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Colonnes végétales et

génies protecteurs

L’Égypte a découvert et multiplié les types columnaires, sans, toutefois, en varier les entablements ni établir de rapports fixes entre les éléments. Le lien enserrant le chapiteau de palmes, de lotus ou de papyrus accuse le caractère d’applique du décor sur le poteau primitif et la tête de ce poteau apparaît au-dessus des efflorescences — en bouton ou épanouies en campanes —

pour leur enlever toute valeur portante.

Dès 3000 av. J.-C., à Saqqarah, la colonne végétale symbolise le marais du delta par le papyrus, la haute vallée par un curieux modèle cannelé aux palmes retombantes. L’architecte de l’ensemble funéraire du pharaon Djo-ser, Imhotep, traduit aussi en pierre des formes plus abstraites, simplement enveloppées au sommet sous une tablette-abaque. C’est déjà préfigurer les ordonnances du Moyen Empire (le

« protodorique » de Champollion), voire les colonnes créto-mycéniennes, au fût conique inversé sous l’échiné globuleuse du chapiteau, que surmonte sa tablette carrée. Ces types, végétaux ou non, n’ont pas de frontalité ; la figuration féminine aux torsades enroulées, dite « colonne hathorique », présente au contraire — fait à retenir — deux faces dès le Moyen Empire et quatre à l’époque saïte.

En pays syro-hittite, où, à l’encontre de la Mésopotamie, la pierre le permettait, on voit, vers le Xe s. av. J.-C.

(à Sam’al [auj. Zincirli, Turquie], Tell Halaf, etc.), des animaux fantastiques servir de base à un pilier-statue. Ici, un sens stabilisateur semble s’attacher au rôle magique de la divinité, comme

dans les inscriptions contemporaines Yâkîn et Bô’az sur les colonnes de bronze placées devant de Temple de Jé-

rusalem par le fondeur tyrien Hiram Ier.

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La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 14

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Six siècles plus tard, en Iran, on utilisera encore des protomés de taureaux dans les palais achéménides, cette fois au sommet des plus sveltes colonnes de l’Antiquité. Ils reposent sur le fût ou sur un chapiteau à palmes par l’intermédiaire d’un élément carré, solution habile au passage entre la frontalité su-périeure et le support circulaire. Mieux encore, seule de tout l’Orient dont elle est l’héritière, la Perse tentera de géné-

raliser son système de proportions et, à l’exemple de la Grèce sa rivale, de créer une véritable ordonnance.

À l’image de l’homme

Le monde grec, de son côté et à partir des mêmes sources, a fait de la colonne la « raison » de toute architecture, à l’image d’un humanisme qui rayonne encore par-delà les siècles. D’une théorie déjà parfaite au Ve s., il ne nous reste malheureusement qu’un tardif et unique témoignage, dû au Romain Vitruve* ; et même l’archéologie ne saurait en combler les lacunes. La justification vitruvienne des dispositions doriques à partir de la charpenterie, souvent citée, est moins à souligner que la division en genres (le terme d’ordres apparaîtra à la Renaissance). Le dorique est nu et mâle comme l’atlante, l’ionique est paré et gracieux comme la cariatide, le corinthien a la réserve altière d’une adolescente. Le dorique existait de longue date quand les Ioniens du VIe s., pour élever un temple à Apollon, lui ont donné ses proportions, réalisant pareillement pour Diane un vêtement ionique, chaussé d’une base.

La haute corbeille du chapiteau corinthien, plus tardif, suffit à transfigurer une colonne restée par ailleurs ionique, comme son entablement. À tout considérer, l’ordonnance se limite à deux types : celui où s’impose le rythme puissant des triglyphes et des métopes

à l’entablement, et, par contraste, celui qui est allégé, unifié par la continuité de sa frise.

