—, il apparut aux romantiques, conquis par le charme de ses Vierges et de ses Enfants Jésus, comme le « peintre du Ciel », le « Raphaël espagnol ». Puis le goût changea, et la gloire de Murillo fut éclipsée par la fortune nouvelle du Greco* et de Zurbarán*. D’où l’absence de monographies récentes et surtout d’études critiques séparant des originaux les innombrables copies et imitations. Cependant, le vent tourne de nouveau, et le grand ouvrage attendu de Diego Angulo Iñiguez, préparé par une série d’articles dans l’Archivo Español de Arte, permettra de mieux situer un artiste dont la séduction, parfois trop facile, ne doit pas masquer la vraie grandeur.
L’histoire de sa vie, « exemplaire », mais sans relief, se confond avec celle de son oeuvre. Pur Sévillan, dernier des quatorze enfants d’un barbier-chirurgien, orphelin à quatorze ans, élevé par une soeur aînée, sa vocation précoce le conduit chez Juan del Castillo (1584-1640), peintre plutôt archaïsant, à la gamme claire et froide, que Murillo associe dans ses premières oeuvres aux
« gloires » brillantes de Roelas*, ré-
novateur de l’école sévillane au début du siècle, et à la vigueur plastique de Zurbarán, alors à son apogée. Celle-ci domine le premier grand cycle de Murillo : vingt-deux histoires et miracles monastiques pour le petit cloître des Franciscains (1645-46, ensemble aujourd’hui dispersé). Les deux plus vastes compositions annoncent déjà des voies neuves : la Cuisine des anges (Louvre), par le demi-jour subtil où baigne la cuisine du couvent ; la Mort de sainte Claire (Dresde), par la procession des jeunes saintes, souples, downloadModeText.vue.download 34 sur 625
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 14
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fraîches, animées, qui fait apparaître le type féminin cher à l’artiste.
Ce premier succès assure la car-
rière de Murillo, astre nouveau qui succède à Zurbarán dans la faveur du clergé et vers lequel les grandes commandes affluent. En 1656, le chapitre de la cathédrale lui offre une chapelle à décorer (l’immense Vision de saint Antoine) et, quelques années plus tard, la salle capitulaire (Immaculée, saints évêques sévillans). Des tableaux lui sont commandés en 1665 pour l’église Santa Maria la Blanca, et il entreprend la même année les deux grands cycles pour les Augustins et les Capucins, passés en partie au musée de Séville.
Enfin, de 1670 à 1674, pour son ami Miguel de Mañara, fondateur de l’hospice de la Caridad (et de la confrérie dont le peintre est membre), Murillo décore la chapelle de quatorze grandes toiles qui évoquent les formes et les âges de la Charité, de Moïse et Jésus à sainte Élisabeth reine de Portugal et saint Jean de Dieu.
Entre-temps — marié depuis 1645, père de neuf enfants (dont trois seront d’Église) —, sa vie s’est déroulée régulière et paisible, dans une large aisance. Seuls événements notables : un séjour de plusieurs mois à Madrid, en 1658, qui lui permet d’étudier les chefs-d’oeuvre italiens et flamands des collections royales ; en 1660, la création d’une Académie, la première en Espagne, où sa persévérance lui permet de grouper les principaux peintres sévillans ; en 1663, son veuvage. Il ne se remariera pas, poursuivant sa vie discrète et laborieuse, aimé de tous, jusqu’à ce qu’en 1682, tombé d’un échafaudage en peignant, la mort interrompe son dernier grand ouvrage, destiné aux capucins de Cadix (le Mariage mystique de sainte Catherine).
