Il est vrai que la nature du sujet n’a pas encore préoccupé beaucoup les musiciens et que la forme prime le fond.
D’où l’absence d’unité véritable dans la succession assez arbitraire des divers morceaux qui composent l’opéra. D’où aussi, la nécessité d’une réforme.
C. W. Gluck* a déjà écrit plus de vingt-cinq opéras italiens lorsque, pénétré des idées exprimées par
J.-J. Rousseau et les encyclopédistes, qui prônent le retour à un style sobre et naturel, il entreprend avec son librettiste R. de’Calzabigi (1714-1795), hostile au mauvais goût des « virtuosi », de revenir dans l’opéra à la simplicité de la tragédie antique. Orfeo ed Euridice (1762), Alceste (1767) et Paride ed Elena (1770) sont les premières étapes de cette évolution, qui trouve son aboutissement dans ses oeuvres françaises : Iphigénie en Aulide (1774), Orphée et Eurydice (1774), Alceste (1776), Armide (1777) et Iphigénie en Tauride (1779), où la rupture avec le passé est définitive. Gluck s’y efforce
« de restreindre la musique à son véritable office, qui est de servir la poésie par l’expression et les situations de la fable, sans interrompre l’action ou la refroidir avec des ornements inutiles »
(préface d’Alceste). Vers la même époque en France, F. A. Philidor*, Grétry*, Étienne Méhul (1763-1817) et J. F. Le Sueur*, auteurs d’opéras-comiques, abordent aussi l’opéra.
Au début du XVIIe s., tandis que la France résiste encore à l’influence italienne, l’Allemagne adopte très tôt le nouveau style représentatif. Dès 1627, H. Schütz*, ancien élève de Giovanni Gabrieli* à Venise, compose le premier opéra en langue allemande, Dafne, sur le poème d’Ottavio Rinuccini, traduit par Martin Opitz. Après la guerre de Trente Ans, qui a rendu vain ce premier essai, les ultramontains envahissent le pays. Tandis que Vienne, Munich et Dresde accueillent Antonio Cesti (1623-1669), Antonio Bertali (1605-1669), Antonio Draghi (1635-1700), Agostino Steffani (1654-1728) et Giovanni Andrea Bontempi (1624-1705), l’opéra allemand se développe à Hambourg de 1678 à 1738 avec Johann Theile (1646-1724), élève de Schütz, Johann Wolfgang Franck (1644 -
v. 1710), Nicolaus Adam Strungk
(1640-1700), Johann Siegmund Cousser (ou Kusser [1660-1727]) et surtout R. Keiser* ; mais, bien que les livrets soient en langue allemande, il est trop influencé par les Français (Lully) et les Italiens (A. Steffani) pour prétendre à un caractère vraiment national. Dans la première moitié du XVIIIe s., Johann Mattheson (1681-1764) et G. P. Telemann* restent fidèles à la tradition de
Hambourg, tandis que Händel*, Johann Joseph Fux (1660-1741), Johann Adolf Hasse (1699-1783), élève de A. Scarlatti, et Karl Heinrich Graun (1704-1759), soumis à l’influence grandissante de l’opéra napolitain, contribuent à créer dans leur pays de nombreux foyers d’italianisme. Après 1740, les premiers opéras de Gluck et, plus tard, ceux de F. J. Haydn* et de W. A. Mozart* se conforment souvent à la ma-nière italienne. Ce sont cependant Mozart, à qui l’on doit deux chefs-d’oeuvre en langue allemande (Die Entführung aus dem Serail [l’Enlèvement au sé-
rail], 1782 ; Die Zauberflöte [la Flûte enchantée], 1791), et L. van Beethoven*, l’auteur de Fidelio (1805), que l’on considère généralement (bien que leurs oeuvres s’apparentent au singspiel) comme les véritables fondateurs de l’opéra allemand.
En Angleterre, au début du XVIIe s., le masque, divertissement qui ressemble au ballet de cour, est la seule forme de musique dramatique. Nicolas Lanier (1588-1666) passe pour avoir introduit le premier, après son séjour en Italie (1625-1627), le stile recitativo. Mais ce n’est qu’après la victoire des puritains, qui interdisent le théâtre parlé, que les musiciens s’intéressent au théâtre chanté. Après les tentatives de William Davenant (1606-1668) et de Matthew Locke (v. 1630-1677),
dont le style reste proche de celui des masques, l’opéra anglais se développe sous la Restauration. En 1673, Cambert, qui s’est établi à Londres, fait entendre Pomone. Charles II, d’autre part, fait appel à des troupes italiennes.