À l’image du corps humain, qui

peut s’étendre dans un cercle ou un carré et dont les membres sont en relations dimensionnelles, la demeure des dieux sera équilibrée (c’est le sens du mot symétrie), proportionnée, à partir non pas d’une mesure fixe, mais d’une division de l’ensemble, qui sera le module (demi-diamètre de la colonne à la base du fût). Si la méthode modulaire leur est antérieure, le mérite des Grecs est d’avoir su en tirer toutes les conséquences logiques. Chaque élé-

ment de la colonne, de l’entablement est soigneusement différencié ; toute une modénature, parfois sculptée ou peinte, accroche la lumière, établit des contrastes colorés, anime les volumes par la dominance des courbes, les tempère par des corrections optiques permettant aux lignes de garder leur vigueur. À l’extrême, la colonne peut se dérouler sur un mur, un pilier, une baie, voire un édifice entier.

Sans aborder une évolution com-

plexe, notons quelques faits essentiels.

L’échiné globuleuse du chapiteau dorique reposait sur le fût au VIe s. (par exemple à Paestum) ; aux temps classiques, le fût semble se prolonger en une courbe nerveuse dans cette échine, à la pureté froide de pièce tournée qui permet un emploi général. La frontalité du chapiteau ionique, par contre, interdit d’en faire usage en position angulaire sans une distorsion selon la bis-sectrice. L’idée conduit logiquement à disposer les volutes selon les diago-nales. Ce sera, en attendant l’ionique à quatre faces, le cas du corinthien, avec sa corbeille plus élancée et revê-

tue d’un décor d’applique qui assure le passage progressif du fût circulaire à une ligne d’entablement droite, courbe ou en retour d’angle. La position biaise des volutes est soulignée par la concavité des faces de l’abaque ; et ce détail est de toute importance, car il va permettre de suggérer une continuité d’espaces imaginaires à partir du volume solide (à Athènes, dès 334 av. J.-C., le monument de Lysicrate nous en offre un précieux exemple).

L’organisme, des Romains à nos jours

Quand les Romains vont avoir à traiter les vastes programmes impériaux, aidés par la souplesse des structures de brique, ils étendront la notion d’organisme, héritée de la plastique grecque, à l’ensemble des espaces enclos. On aboutit alors à des tracés dynamiques, ondulants à la villa Hadriana de Tibur au IIe s., « cannelés » à la rotonde de Baalbek au IIIe s. ; en dépit d’un aspect baroque, ces tracés ont leur source dans le classicisme le plus strict. On pourrait juger superflues les ordonnances qui recouvraient thermes et palais : mais ce serait oublier le rôle porteur de ce « vêtement », au moins durant la construction.

Le procédé, d’ailleurs, persiste au Moyen Âge, où colonnes engagées et colonnettes servent de soutien pour la pose des arcs, avant d’épauler et d’habiller visuellement le noyau de blocage. La colonne isolée fait l’objet d’intéressantes recherches, comme le rond-point des sanctuaires ; mais l’arc, avec ses nervures, finit par descendre jusqu’au sol. Au gothique final, la continuité du végétal se substitue au modèle vertébré, et le tracé au compas l’emporte sur la division modulaire.

La réaction vient d’Italie, où les humanistes commentent le texte de Vitruve à la lumière des ruines. La notion d’ordres apparaît chez Alberti*, Ser-lio*, Vignole* ; et le risque est grand, face à la diffusion des modèles, de tomber dans le formalisme. Si les théoriciens établissent des règles, ils en usent avec liberté ; on voit apparaître — ou reparaître — chapiteaux figurés, élé-

ments « rustiques », fûts écotés, torses, annelés, et Delorme* propose même un « ordre français ». Lescot* et ses continuateurs devront mettre un frein à cette vivacité : l’ordre, désormais, vient du trône et non plus des dieux.

À vrai dire, jamais une architecture de pierre n’a été mieux comprise, et la raison classique des Mansart*, Perrault* et de Cotte* va triompher dans les colonnades comme dans le modelé des hôtels.