grandes oasis de l’intérieur, les rhūṭa. La permanence humaine y est attestée par celle des coutumiers d’irrigation, qui sont largement préislamiques. En fait, seules les plus importantes, et avant tout Damas, protégées des destructions par leur masse même, ont pu traverser sans trop de dommages les siècles de régression. La plupart des petites oasis du désert, telles celles de la Palmyrène, étaient au début de ce siècle sous la domination absolue des nomades et faisaient figure de bases caravanières beaucoup plus que de centres agricoles. Dans la Mésopotamie entière, la surface irriguée était évaluée à moins de 400 000 ha au
début du XXe s.
La culture pluviale des céréales dans les steppes marginales, enfin, avait considérablement reculé jusqu’à l’aube de la période contemporaine. C’est seulement autour des centres urbains de la Syrie intérieure, Alep, Homs et Ḥamā, que des auréoles étendues de campagnes cultivées avaient pu se maintenir, sous la domination foncière et sociale des villes, en un paysage de gros villages tassés, à champs ouverts et assolés en exploitation communautaire (système muchā‘a).
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La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 14
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Les transformations
contemporaines
Ce tableau s’est profondément modi-fié depuis un siècle. Le rétablissement progressif de la sécurité par l’administration ottomane dès la seconde moitié du XIXe s., puis par les puissances man-dataires après la Première Guerre mondiale allait entraîner un mouvement généralisé de fixation des nomades et de reconquête du sol dans toutes les steppes marginales du désert.
C’est ainsi qu’en Djézireh les Chammar se sont fixés sous l’égide de leurs chefs entre les deux guerres mondiales.
Sur les rives du moyen Euphrate, les Agueïdats (ou ‘Aqīdāt) ont fondé de nombreux villages entre Deir ez-Zor et la frontière irakienne, cultivant en été des terres irriguées par machines élé-
vatoires et pratiquant encore un semi-nomadisme hivernal vers le désert.
La pression gouvernementale s’y
est ajoutée, juxtaposant de nouveaux villages d’origine administrative à ce mouvement spontané. Les nomades ne sont plus ainsi aujourd’hui que 150 000
environ en Syrie, 200 000 peut-être en Transjordanie (dont la plus grande partie déjà semi-nomades), sans doute à peu près autant en Iraq, à peine quelques milliers dans le Néguev, en territoire israélien. C’est approximativement le tiers des effectifs du début du siècle.
D’autres éléments humains de la
reconquête du sol ont été apportés par les paysans montagnards descendus de leurs refuges : sinon les maronites du Liban, qui ont surtout émigré outre-mer, du moins les ‘alawītes et les is-maéliens du djebel Ansarieh, qui ont pris une part active à la recolonisation du fossé du Rhāb et des steppes de la Ma‘mūra au sud-est d’Alep et à l’est de Homs et de Ḥamā. Des éléments
étrangers s’y sont ajoutés : Tcherkesses musulmans du Caucase, réfugiés dans l’Empire ottoman dans le dernier tiers du XIXe s. et installés par l’Adminis-
tration sur toutes les marges occidentales du désert, où ces populations belliqueuses reçurent pour mission de contenir les Bédouins ; Assyro-chaldéens chrétiens du Kurdistān, réinstallés dans la Djézireh, notamment dans la vallée du Khābūr, après la Première Guerre mondiale.
L’immigration juive en Palestine a, d’autre part, introduit des populations d’un niveau d’organisation sociale et économique très supérieur, qui ont transformé le pays.
Les résultats ont été spectaculaires.
La limite de la culture pluviale des cé-
réales a partout progressé de plusieurs dizaines de kilomètres vers l’intérieur du désert, s’avançant pratiquement aujourd’hui jusqu’à ses possibilités climatiques. Partout le Croissant fertile s’est élargi aux dépens du désert.
Parallèlement, les foyers irrigués se sont considérablement étendus, surtout en Mésopotamie, où les grands amé-
nagements hydrauliques ont permis de décupler depuis le début du siècle la surface utilisée, mais également tout autour des rhūṭa syriennes, où des puits profonds ont permis d’accroître la superficie irriguée par les eaux courantes, et dans les grands périmètres en voie d’aménagement sur le Jourdain (Ghor oriental), le Līṭānī et l’Euphrate syrien.
Le carrefour
À cette recolonisation rurale en pleine activité correspond, en revanche, un déclin manifeste de la fonction traditionnelle de carrefour, base de l’activité urbaine aux siècles de prépondé-
rance du nomadisme et de régression agricole.
Le Moyen-Orient, en effet, outre
le passage qu’il offre entre l’Asie et l’Afrique, constitue un isthme géographique entre la Méditerranée et l’océan Indien, élément capital de la large coupure qui, de Gibraltar à l’Insulinde, ci-saille la masse continentale de l’Ancien Monde et, à la latitude des tropiques arides, facilite le passage entre les pays tempérés d’Europe et l’Asie chaude et humide. Plus que dans l’isthme de
Suez, imposant un long détour malaisé par la mer Rouge et au sud de l’Arabie, c’est là que s’est toujours située la route essentielle d’Europe vers l’Asie intertropicale, à savoir la route caravanière reliant la Méditerranée au golfe Persique, par Antioche et Alep, le coude de l’Euphrate, puis la vallée du fleuve jusqu’au fond du golfe, appuyée aux lisières du Croissant fertile et évitant par le nord le coeur du désert syrien.
Dessinée dès qu’un centre de civilisation se fut créé, au IVe millénaire av. J.-C., dans la basse Mésopotamie, longtemps bloquée par l’opposition politique entre Rome et l’Empire
perse, cette route prendra toute son activité lorsque l’islām et l’arabisation en assureront l’unité religieuse et culturelle. Des variantes ont pu, à certaines époques, emprunter le raccourci de la voie directe à travers le désert : ainsi à l’époque romaine par Palmyre et les chaînons de la Palmyrène, et à l’époque de la circulation automobile contemporaine par la route directe de Damas à Bagdad.
Mais le tracé principal s’est fixé le plus souvent au nord, assurant la prospérité d’Antioche, puis d’Alep.
L’aboutissement de la route sur la fa-
çade levantine de la Méditerranée s’est manifesté par la fortune, changeante, de nombreux ports à fonction d’empo-ria accrochés aux rares sites d’abri de cette côte, fixés par des éperons ou îlots de grès quaternaire émergeant de la plaine alluviale littorale (Tyr, Sidon, Byblos), et par celle des entrepôts de l’intérieur, têtes de lignes caravanières (Alep, Damas, Homs, Ḥamā, Palmyre).
Cette activité routière, de commerce transcontinental lointain et d’entrepôt, déjà très diminuée depuis le XVIe s. à la suite de la découverte de la route maritime des Indes autour de l’Afrique, a achevé de disparaître dans la seconde moitié du XIXe s. avec l’ouverture du canal de Suez. Une certaine régéné-
ration de la fonction traditionnelle de transit a été, cependant, provoquée, sur des bases essentiellement régionales, par l’intervention de l’exploitation pétrolière.