Cette oeuvre considérable (à laquelle s’ajoutent de nombreux tableaux isolés, destinés à des églises ou à des particuliers — Immaculées, Vierges à l’Enfant, Saintes Familles, scènes de la Passion, scènes bibliques, scènes de genre, portraits) se déroule suivant une courbe régulière. Si la distinction de l’historien d’art J. A. Ceán Bermúdez (1749-1829) entre trois manières, « la froide, la chaude, la vaporeuse », est un peu simpliste et scolaire, elle traduit en gros la double évolution qui se dessine entre 1650 et 1660 et s’accentue par la suite : vers le clair-obscur aux rous-seurs dorées qui baigne déjà l’immense gloire du Saint Antoine de 1656 et qui éliminera un ténébrisme encore vigoureux dans cette période transitoire (la Cène de Santa Maria la Blanca) ; vers un « baroque » dû en partie aux contacts madrilènes (Guido Reni, et surtout Rubens* et Van Dyck*), mais qui va dans le sens de l’époque, avec des courbes amplifiées, des mouvements plus accentués, des rythmes plus instables. Et cette mutation formelle traduit une volonté croissante d’exté-
rioriser l’émotion religieuse, associant avec un naturalisme sentimental le surnaturel à la vie quotidienne. D’où parfois un glissement vers la facilité, vers certaines mièvreries plus apparentes dans les grands formats, sans que ces faiblesses nuisent jamais à la qualité picturale, toujours très haute : souplesse de la touche, onctuosité de la
pâte, raffinement des demi-teintes qui chantent dans la pénombre.
Il faut ajouter que Murillo est parfaitement capable d’un pathétique sobre et poignant. Mais son univers propre est celui de la familiarité, de l’observation grave et amusée de la vie à travers les modèles que lui offre Séville : dans des « intimités chrétiennes » souvent charmantes, dans des tableaux de plus grande envergure à la gloire de la Charité (comme la Sainte Élisabeth soignant les teigneux de la Caridad), dans des sujets profanes ou semi-profanes, tirés de la Bible ou empruntés aux spectacles picaresques de la rue, il peint des gamins dépenaillés et espiègles, des jeunes filles à la fenêtre, moqueuses et coquettes — toujours traités avec une grâce proprement sévillane, une gentil-lesse exempte de vulgarité.
L’art de Murillo n’a pas marqué
seulement ses habiles imitateurs andalous — à commencer par son disciple Francisco Meneses Ossorio (v. 1630 -
v. 1705) —, mais tout le XVIIIe s. et le romantisme espagnols, au moins sur le plan technique et chromatique.
P. G.
C. B. Curtis, Velazquez and Murillo (Londres, 1883). / S. Montoto de Sedas, Bartolomé Esteban Murillo. Estudio biográfico-crí-
tico (Séville, 1923).
Murnau
(Friedrich
Wilhelm)
Cinéaste allemand (Bielefeld 1888 -
Santa Barbara, Californie, 1931).
Féru de lecture — son frère rapporte qu’à douze ans il connaissait déjà certaines oeuvres de Schopenhauer, Ibsen, Nietzsche, Dostoïevski et Shakespeare
— et de peinture, Friedrich Wilhelm Plumpe, qui prendra le nom de Murnau, se sentit dès son plus jeune âge particulièrement attiré par le théâtre.
Il s’inscrivit aux cours de Max Reinhardt et devint l’un de ses proches collaborateurs. Après l’épreuve de la guerre — qu’il accomplit dans
l’aviation —, il opta cependant pour le cinéma et fonda une petite société
de production avec l’aide de quelques camarades rencontrés chez Reinhardt.
Ses premiers films sont hélas perdus pour la plupart. Certains autres ont été retrouvés, mais l’état de leur copie permet difficilement de se faire une juste idée de l’oeuvre originale. Aussi est-il hasardeux de porter un jugement équitable sur le Murnau d’avant Nosferatu.
Cependant, grâce à divers témoignages et à l’étude de quelques découpages annotés de la main même du cinéaste, on sait que, dès ses premiers essais, Murnau était déjà maître de son style.
L’apport des scénaristes Hans Janowitz et Carl Mayer fut sans doute déterminant. Le jeune réalisateur parvint à éviter les excès du caligarisme tout en étant fortement influencé par le courant expressionniste dans l’Enfant en bleu (Der Knabe in blau, 1919), Satanas (1919), le Bossu et la danseuse (Der Bucklige und die Tänzerin, 1920), la Tête de Janus (Der Januskopf, 1920), le Soir... la nuit... le matin (Abend...
Nacht... Morgen, 1920), Mélancolie (Sehnsucht, 1921), Der Gang in die Nacht (1921), Marizza, genannt die Schmugglermadonna (1922), le Châ-