l’échelle symphonique ». Cette conception, encouragée par des motifs d’ordre économique, va triompher après la Première Guerre mondiale. Cependant que l’orchestre symphonique retrouve des dimensions plus normales, on
assiste à une prodigieuse renaissance
des formations d’orchestre de chambre (cordes seules, vents seuls ou formations mixtes), au sein desquelles la percussion et, bientôt, de nouveaux instruments, électroniques ou non (ondes Martenot, guitare électrique, etc.), se taillent une place de plus en plus importante. Le siècle romantique, établissant un fossé rigoureux entre la musique symphonique et la musique de chambre, avait totalement négligé ces formations restreintes, de dix à quarante instrumentistes. Depuis un demi-siècle, celles-ci prolifèrent, à la fois au service des compositeurs des XVIe, XVIIe et XVIIIe s., qui font partie du répertoire vivant de nos jours au moins autant que les compositeurs romantiques, et à celui de nos contemporains : on trouve à présent d’excellentes petites formations de chambre aussi à l’aise dans Vivaldi que dans Berio ou Xenakis !
Depuis Stravinski et Webern, la
conception de l’orchestre à formation fixe a beaucoup reculé, chaque oeuvre nouvelle appelant sa propre formule instrumentale. Mais, pour des raisons de commodité pratique, certaines formations se dégagent tout de même : ensembles de solistes (bois, cuivres, cordes par un, nombreuses percussions), genre Domaine musical ou
Musique vivante à Paris, die Reihe à Vienne, etc. ; petits orchestres d’une douzaine de cordes (en France : Orchestre Jean-François Paillard et Orchestre de chambre de Toulouse ; à l’étranger : I Musici, I Solisti Veneti, Orchestre de chambre de Stuttgart, etc.) ; etc.
Durant les années 1950-1970, l’orchestre symphonique traditionnel a semblé marquer un net recul : certains compositeurs d’avant-garde le disaient même condamné, et, devant la montée de la musique électro-acoustique et des petites formations spécialisées, sans compter les problèmes matériels sans cesse croissants, on était tenté de leur donner raison. Mais, outre le fait que l’orchestre symphonique demeure indispensable pour l’exécution du vaste répertoire de Beethoven à nos jours, on assiste depuis quelques années à un retour en force du « symphonisme » le plus authentique dans la production de la plupart des compositeurs vivants,
en particulier de ceux de la plus jeune génération, qui se réclame de plus en plus fréquemment de Mahler.
Le regain de faveur du roman-
tisme dans l’esprit du public, après vingt-cinq ans de culte du baroque et du préclassicisme, se répercute donc également dans la production musicale actuelle : l’orchestre, qu’il soit de dix ou de cent vingt musiciens, est plus que jamais au centre de notre vie musicale, et le monde n’a jamais été aussi riche de formations de haute valeur, parmi lesquelles on citera au premier rang la Philharmonie de Vienne, celle de Berlin, l’Orchestre de Paris, le London Symphony Orchestra, le New Philharmonia, le Concertgebouworkest d’Amsterdam, la Philharmonie
tchèque, celle de Leningrad, les orchestres symphoniques de Chicago, de Cleveland, de Philadelphie, de Boston, de New York et bien d’autres encore.
Depuis l’époque déjà lointaine où Louis Spohr, Mendelssohn et Berlioz, les tout premiers, montèrent sur l’estrade, une baguette à la main, le chef d’orchestre est devenu une vedette de la vie musicale.
H. H.
M. Pincherle, l’Orchestre de chambre (Larousse, 1948). / D. E. Inghelbrecht, le Chef d’orchestre et son équipe (Julliard, 1949). /
L. Aubert et M. Landowski, l’Orchestre (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1951). / F. Golbeck, le Parfait Chef d’orchestre (P. U. F., 1952).
LES GRANDS
ORCHESTRES DE JAZZ
Il n’y a pas que le nombre de musiciens qui différencie la petite formation (combo) du grand orchestre de jazz (big band). Les membres d’un petit groupe sont, en général, tous solistes improvisateurs, travaillant sur un matériau thématique où l’arrangement, écrit ou oral, ne tient pas une place essentielle. À la limite, d’ailleurs, la liberté d’improvisation peut être totale. En revanche, le travail d’un grand orchestre (8 musiciens ou plus) suppose l’écriture de séquences instrumentales souvent à plusieurs voix, au
sein desquelles viennent s’insérer des solos improvisés. Le rôle de certains musiciens y est donc limité à la lecture et à l’exécution de partitions rigoureusement préétablies, ce qui n’est pratiquement jamais le cas dans les petites formations.
