Toute une littérature orphique a été produite, en partie très ancienne (attribuée à Onomacrite et à quelques autres poètes de son temps) et pour sa part la plus importante datant de l’époque alexandrine et chrétienne. Cette littérature, dont on ne possède plus qu’une faible partie, se fait l’écho, outre des aspects mythologiques de l’orphisme, des doctrines concernant la destinée des âmes humaines. L’homme est un être déchu par suite d’une faute originelle ; celle-ci a fait de lui, qui participait
initialement à l’essence divine, un errant sur la terre. Si l’âme est immortelle, elle est condamnée à aller de corps en corps, par des réincarnations successives, et à séjourner aux Enfers dans les intervalles. Elle est capable, toutefois, de se délivrer de cette condition et de retourner auprès des dieux grâce à une ascèse libératrice.
Les rituels funéraires enseignent les formules qui doivent la guider. Des tablettes enterrées avec le défunt portent les mots de passe et les conseils de voyage pour l’au-delà. Mais tout cela n’est possible que pour les initiés. Peut-être l’initiation comportait-elle une sorte de baptême ?
Elle impliquait surtout la connaissance des prières à adresser aux dieux infernaux et celle de l’itinéraire à suivre, s’écartant de la source de l’oubli pour mener au lac de mé-
moire. L’initié devait pratiquer les jeûnes et le végétarisme (ne pas manger ce qui avait été tué), ne pas manger de fèves (caractère infernal), ne pas toucher aux cadavres, porter des vêtements blancs. Les confréries orphiques furent répandues tant dans la Grèce classique que dans le monde romain. Il exista une sorte de prêtrise, celle des orphéotélestes, prêtres ambulants, mendiants et charlatans, soupçonnables de ne pas représenter le degré le plus élevé de la religion. Celle-ci demeure d’ailleurs pour nous pleine d’énigmes, et l’on discute toujours de l’existence d’un culte organisé. Les idées professées par les sectes orphiques n’en ont pas moins eu une influence intellectuelle durable. Le pythagorisme a été profondément marqué par elles. Les Pères chrétiens ont bien connu la littérature orphique, et, à bien des égards, l’orphisme préfigure le christianisme.
Dans les plus anciennes représentations du Christ, aux catacombes, on voit celui-ci apparaître avec les attributs d’Orphée.
Les chrétiens, en s’abritant derrière le fait qu’Orphée pouvait être considéré comme un personnage historique, semblent lui avoir voué une certaine vénération et attribué un rang de prophète.
R. H.
P. A.
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/ M. Desport, l’Incantation virgilienne : Virgile et Orphée (Les Belles Lettres, 1952). / L. Moulinier, Orphée et l’orphisme à l’époque classique (Les Belles Lettres, 1955). / E. Kushner, le Mythe d’Orphée dans la littérature française contemporaine (Nizet, 1961). / E. Sewell, The Orphic Voice, Poetry and Natural History (Londres, 1961). / G. Cattaui, Orphisme et prophétie chez les poètes français, 1850-1950 (Plon, 1965). /
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/ F. Joukovsky, Orphée et ses disciples dans la poésie française et néo-latine du XVIe siècle (Droz, Genève, 1970). / B. Juden, Traditions orphiques et tendances mystiques dans le romantisme français, 1800-1855 (Klincksieck, 1971). / H. B. Riffaterre, l’Orphisme dans la poé-
sie romantique (Nizet, 1971).
Ors y Rovira
(Eugenio d’)
Écrivain espagnol (Barcelone 1882 -
Villanueva y Geltrú, Barcelone, 1954).
« Malgré une apparence presque
scandaleuse, écrit-il en substance dès 1917, je ne me suis pas dispersé, je ne me suis pas égaré ; je n’ai écrit que trois livres, longs comme la vie elle-même : le livre de l’Unité (car un est mon système philosophique : la doctrine de l’intelligence de philosophie de l’homme qui travaille et qui joue) ; le livre de la Variété (dans mon Glossaire je cherche la vérité parmi les choses vécues) ; et le livre de l’Action, que j’écris avec ma chair pour la défense et l’illustration de la Culture, dans l’adoration du soleil des Idées pures. » C’est bien ainsi que se présente l’oeuvre d’Eugenio d’Ors : un corps de doctrines en ordre dispersé, un faisceau étroitement lié d’écrits downloadModeText.vue.download 602 sur 625
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 14
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hétéroclites, de gloses, de notes et de commentaires qui annoncent le traité, mais n’y aboutissent pas.
D’Ors est catalan et conscient de son appartenance au monde méditerranéen, celui de Platon et celui de la Rome des papes. Ce sont les mille
aspects, déroutants dans leur diversité, d’un monde harmonieux et beau dans son essence qu’il commente dans son Glosario de 1906 à 1920 et, au-delà, dans son Nuevo glosario et son Noví-
simo glosario. Il donne d’abord ses gloses en catalan dans le quotidien La Veu de Catalunya. Mais, peu à peu, il rectifie sa position. Contre le provin-cialisme de sa terre natale, il adopte le castillan. Contre cet autre provincia-lisme à l’échelle nationale qui ressort des ouvrages de la génération dite « de 1898 », il adopte sous le pseudonyme de Xènius une perspective européenne et s’adresse parfois même en français directement à une élite mondiale.
Au Dieu de l’ordre et de la raison, il fait son offrande, La Ben Plantada (1911), un récit où un beau brin de fille, la Catalogne en personne, vit allègre et épanouie, belle dans sa mesure et sa sé-
rénité, belle par son accord intime tout spontané avec les lois et les desseins du Créateur. « Religio est libertas », écrit-il en 1908. Et il reprend ce titre en 1925. Il propose le culte de l’ouvrage bien fait, élaboré dans la foi et le zèle par un artiste savant, venu à son métier par vocation et qui, ayant prononcé ses voeux, exerce sa « profession » avec dé-
votion et ardeur. Certes, la fabrication rigoureuse d’un objet parfait implique une sorte d’héroïsme. D’Ors tient cet héroïsme pour la réplique de la sainteté dans le domaine profane, pour le tribut de la matière à l’esprit. Aprendi-zaje y heroísmo date de 1915. Bernard Palissy y apparaît comme le héros et le modèle. Cet artisan potier, ce savant écrivain n’a pu innover que parce qu’il respectait la tradition. Car « ce qui n’est pas tradition n’est que plagiat ».
Toujours certain de détenir la vérité, d’Ors s’oppose à l’anarchie, à la révolution. Il propose un « système », il expose une « doctrine », il impose un
« catéchisme », il se pose en dictateur intellectuel. Comme pour arrêter les convulsions d’une société au bord de la guerre civile, il affirme inlassablement : la connaissance du passé nourrit la raison ; la raison engendre l’idée ; l’idée guide la main ; la main crée la forme. Telle est la leçon de Gran-deza y servidumbre de la inteligencia (1919). Deux autres oeuvres, Théorie des styles et Technique ou Science des
formes, montrent que, pour lui, l’art et le métier, la technique et la science sont un. Dès lors, et parce qu’il traite de problèmes universels, son audience devient internationale.