Seul H. Purcell* échappe à cette
double influence. Dans ses partitions (comédies ou tragédies), la musique n’est pas constamment présente. Il a laissé un unique opéra, chanté d’un bout à l’autre, Dido and Aeneas (1689), et d’autres pièces où la partie musicale est très importante (King Arthur, 1691 ; The Fairy Queen, 1692). Après lui, l’opéra italien règne en maître avec Händel, Giovanni Battista Bononcini, Nicola Antonio Porpora et Baldassarre Galuppi.
L’influence italienne s’exerce peu au XVIIe s. sur le théâtre musical espagnol.
La zarzuela, de caractère spécifique-
ment national, est rarement chantée d’un bout à l’autre et s’accompagne d’une somptueuse mise en scène. Au XVIIIe s., son style devient plus populaire. On représente aussi des opéras italiens que l’on convertit en zarzuelas en substituant au recitativo secco des textes déclamés.
Au XIXe s., le cadre de l’opera seria s’élargit ; son style, où coexistent des éléments italiens, allemands et français, s’internationalise. En même temps, Paris devient la capitale du « grand opéra ». L’Allemand Giacomo Meyerbeer (1791-1864), les Italiens L. Che-rubini*, G. Rossini*, Gaspare Spontini (1774-1851), Vincenzo Bellini (1801-1835) et Gaetano Donizetti (1797-
1848) viennent y chercher la consé-
cration, à côté des Français Halévy (1799-1862) et Félicien David (1810-1876). En Allemagne, l’avènement du romantisme suscite des oeuvres dramatiques originales, qui, délaissant les vieilles formules épuisées, font appel au sentiment national, à celui de la nature, à l’art populaire et au fantastique.
Après le Freischütz (1821), singspiel que l’on considère comme l’oeuvre la plus représentative du romantisme allemand, C. M. von Weber*, avec son unique opéra, Euryanthe (1823), conçu sans interruption, préfigure, grâce à sa structure générale et à son utilisation des timbres de l’orchestre, le drame musical wagnérien. Parmi les contemporains de Weber, citons aussi Louis downloadModeText.vue.download 504 sur 625
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 14
7947
Spohr (1784-1859), auteur d’un Faust (1816), E. T. A. Hoffmann*, dont la féerique Ondine (1816) évoque les forces mystérieuses de la nature, Heinrich Marschner (1795-1861) et Peter Cornelius (1824-1874). F. Schubert*, F. Mendelssohn* et R. Schumann*
écrivent aussi des opéras, mais la postérité ne les retiendra pas ; leur lyrisme est trop intime pour mettre en valeur une action dramatique.
En France, le romantisme théâtral n’est réellement représenté que par L. H. Berlioz*. Benvenuto Cellini
(1838) et les Troyens (1855-1858), qui rompent avec l’opéra traditionnel et les habitudes du public, sont accueillis froidement, malgré leur puissance de suggestion. Quant à la Damnation
de Faust (1846), bien que sous-titrée
« Légende dramatique », elle n’est pas destinée à la scène.
Dans la seconde moitié du XIXe s., deux musiciens marquent l’art lyrique de leurs personnalités. R. Wagner*, novateur hardi, veut aussi réformer l’opéra allemand. Son esthétique
s’oriente vers un théâtre total, d’une
« forme idéale et purement humaine », ce qui l’incite à délaisser les formes conventionnelles de l’opéra et les sujets historiques, et à s’exprimer à travers le mythe d’inspiration populaire. Pour réaliser parfaitement l’unité du drame, Wagner écrit lui-même ses livrets. Sur le plan musical, comme jadis Monteverdi et plus tard Gluck, mais avec des moyens plus puissants, il rapproche le chant de la parole chantée (Tristan und Isolde, 1865 ; Der Ring des Nibelungen, 1876), de telle manière que la déclamation (le Sprech-singen) oscille entre le récitatif et l’air sans jamais donner l’impression d’une rupture entre ces deux formes. L’accompagnement devient un riche tissu symphonique d’une ampleur encore jamais atteinte. Il forme avec le chant un ensemble qu’il domine parfois et qui se nourrit de leitmotive, thèmes générateurs variant avec une infinie souplesse selon les situations dramatiques. De son côté, G. Verdi*, contemporain de Wagner, donne à l’opéra italien un nouvel éclat ; de Rigoletto (1851) à Falstaff (1893), son art, d’abord national, se fait plus généralement expansif sous l’impulsion de son émule allemand.