Dans sa forme la plus tradition-
nelle, le grand orchestre est divisé en
« sections » : sections « mélodiques », constituées par les cuivres (trompettes et trombones), les anches (saxophones et clarinettes) et parfois par les cordes ; section « rythmique » (piano, guitare, basse et batterie) qui forme l’élément le plus constant. Les thèmes choisis (souvent les mêmes que ceux des petites formations) sont orchestrés par l’arrangeur, qui écrit des séries de variations, avec effets de réponse, de contre-chant et d’opposition de timbres harmonisés pour les sections mélodiques, une place calibrée étant réservée aux solos, qui peuvent bénéficier de fonds sonores (background) prévus. Cette subordination à la partition favorise des effets de masse particulièrement efficaces dans l’usage du riff, tandis que la diversité instrumentale et le dosage des interventions solistes permettent à l’arrangeur de varier les couleurs sonores.
Arrangeur
L’arrangeur est le musicien responsable de l’écriture des orchestrations. C’est lui qui, à partir d’un thème donné, organise le travail des différentes sections instrumentales et établit avec l’aide des copistes les partitions. Dans beaucoup de cas, l’arrangeur, parfois titulaire d’un poste instrumental dans l’orchestre, met au point son oeuvre sur le vif, c’est-à-dire au cours de répétitions, où la confrontation des textes avec l’exécution permet de mieux ajuster ses désirs aux possibilités des interprètes.
Certains arrangeurs ont eu autant d’importance que les chefs d’orchestres, rôle qu’ils tiennent aussi de temps en temps. Parmi eux citons Don Redman (pour Fletcher Henderson, les McKinney’s Cotton Pickers et son orchestre), Benny Carter (pour Fletcher Henderson, Count Basie et son orchestre), Fletcher Henderson (pour son orchestre et Benny Goodman), Sy Oliver (pour Jimmie Lunceford), Edgar Sampson (pour Chick Webb), Billy Strayhorn (pour
Duke Ellington), Pete Rugolo (pour Stan Kenton), John Lewis et Gil Fuller (pour Dizzy Gillespie), Neal Hefti (pour Count Basie), Ralph Burns (pour Woody Herman).
De Jim Europe à Ellington
Il existait aux États-Unis au début du siècle de grands orchestres semi-symphoniques composés de musiciens
noirs et au répertoire littéralement de
« variétés » (accompagnement de chanteurs, de danseurs, d’acrobates et de sketches comiques). Ceux de Jim Europe et de Will Marion Cook furent les premiers ambassadeurs de la musique négro-américaine en Europe aussitôt après la Première Guerre mondiale.
Après 1920, les enregistrements indiquent une tendance où le jazz « dixieland » impose la suprématie des instruments à vent (eux-mêmes empruntés aux fanfares de La Nouvelle-Orléans).
L’organisation des sections instrumentales se précise, incertaine encore chez Fate Marable, Clarence Williams, Erskine Tate, Wilber Sweatman et
Charles Elgar, très nette chez Fletcher Henderson à partir de 1923. Ce type d’orchestre, qui, à ses débuts, cherchait à rivaliser avec la formation de jazz dit « symphonique » dirigée par Paul Whiteman (orchestre blanc dont le chef avait été abusivement et publicitaire-ment surnommé le « Roi du jazz »), définit son style vers 1924, d’abord en reproduisant et en élargissant les schémas utilisés par les petits groupes dixieland, puis en développant ses possibilités au travail par sections. À peu près à la même époque, les McKinney’s Cotton Pickers (où Don Redman joue un rôle essentiel) et Charlie Johnson suivent la même voie, tandis que, par un effet de retour, des groupes blancs, tels ceux de Whiteman, de Jean Gold-kette et de Glen Gray, et le Casa Loma Orchestra, s’inspirent des recherches de ces orchestres noirs.